Farines et céréales, avec ou sans gluten ? Point sur les recommandations

On parle beaucoup du gluten, du gluten-free. Les aliments sans gluten ont envahi les étals. De plus en plus d’adultes l’excluent. Et parallèlement, on ne conseille plus l’introduction tardive du gluten chez l’enfant.

 

Les dernières recommandations du comité de nutrition de l’ESPGHAN en 2008 étaient en faveur d’une introduction plus précoce du gluten dans l’alimentation du tout petit, entre 4 et 6 mois révolus. Mais des études, publiées en 2014 et 2015, remettent en question cette fenêtre d’opportunité. Tout est remis en cause. Que faut-il en penser ? Il semble important de donner une information claire aux parents sur l’évolution de la connaissance du rapport gluten/organisme de l’enfant pour éviter les exclusions injustifiées.

Qu’est-ce que le gluten ?

Le terme “gluten” désigne un mélange de prolamines et de gluténines, deux familles de protéines toxiques pour les personnes atteintes de maladie coeliaque. Ce sont surtout les prolamines qui peuvent être toxiques, elles sont présentes en grande quantité dans le blé et ses différentes variétés comme l’épeautre, le malt, le froment ou le kamut (la gliadine est la prolamine du blé), du seigle (sécaline), de l’orge (hordéine), du triticale (hybride du seigle et du blé). Le gluten constitue par exemple 80 % des protéines contenues dans le blé. Leur effet cytotoxique est lié à la réaction immunologique anormale dirigée contre la muqueuse intestinale.

Les gluténines sont également toxiques pour les porteurs de maladie coeliaque, mais à un moindre degré. L’avoine contient du gluten, l’avénine, bien supporté s’il est pur et en quantité modérée à condition qu’il n’ait pas été contaminé par le contact des autres céréales toxiques. Les céréales qui ne contiennent pas de gluten sont : le maïs, le millet, le quinoa, le riz, le sarrasin, le sorgho, le tapioca. Châtaignes, pommes de terre et légumes secs en sont dépourvus ; ce ne sont pas des céréales. Mais chez le petit enfant, le gluten est retrouvé dans les céréales.

Le lait en est dépourvu, c’est donc lors de la diversification que l’enfant sera mis en contact avec le gluten. Puis au fur et à mesure de la diversification, selon le type alimentaire familial, il risque d’être en contact fréquent avec le gluten, car il est très utilisé dans l’industrie agroalimentaire du fait de ses propriétés viscoélastiques qui permettent de faire gonfler la pâte avec la levure. Il lui confère son élasticité et une meilleure mastication. Le gluten a en effet envahi notre alimentation.

L’industrie agroalimentaire transforme le blé en hydrolysats (aussi appelés isolats). L’hydrolysat obtenu, très soluble, est employé comme épaississant, stabilisant, émulsifiant. On le trouve sous la dénomination « protéines de blé » dans les viandes reconstituées comme les nuggets, les sandwichs, les escalopes et les poissons panés, les saucisses, le jambon et les viandes blanches reconstituées,soit dans la majorité des plats préparés ou produits industrialisés.  Ainsi, on trouve l’étiquetage “gluten” sur des chips (de pommes de terre !) ou de la mousse de foie.

Un bon conseil à donner aux mamans : lire les étiquettes. Si on ne cuisine pas simplement, on en consomme beaucoup plus qu’auparavant.

Qu’est-ce que la maladie coeliaque ?

La maladie coeliaque (intolérance au gluten) est l’une des intolérances alimentaires les plus courantes dans le monde. Sa prévalence est estimée à environ 1 à 3 % de la population des pays développés. Elle est en augmentation dans les pays industrialisés ces vingt dernières années, comme laplupart des maladies auto-immunes telles le diabète de type 1. On peut évoquer dans cette augmentation des facteurs sanitaires comme la théorie hygiéniste, car une modification du génome humain ne peut survenir si rapidement. Une étude finlandaise note une incidence accrue de la maladie coeliaque comparativement à une région russe voisine moins favorisée où l’hygiène est moins respectée (1).

La maladie coeliaque est une entéropathie auto-immune survenant chez des sujets génétiquement prédisposés. Elle est déclenchée par la consommation de gluten qui entraîne une inflammation intestinale chronique avec malabsorption. On la détecte par la présence d’anticorps IgA anti-transglutaminases. Il convient de se méfier des déficits en IgA. 2 % des patients coeliaques sont porteurs aussi d’un déficit en IgA, leur sérologie IgA tranglutaminase et endomysium seront faussement négatives. Ainsi on recommande de doser parallèlement le taux d’IgA totales. Une biopsie de l’intestin grêle sera nécessaire pour confirmer le diagnostic.

