1 – Evaluer l’état nutritionnel chez l’enfant

La dénutrition de l’enfant est fréquemment méconnue. Elle concerne en premier lieu l’enfant hospitalisé, et le petit enfant en général. Il faut l’évoquer devant toute cassure de la courbe de poids ou devant tout indice de masse corporelle inférieur au 3e percentile (zone d’insuffisance pondérale des courbes d’indice de masse corporelle (IMC) du carnet de santé), et si l’enfant apparaît maigre, même si ce dernier critère est hautement subjectif.

Il est indispensable d’utiliser des indices standardisés pour dépister la dénutrition de l’enfant (IMC) ou la confirmer (Waterlow). Toute dénutrition nécessite d’établir une stratégie de prise en charge nutritionnelle, qui doit être intégrée dans la prise en charge globale de l’enfant. Cette stratégie doit être évaluée pour être adaptée. Elle contribue à la qualité des soins, améliore le pronostic et réduit les complications. L’évaluation de l’état nutritionnel est un élément marqueur de la qualité des soins reconnu de la HAS.

Les chiffres de la dénutrition de l’enfant

  • La dénutrition concerne 8 à15 % de la population d’enfants hospitalisés (1). Il est important de la diagnostiquer car elle conditionne le pronostic, la survenue de complications, donc la durée d’hospitalisation et le coût pour la société. Elle est d’autant plus fréquente que l’unité d’hospitalisation prend en charge des maladies chroniques. Les services de pédiatrie générale, à durée moyenne de séjour, ont eux une prévalence proche de celle de la population générale.
  • Il existe peu de chiffres concernant la prévalence de la dénutrition dans la population générale. Dans un travail récent, 2 % d’une population de 1 300 enfants scolarisés, d’un âge moyen de 13,5 ans, présentaient une insuffisance pondérale définie par un indice de masse corporelle (IMC) inférieur au 3e percentile (données personnelles 2007, non publiées). La proportion de la dénutrition est plus élevée chez l’enfant plus jeune : 5,8 % d’une population de 1 700 enfants âgés de 4 ans, vus en consultation systématique par la PMI, présentaient une insuffisance pondérale (données personnelles 2008, non publiées).
  • L’Enquête Nationale Nutrition Santé – ENNS 2006 (2) – retrouve, sur un échantillon d’enfants âgés de 3 à 17 ans, ces prévalences, respectivement pour des tranches d’âge de 3-10 ans, 11-14 ans et 15-17 ans :
    – 10,0 %, 8,4 % et 6,9 % chez les garçons ;
    – 10,0 %, 4,1 %, 10,9 % chez les filles.

Ces données interpellent ! Cependant, tous ces enfants ne présentent pas une dénutrition avérée.

Comment évaluer l’état nutritionnel ?

Il est indispensable d’évaluer systématiquement l’état nutritionnel, que l’enfant apparaisse maigre ou pas.
En effet, la maigreur, comme l’obésité, sont des jugements subjectifs, chacun faisant appel à des représentations de l’image corporelle qui lui sont propres.
Le poids s’interprète toujours en fonction de la taille. Il faut donc calculer un index reconnu de tous et, bien entendu, examiner l’enfant pour chercher une cause à la dénutrition ou des signes de carences spécifiques.
La Haute Autorité de Santé (HAS) a récemment recommandé qu’une évaluation de l’état nutritionnel soit systématiquement réalisée chez tout patient hospitalisé et en a fait un item traceur de qualité de prise en charge.

  • L’IMC est un excellent outil de dépistage et connu de tous (2).
  • Il faudra toujours confirmer cette “insuffisance pondérale” par la clinique et par le calcul de l’indice de Waterlow, aussi dénommé rapport poids-taille, qui reste la référence dans l’évaluation d’une dénutrition (voir la figure 1 et le mode de calcul en page suivante) (3).

Quand la suspecter ?

Il faut l’évoquer :

  1. devant toute cassure de la courbe de poids ;
  2. ou devant tout indice de masse corporelle inférieur au 3e percentile (zone d’insuffisance pondérale des courbes d’indice de masse corporelle (IMC) du carnet de santé) ;
  3. si l’enfant apparaît maigre, même si ce dernier critère est hautement subjectif.

Comment confirmer la dénutrition ?

Il n’est pas nécessaire d’utiliser des techniques compliquées. Il faut disposer :

  1. d’un poids mesuré dans de bonnes conditions (enfant en sous vêtements, avec une balance vérifiée) ;
  2. d’une taille mesurée sans chaussures !
  3. et d’une courbe de croissance.

Le rapport poids/taille

L’indice de Waterlow évalue le rapport entre le poids mesuré et le poids attendu pour la taille de l’enfant (Figure 1). Par exemple, sur la courbe de croissance staturo-pondérale de Sempé et Pédron, 100 cm de hauteur correspondent à la taille moyenne d’un enfant de 4 ans dont le poids moyen est 16 kg. Si cet enfant pèse effectivement 11 kg, le rapport est de 11/16 kg = 69 %. Lorsque ce rapport est inférieur à 80 %, il signe une dénutrition.

