Régurgitations, reflux gastro-oesophagien : faut-il traiter ?

La confusion entre le reflux gastro-oesophagien et les régurgitations a longtemps existé, entraînant une prescription excessive d’examens complémentaires et de prokinétiques (en 1998, un quart des nourrissons bien portants en crèche “consommait” du cisapride !) [1].

Pour la terminologie, tous les chemins mènent à Rome…

Les termes de reflux gastro-oesophagien physiologiques et pathologiques étaient alors employés, avec souvent une confusion engendrée par l’inquiétude des mères qui, majorant le symptôme, faisait pencher le physiologique vers le pathologique.

En effet, dans une étude canadienne [2], il a été demandé à 58 mères dont les enfants étaient âgés de moins de deux ans et présentaient un reflux gastro-oesophagien d’estimer le volume de lait versé sur un bavoir (5 ml et 10 ml sur deux bavoirs différents) : 57 % des mères ont surestimé plus de cinq fois la quantité de lait présentée sur le bavoir, les estimations allant jusqu’à 120 ml pour le bavoir imbibé de 5 ml de lait. Seule une mère sur les 58 a estimé correctement ce volume !

Les critères de Rome établissent maintenant une définition précise des régurgitations [3]. Le diagnostic se fait, chez des enfants âgés de trois semaines à douze mois, en bonne santé par ailleurs, en cas de régurgitation deux fois ou plus par jour pendant trois semaines ou plus, et en l’absence :

– d’effort pour vomir,
– de vomissements sanglants,
– de fausses routes, d’apnée,
– de stagnation de la croissance,
– de difficultés pour s’alimenter ou pour avaler ou d’attitude en torticolis (syndrome de Sandifer).

Lorsqu’elles sont associées à une satiété précoce, au refus du biberon ou à des pleurs excessifs, avec ou sans stagnation de la croissance, les régurgitations peuvent être la conséquence d’une douleur ou d’une difficulté émotionnelle, et ne sont plus alors un phénomène “innocent”. Cette définition est normative, mais permet de fédérer la terminologie.

Tout ce qui n’est pas régurgitation représente donc un reflux gastro-oesophagien compliqué du nourrisson. Toutefois, il n’est pas spécifié la problématique du nourrisson “régurgiteur” avec pleurs excessifs, sans perte de poids, qui répond plus à la définition de “colique” du nourrisson que de RGO compliqué !

Des explorations sont indiquées en présence de :

– stagnation de la croissance,
– vomissements sanglants,
– sang dans les selles,
– anémie,
– refus de s’alimenter,
– difficultés à avaler (odynophagie).

L’examen de référence dans le RGO compliqué, dans sa forme extradigestive, reste la pHmétrie de 24 heures, qui peut se faire en ambulatoire.
L’endoscopie digestive haute est pratiquée lorsqu’on soupçonne une oesophagite (les biopsies oesophagiennes permettent de faire un diagnostic différentiel éventuel comme l’allergie ou l’oesophagite à éosinophiles).

Qui traiter et pourquoi faire ?

Les anglo-saxons parlent volontiers de gastro-oesophageal reflux disease (GERD), acronyme de reflux gastrooesophagien “maladie”. Cette dénomination a une valeur pronostique dont il faut tenir compte.
Les régurgitations concernent 50 % des nourrissons de moins de trois mois et plus de 66 % des nourrissons à quatre mois. Seulement 5 à 15 % des enfants ont encore des régurgitations à un an [5]. Pour cette population, ainsi que les enfants présentant une symptomatologie ORL ou pulmonaire évoquant un reflux, le phénomène va probablement devenir chronique. Dans les critères de Rome, parmi les troubles fonctionnels intestinaux, le reflux gastro-oesophagien n’est pas mentionné d’ailleurs.

Il convient donc de distinguer les régurgitations qui s’amendent spontanément, et dont les objectifs de la prise en charge sont de rassurer les parents avec empathie et de soulager les symptômes aux reflux gastrooesophagiens “maladie”. En effet, le seul impact ultérieur des régurgitations serait un stress familial lié à l’alimentation des enfants après l’âge de un an, significativement plus important dans un groupe d’enfants “régurgiteurs” comparé à un groupe témoin [4]. Le seul traitement de ces régurgitations est donc hygiénodiététique : évaluation adéquate des rations, épaississement des biberons et combat du tabagisme passif… accompagnés d’un bavoir très absorbant !