La maladie coeliaque survient chez des individus génétiquement prédisposés porteurs des haplotypes DR3-DQ2 ou DR4-DQ8, d’autres gènes semblent impliqués. Seuls 5 % des individus positifs DQ2/DQ8 développeront une maladie coeliaque. En cas d’apparentés porteurs, la prévalence augmente de 10 à 15 %… La répercussion de l’atteinte auto-immune sur la surface absorbante de l’intestin entraîne une malabsorption des protéines, lipides, glucides, vitamines liposolubles, minéraux en particulier du fer et du calcium.

Chez l’enfant, les signes sont, outre les signes digestifs avec diarrhées chroniques, une anorexie, une stagnation pondérale ou une perte de poids, un retard de croissance, plus tard de la puberté.
Si la maladie coeliaque survient sur un terrain génétiquement prédisposé, elle a aussi des causes environnementales, le principal facteur nécessaire dans l’environnement étant le gluten. L’imputabilité de l’âge d’introduction du gluten qui pourrait influencer son apparition est un sujet très débattu.

Quand introduire les céréales chez l’enfant ?

Des recommandations qui ont évolué dans le temps.

Première recommandation : pas de gluten avant 6 mois révolus

Les recommandations ont longtemps été formelles : le gluten ne devait pas être introduit avant l’âge de 6 mois pour diminuer le risque de déclencher une maladie coeliaque ou tout au moins essayer de retarder son apparition après la période de croissance rapide.

Deuxième recommandation : une nouvelle fenêtre d’introduction du gluten qui ne soit pas avant 3 mois révolus ni après 6 mois révolus

Les études étaient concordantes sur le fait d’introduire le gluten ni trop tôt ni trop tard pour éviter l’apparition des marqueurs sériques de la maladie.

En 2008, l’ESPGHAN (société européenne de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition) recommande de profiter de la fenêtre de tolérance entre 4 et 6 mois pour introduire des aliments dans le but d’une induction de tolérance chez les enfants à risque d’allergie (2). Des études ont montré qu’une introduction retardée n’a aucun impact sur la prévention de la survenue d’allergie et peut être responsable de sensibilisations, d’allergies, d’asthme, d’eczéma, de rhinite allergique. Sur quels arguments ?

En 2005, l’étude observationnelle américaine de Norris a mis en évidence une corrélation entre la présence de marqueurs sériques de la maladie coeliaque (les IgA anti-transglutaminases) et l’âge d’introduction du gluten dans un groupe à risque (frères ou soeurs atteints de maladie coeliaque ou de diabète de type 1, enfants porteurs des groupes tissulaires de susceptibilité à la maladie coeliaque) (3). Cette étude a montré que l’introduction du gluten avant l’âge de 3 mois, et après l’âge de 6 mois, était associée à une augmentation du risque d’apparition des marqueurs sériques de la maladie coeliaque pendant les 10 premières années de vie comparativement à une introduction du gluten faite entre les 3 et 6 mois révolus.

Troisième temps : les études montrent le peu d’impact de la date de consommation de gluten sur l’apparition de la maladie coeliaque

En 2014, deux études randomisées (4, 5) n’ont pas trouvé d’effet délétère de l’introduction plus précoce du gluten sur le risque ultérieur de la survenue d’une maladie coeliaque. Lionetti (4) a mis en place une étude prospective randomisée portant sur 832 enfants dont un des parents présentait une maladie coeliaque. Ils ont été répartis en deux groupes. L’un avec introduction du gluten à 6 mois (groupe A), l’autre à 12 mois (groupe B). Le suivi HLA des enfants a été effectué à 13 mois puis des recherches sérologiques de maladie coeliaque à 15, 24, 36 mois et ensuite à 5, 8 et 10 ans. La positivité entraînait une biopsie intestinale pour confirmer le diagnostic.

