Boissons végétales et laits qui ne sont pas d’origine bovine

En France, les boissons végétales commercialisées ou les laits ne portent pas la dénomination de vente “préparations pour nourrissons” ou “préparations de suite”. Ils ne sont donc pas soumis à la directive européenne encadrant la composition et l’étiquetage des préparations adaptées à la nutrition des nourrissons.

 

 

“Laits végétaux” et laits non bovins : de quoi s’agit-il ?

Les boissons végétales peuvent être à base de soja, de légumineuses, d’oléagineux (amande, noisette, noix, etc.), de céréales (riz, avoine, etc.), de quinoa ou d’amarante (1). On peut aussi en rapprocher les laits de chèvre, de brebis, de jument ou d’ânesse qui ne sont pas des préparations adaptées à la nutrition du nourrisson. Ces boissons sont parfois enrichies en nutriments ou en sucre, ou en différents arômes. La dénomination “lait”, en dehors du lait de vache, doit être suivie par l’indication de l’espèce animale dont il provient : “lait de chèvre”, “lait de brebis”, etc. Pour les boissons d’origine végétale, le mot “lait” n’est autorisé que pour le “lait d’amande” ou le “lait de coco”.

En 2011, l’ANSES a répertorié 211 boissons végétales sur le marché, boissons dont l’étiquetage relatif à leur consommation par des nourrissons est parfois ambigu [1]. De plus, l’offre de ces boissons, souvent dites “naturelles” ou “biologiques” est en augmentation ces dernières années.

Boissons végétales et complications métaboliques

En 2001, 2 cas de kwashiorkor chez des nourrissons de 22 et 17 mois étaient rapportés par une équipe américaine [2].

  • Un de ces nourrissons consommait une boisson végétale à base de riz, introduite après la diversification et en relais de l’allaitement maternel. Cette boisson, très pauvre en protéines, était son alimentation principale, car il en buvait en moyenne 1,5 litre/jour et ne mangeait que très peu d’aliments solides. Ses apports journaliers avaient été évalués à 72 % pour les calories totales et à 25 % pour les apports protéiques des apports recommandés.
  • Le deuxième nourrisson consommait une boisson à base de soja, non enrichie en vitamine D, associée à une alimentation diversifiée en quantité suffisante, mais sans produit animal. En plus du kwashiorkor, cet enfant a développé un rachitisme carentiel. Dans les 2 cas, l’évolution a été favorable après renutrition progressive avec des apports adaptés. Les familles de ces enfants étaient bien éduquées et pensaient que ces boissons présentées comme “Health food milk” seraient bonnes pour la santé de leur enfant.

Depuis, de nombreux cas cliniques de carences nutritionnelles sévères chez des nourrissons consommant des boissons végétales ou des laits non adaptés dans les pays industrialisés ont été rapportés.
Les cas publiés sont le plus souvent extrêmement sévères et parfois létaux. On note plusieurs cas de kwashiorkor, liés à des apports protéiques insuffisants alors que les apports caloriques totaux sont suffisants ou que le ratio apports protéiques/apports énergétiques est très bas [3-5].

D’autres symptômes ont été plusieurs fois décrits : hypoalbuminémie sévère, anémie profonde, rachitisme, troubles hydro-électrolytiques, détresse respiratoire sur alcalose métabolique, déficit en zinc, retard de croissance,dermatose étendue, etc. Le plus souvent, il s’agissait de boissons à base de riz, de soja ou d’amandes.

En France, l’ANSES s’est autosaisie en 2011 dans le cadre de sa mission de nutrivigilance à la suite d’un cas d’alcalose métabolique sévère chez une enfant de 12 mois nourrie de façon exclusive par une boisson aux amandes [1]. Dans un article publié dans les Archives de pédiatrie en 2014 [6], les observations de 9 enfants ayant présenté des complications imputables à la consommation de boissons végétales avant l’âge d’1 an ont été colligées dans 3 hôpitaux de l’Est parisien entre 2008 et 2011. Les boissons consommées, parfois en association, étaient à base de riz, de châtaigne, d’amande, de soja. Un enfant a été pris en charge pour un état de mal convulsif sur hypocalcémie profonde. Les autres signes cliniques rencontrés étaient : une cassure pondérale avec ou sans cassure staturale, une anémie parfois sévère, une hypoalbuminémie et des carences en zinc avec manifestations cutanées.
Dans tous les cas, la reprise d’une alimentation adaptée après traitement symptomatique a permis une régression des symptômes.
La plupart de ces cas cliniques sont très graves et décrits chez des enfants dont l’alimentation est majoritairement composée de boissons végétales ou laits inadaptés. Il est probable que les carences nutritionnelles sont mésestimées chez de nombreux enfants les consommant de façon non exclusive et plus tardive.

 