L’outil “DéDé”

L’outil “Dédé”, pour pistage de la nutrition, est un disque qui tient dans la poche et donne directement, à partir de la taille chez le garçon et la fille, le poids attendu et la limite de poids en deçà de laquelle on considère un enfant comme dénutri

(Figure 2).

Que faire devant un enfant dénutri ?

Rechercher la cause

La dénutrition peut être le premier signe d’appel d’une maladie, aussi il faut en rechercher la cause. Est-ce :

  • une dénutrition due à une carence d’apport (rarement isolée en Occident, sauf dans l’anorexie mentale et les problèmes d’interaction mère-enfant) ;
  • et/ou une augmentation des besoins nutritionnels (situation d’hypercatabolisme décompensant une maladie chronique ou accidentelle : polytraumatisme, infection, malabsorption, fuite protéique urinaire…) ?

Parfois, la pathologie causale est connue et la dénutrition insuffisamment prise en charge, voire pas du tout. Il faut aussi rechercher des signes spécifiques de certaines carences ou des signes de complications de la dénutrition (oedèmes, hypothermie, bradycardie, signes cutanés dont les escarres).

Etablir une stratégie de prise en charge

Au terme de cette enquête, il est impératif d’établir une stratégie de prise en charge nutritionnelle, conjointement à la prise en charge de la pathologie causale et de ses complications.

Celle-ci inclut :

  1. la voie d’administration (nutrition orale, nutrition entérale ou parentérale) ;
  2. les aspects qualitatifs et quantitatifs de l’apport nutritionnel ;
  3. les modalités de suivi et le choix d’un indicateur d’efficacité (poids, IMC, rapport poids sur taille).

Ce dernier point est essentiel, car c’est celui qui permettra de juger de l’efficacité de la prise en charge nutritionnelle, ou d’en revoir les modalités si le résultat est insuffisant. L’objectif fixé initialement doit être atteignable, dans un délai établi dès le début de la prise en charge nutritionnelle.

En pratique

Il faudra fixer un objectif calorique.

Celui-ci doit tenir compte du poids attendu pour la taille et non du poids actuel car, sinon, l’enfant sera au mieux maintenu à son poids actuel sans rattrapage.
Plusieurs formules permettent d’estimer les besoins caloriques

(Tableau 1).

Dans tous les cas, les apports devront être adaptés au résultat attendu (apports suffisants, modalités d’administration…). La formule employée et le poids cible doivent impérativement être mentionnés dans l’observation initiale.

Quel bilan réaliser ?

  • La sensibilité de la croissance à l’état nutritionnel fait que le diagnostic de dénutrition ne nécessite aucun bilan biologique.
  • De même, le suivi de croissance sera le meilleur témoin de la prise en charge nutritionnelle, au sein de la prise en charge globale du patient.
  • Un ionogramme sanguin et urinaire est utile dans les dénutritions profondes, car la correction des troubles hydroélectrolytiques est au centre de la prise en charge initiale. Le dosage des protéines “nutritionnelles” (albumine, pré-albumine, RBP) ou de vitamines complète utilement l’évaluation de l’état nutritionnel, dans certaines situations cliniques.
  • Dans certaines situations, on peut de même être amené à mesurer la composition corporelle (pince à plis, impédancemétrie, voire absorptiométrie biphotonique) ou la dépense énergétique par calorimétrie indirecte, mais ces techniques sont réservées à des équipes spécialisées et n’empêchent en rien d’établir une stratégie nutritionnelle adaptée au patient.

Peut-on anticiper la constitution d’une dénutrition ?

Evaluer systématiquement le risque nutritionnel, c’est se donner la possibilité d’anticiper la constitution d’une dénutrition.

En pratique, il faut savoir se poser 3 questions simples :

  1. Quelle est la gravité de la pathologie ? (Il est évident qu’un enfant polytraumatisé en réanimation est plus à risque qu’un autre venant pour bilan annuel de diabète !)
  2. L’enfant a-t-il mal ?
  3. Est-il capable de manger seul ?

Cette démarche est optimisée par le calcul du Score de Risque Nutritionnel Pédiatrique (SRNP) mis au point par le groupe Necker-Enfants Malades, qui détermine un score de 0 à 3 selon les 3 critères ci-dessus (4). Chez les enfants à haut risque (ceux qui présentent les 3 critères sus-cités : pathologie sévère, douleur moyenne ou intense, ingesta per os insuffisants), il est impératif d’associer à la prescription médicale une stratégie nutritionnelle (consultation diététique, compléments oraux, toute modalité de nutrition artificielle) dès les premiers jours de prise en charge.

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