Il en est ressorti que ni le moment d’introduction du gluten ni les modalités de l’allaitement n’ont eu d’impact sur le risque de survenue d’une maladie coeliaque chez les enfants à risque. À noter qu’une introduction plus tardive du gluten était corrélée à une apparition des signes plus tardifs de la maladie. Si on reprend l’étude, on note qu’à 2 ans, 16 % des enfants du groupe A et 7 % des enfants du groupe B présentaient des manifestations sérologiques de maladie coeliaque, et respectivement 12 % et 5 % présentaient des signes cliniques de maladie coeliaque. À 5 ans, c’était le cas pour respectivement 21 et 20 % des enfants pour les signes sérologiques, et de 16 % dans les deux cas pour les signes cliniques. Reste à poser le problème de la qualité de vie et de la courbe de croissance. Vriezinga (5) trouve des conclusions similaires. Son travail avait porté sur 944 enfants porteurs d’HLH-DQ2 ou HLA-DQ8 dont au moins un des parents présentait une maladie coeliaque. Résultat : pas de différence de prévalence de la maladie coeliaque à 3 ans si on donne 100 mg de gluten ou un placebo entre 4 et 6 mois.

Les résultats de l’étude Teddy en 2014 (6), étude longitudinale menée entre 2004 et 2010 portant sur une cohorte importante d’enfants (424 788 nouveau-nés nés entre septembre 2004 et février 2010), ne sont pas connus. L’étude est toujours en cours. Ont été sélectionnés les enfants porteurs d’une HLA à haut risque de diabète de type 1 avec une surveillance annuelle d’apparition des auto-anticorps de la maladie coeliaque et une collecte tous les 3 mois des données portant sur l’alimentation de l’enfant notifiant le moment de l’introduction de chaque nouvel aliment et la quantité donnée. Ils ont ensuite fait une répartition des enfants en groupe ayant commencé à recevoir du gluten à moins de 4 mois, entre 4 et 6 mois (groupe de référence) ou supérieur à 6 mois, la durée de l’allaitement et la date du sevrage par rapport à l’introduction du gluten. Sur cette cohorte, outre le fait que la maladie coeliaque était plus élevée en Suède qu’aux États-Unis, l’âge au moment de l’introduction du gluten dans l’alimentation de l’enfant n’était pas corrélé à la prévalence de la maladie coeliaque. Elle confirme que l’introduction précoce du gluten à 4 mois n’était pas associée à une augmentation du risque d’apparition des anticorps anti-transglutaminases. Pas d’indication sur la prévalence plus élevée en Suède qui avait déjà été constatée dans d’autres études.

En ce qui concerne l’allaitement, l’étude Teddy et l’étude prospective hollandaise de Jansen (7) donnent les mêmes conclusions. L’âge d’introduction du gluten (avant ou après 6 mois) et la durée de l’allaitement (moins ou plus de 6 mois) n’ont aucun impact sur la positivité des anticorps antitransglutaminases tissulaires.

Quatrième temps : 2016, les nouvelles recommandations de l’ESPGHAN (8)

Prenant en compte toutes ces études susdécrites, l’ESPGHAN a révisé ses recommandations de 2008. Son objectif est de fournir des recommandations mises à jour concernant le gluten, son introduction chez le nourrisson et le risque de développer une maladie coeliaque durant l’enfance.
Elle constate que ni l’allaitement exclusif ni l’allaitement continué pendant l’introduction du gluten lors de la diversification de l’alimentation de l’enfant ne protègent du risque de développer une maladie coeliaque, mais insiste sur le fait que l’allaitement doit être promu pour tous les avantages sur la santé qui ont toujours été établis. Pour le gluten, il peut être introduit dans le régime alimentaire de l’enfant à tout moment entre les 4 et 12 mois révolus. Chez les enfants qui ont un risque élevé de développer une maladie coeliaque, l’introduction précoce du gluten (4 versus 6 mois et 6 versus 12 mois) est associée à un risque plus précoce de développer l’auto-immunité au gluten (positivité de la sérologie) et de maladie coeliaque, mais l’incidence cumulative de chacun est la même dans la suite de l’enfance. Sur les données d’observation entre l’importance de l’apport de gluten et le risque de développer une maladie coeliaque, la consommation de grandes quantités de gluten doit être évitée pendant les premières semaines d’introduction du gluten dans l’alimentation et pendant la petite enfance. Les quantités optimales de gluten à donner à l’enfant n’ont cependant pas été établies.

Conclusion

Comme on le sait, notre alimentation contient de plus en plus de gluten. Et il semble que la quantité de gluten introduite via l’alimentation pourrait aussi jouer un rôle dans le déclenchement de la maladie coeliaque, comme l’a montré le comparatif entre les prévalences de la maladie coeliaque entre la Suède et le Danemark (9). Il convient ainsi d’éduquer les familles à consommer aussi des céréales qui ne contiennent pas de gluten. Une autre piste serait aussi d’orienter les recherches vers le rôle joué par le microbiote et le stress dont on connaît l’effet délétère sur la perméabilité intestinale.

L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec NHS.

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