Les laits d’origine animale

  • La consommation de lait de chèvre non modifié n’est pas rare. Pourtant, là encore, de nombreuses publications ont souligné le risque majeur lié à l’alimentation des jeunes nourrissons avec ces produits. Les signes cliniques décrits sont des anémies mégaloblastiques liées à une carence en vitamines B9 et B12, des troubles hydroélectrolytiques avec hypernatrémie et hyperazotémie liés à des apports excessifs en sodium et en protéines, compliqués d’acidoses métaboliques et d’insuffisances rénales [7]. L’analyse du lait de chèvre consommé a révélé qu’il contenait 3 fois plus de sodium et de protéines que le lait de femme, et 10 fois moins d’acide folique. En fait, dès les années 1920, l’anémie au lait de chèvre était connue. Des cas d’infections sévères ont aussi été rapportés ainsi que des syndromes hémolytiques et urémiques liés à E. Coli O157H7 après consommation de lait de chèvre non pasteurisé [7].
  • Une équipe italienne a rapporté, en 2011, le cas d’un nourrisson de 5 mois, allergique aux protéines du lait de vache, mais sans amélioration des symptômes après introduction d’un hydrolysat. Les parents ont donc décidé de leur propre initiative de le nourrir au lait d’ânesse qu’ils commandaient sur Internet en Turquie [8]. Au bout de quelques semaines, ce nourrisson a été hospitalisé dans un contexte de dénutrition sévère, associée à une hypoalbuminémie à 11g/dL et à une anémie carentielle. L’enquête diététique a révélé que ce nourrisson ne consommait que 277 kcal/jour soit 42 % des apports recommandés pour l’âge (ARA), avait des apports protéiques à 130 % des ARA, des apports lipidiques à 32 % des ARA et des apports en fer et en calcium très insuffisants (42 % et 63 % des ARA, respectivement). Une équipe indienne a quant à elle rapporté 2 cas de nouveau-nés décédés suite à la consommation de lait d’ânesse [9].

 

Compositions et risques carentiels

Les boissons végétales sont totalement inadaptées à l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Le plus souvent, les apports protéiques et lipidiques sont trop faibles, les teneurs en vitamines notamment D, A, E et B12 insuffisantes, les apports sodés trop élevés et l’apport énergétique trop faible. Certaines peuvent être enrichies en vitamine D, en calcium ou en ions, mais le plus souvent de façon inadaptée par rapport aux besoins du nourrisson.

La composition des laits d’origine animale est le plus souvent très éloignée de celle du lait de femme, ce d’autant qu’il s’agit de mammifères herbivores dont les besoins sont différents de ceux des humains. Ils sont généralement trop riches en protéines et en minéraux, car la croissance de ces mammifères est beaucoup plus rapide que celle des nourrissons humains. Le lait de jument et le lait d’ânesse sont très pauvres en lipides et en acides gras essentiels et trop riches en protéines en comparaison du lait de femme. Leur consommation est fortement déconseillée pour les nourrissons, même s’ils ont la réputation d’être proches du lait maternel [10, 11]. La composition du lait de chèvre est moins éloignée de celle du lait de femme, mais les teneurs en protéines et sodium sont souvent bien trop élevées, et celles en B9 et B12 bien trop faibles. De plus, la composition des laits d’animaux varie au sein même d’une même espèce, de la nutrition des animaux, en fonction du stade de lactation, etc.

En dehors de l’allaitement maternel, seules les préparations pour nourrissons, puis préparations de suite, sont adaptées à l’alimentation du jeune enfant.
En France, en plus des préparations pour nourrisson à base de lait de vache, il existe des préparations pour nourrisson à base de riz, de soja et de lait de chèvre qui répondent à la directive européenne 2006/141/CE.

 

Mais pourquoi les parents proposent-ils des boissons végétales ou des laits non adaptés ?

Liu et al. ont publié, en 2001, 12 cas de kwashiorkor aux États-Unis [12]. Dans la moitié des cas, les parents nourrissaient volontairement leur enfant avec un régime pauvre en protéines, car ils pensaient que leur enfant était intolérant aux formules infantiles ou au lait de vache.
Plusieurs publications font le même constat d’enfants soumis à des régimes très restrictifs, le plus souvent à base de “laits” de riz pour des eczémas étendus ou des suspicions d’allergies multiples [13].
Certains parents pensent donner à leur enfant une alimentation plus saine, et dans plusieurs des cas graves de complications rapportés, les parents étaient aussi végétariens.

Dans l’article de Le Louer et al. [6] qui a repris des cas d’Île-de-France, les parents avaient donné cette boisson à leur enfant par conviction personnelle à 2 reprises, alors que dans les 7 autres cas, des troubles allergiques ou digestifs mineurs (eczéma, RGO, colique) avaient motivé un changement nutritionnel.

Dans son rapport de 2010 sur les boissons autres que le lait maternel et les substituts du lait maternel [1], l’ANSES souligne que l’étiquetage de ces boissons est parfois ambigu et peut laisser entendre que ces boissons sont bénéfiques pour le nourrisson :

  • “Accompagne favorablement la croissance”.
  • “Demander l’avis du médecin pour utiliser ce produit dans l’alimentation de bébé”.
  • “Ce produit peut se donner à un bébé dans un biberon ou à la cuillère en début de sevrage. Pour les nourrissons de moins de 5 mois, il est préférable de demander conseil”.
  • “Recommandé pour une croissance harmonieuse”.
  • “Particulièrement adapté aux jeunes enfants en période de croissance”.

Il s’y associe parfois des illustrations suggérant que la boisson convient au nourrisson (enfant tenant un biberon, ourson, etc.). De plus, les informations sur la composition nutritionnelle de ces boissons font souvent défaut sur l’emballage. Sur les 211 boissons recensées par l’ANSES en 2011 [1], seules 35 % affichaient la composition de leur produit, le plus souvent de façon incomplète. La mention deplus en plus fréquente du caractère biologique ou naturel de ces produits contribue probablement également à véhiculer l’image de produits sains. Les informations disponibles sur Internet sont également souvent trompeuses. Le lait de chèvre ou de jument y est souvent présenté comme un lait très proche du lait de femme et adapté à l’alimentation du nourrisson [7].

 

 

Conclusion

Au total, ces observations soulignent les dangers d’une alimentationinadaptée chez le nourrisson qui peut mener à des complications graves. Les boissons végétales ou les laits d’origine animale qui ne répondent pas à la législation européenne pour l’alimentation des nourrissons sont dangereux pour les nourrissons, et ce, d’autant que leur consommation est précoce, prolongée et exclusive ou prépondérante. L’information des parents sur ce sujet et le rôle des professionnels de santé sont primordiaux.

Références

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.


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