Le RGO “maladie” semble dégager les mêmes problématiques que le reflux de l’adulte et soulève les mêmes questions concernant sa prise en charge.

L’inefficacité des prokinétiques disponibles et le peu d’efficacité des antiacides [6] a “propulsé” la prescription des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) au premier plan (souvent à tort d’ailleurs, car ils sont trop souvent assimilés à un anti-émétique !).

Traitement empirique ou explorations fonctionnelles ?

Les explorations fonctionnelles caractérisant le reflux ont nettement évolué ces dernières années [7].

  • La pHmétrie oesophagienne peut désormais se faire sans fil (Bravo®) grâce à un signal radiofréquence envoyé par une capsule sensible au pH clipsée sur la paroi oesophagienne [8].
  • La pH-impédancemétrie ambulatoire sur 24 heures, d’utilisation encore restreinte, permet désormais de détecter les reflux non ou peu acides ainsi que les reflux gazeux. Cette technique a notamment permis de montrer que chez les malades résistants à un traitement par IPP, le reflux était tout de même en cause chez environ un tiers d’entre eux, soit en raison d’une dose d’IPP insuffisante soit en raison d’un reflux non ou peu acide [9].
  • La manométrie dite de haute résolution permet de construire une « cartographie motrice » de l’oesophage qui aide ainsi à mieux analyser le sphincter inférieur de l’oesophage (SIO) et la contractilité oesophagienne. Bien qu’encore en cours d’évaluation, cette technique semble plus précise pour caractériser les troubles moteurs de l’oesophage et le tonus de repos du SIO, ainsi que ses relaxations en réponse aux déglutitions.

Donc plus nous progressons, plus nous trouvons du reflux, mais estil vraiment responsable des symptômes ? Impossible de trancher dans la majorité des cas… D’où l’attitude logique du traitement empirique. Mais pour combien de temps ?

Traitement par IPP au long cours ou par cure intermittente ?

Ces dernières années, le traitement dit “à la demande”, donc guidé par la survenue des symptômes, a démontré son intérêt, notamment dans la réduction des prises d’IPP (divisées par 3) chez l’adulte [10]. Même si les IPP ne sont pas dénués d’effets secondaires, le rapport bénéfice-risque est en faveur de leur utilisation.
La pratique pédiatrique tend donc à se rapprocher de celle de l’adulte (et cela semble légitime pour le RGO maladie comparable chez l’enfant et l’adulte). Et si, sous la pression des parents, se posait la question de résoudre le problème “une fois pour toutes” ?

Place de la chirurgie (par voie endoscopique ou coelioscopique) ?

Les traitements instrumentaux, après un fort engouement initial [11], se sont révélés décevants et leur développement a été interrompu pour la plupart, principalement en raison d’une efficacité insuffisante. Le concept du traitement endoscopique reste cependant attractif et de nouvelles approches sont en cours de développement..
La chirurgie anti-reflux sous laparoscopie semble de moins en moins utilisée. Le facteur essentiel prédictif de sa réussite est en effet la bonne réponse au traitement par IPP. En pratique, beaucoup de patients avec reflux sont cependant opérés du fait d’une réponse imparfaite au traitement par IPP, voire d’une “résistance” au traitement (par la coexistence d’un syndrome dyspeptique), expliquant pour une part certains résultats décevants [12] ou du fait d’une dépendance aux IPP.
Il faut insister sur la morbidité postopératoire avec l’apparition de manifestations dyspeptiques, dysphagique ou de dumping syndrome : 10 à 30 % des malades, même avec des opérateurs entraînés.
Le traitement chirurgical n’a donc sa place que sur les terrains à risques avec symptomatologie émétisante.

Et si on ne faisait rien ?

Les symptômes viendraient à se pérenniser, l’oesophagite deviendrait probable et le risque d’endobrachyoesophage non nul.
Que dire à une mère dont le fils est atteint d’une lésion précancéreuse sans qu’on ait traité le RGO sous-jacent ?

Conclusion

Il faut donc retenir que sont utiles les mesures hygiénodiététiques contre les régurgitations et les IPP au long cours pour les RGO compliqués.

Références

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts concernant la rédaction de cet article.


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