1 – Pourquoi un enfant devient-il obèse ?

Un enfant devient obèse quand, en raison d’une éducation défaillante ou d’une gourmandise excessive, il succombe aux aliments gras et sucrés promus sans cesse par les industriels de l’agroalimentaire et se gave de hamburgers et de sodas. Ces enfants se complaisent également dans des loisirs sédentaires (télévisions, jeux vidéo, ordinateurs, etc.) qui contribuent à les engraisser encore davantage. Il s’agit donc d’un simple manque de volonté aggravé par un lymphatisme excessif qui mènent à cet excès de poids. Voilà ce que pensent des millions de gens dont, ce qui est plus grave, des scientifiques et des médecins. La réalité scientifique est bien loin de ces concepts naïfs. L’objet de cet article est de l’illustrer.

Un enfant doit être génétiquement programmé pour devenir obèse

Un environnement obésogène pour tous

Un environnement obésogène, dans lequel l’offre alimentaire abonde et l’activité physique se réduit, est indispensable pour qu’un enfant devienne obèse. En effet, dans les pays en voie de développement, la prévalence de l’obésité infantile augmente considérablement dans les régions urbaines alors que les zones rurales sont épargnées (1), confirmant bien que l’environnement obésogène qui accompagne l’urbanisation de ces régions est nécessaire pour devenir obèse. Cependant, dans les pays industrialisés, tous les enfants vivent dans le même environnement, et pourtant seule une minorité d’entre eux est obèse. Ce constat amène à s’interroger sur le rôle exact de ce coupable universellement désigné qu’est l’environnement obésogène. Il ne peut effectivement en aucun cas expliquer l’inégalité des individus devant la prise excessive de poids, comme celle des enfants noirs et amérindiens outre-Atlantique, beaucoup plus sensibles à cet environnement que les enfants blancs (2). Seule une prédisposition génétique différente permet d’expliquer pourquoi certains enfants sont plus susceptibles que d’autres de devenir obèses.

Une sélection génétique

La sélection génétique des obèses dans certaines parties du monde, au cours des siècles précédents, explique probablement la susceptibilité accrue des enfants issus des ancêtres ayant subi cette sélection. En effet, dans toutes les régions de la planète où les conditions de vie ont été jadis difficiles, une sélection naturelle des obèses s’est opérée en raison de leur meilleure résistance aux périodes de disette qui accompagnaient inéluctablement ces conditions précaires (3).
La pression de cet environnement défavorable, qui permet de faire émerger les plus adaptés aux dépens des plus fragiles, s’exerce bien sûr sur plusieurs générations. Le métissage par des individus n’ayant pas subi les méfaits d’un milieu hostile est ainsi un moyen efficace pour enrayer cette sélection naturelle. Cela pourrait être une explication à la prévalence majeure de l’obésité dans certaines îles (îles de l’Océan Pacifique, Malte, Crête, etc.) dont les ancêtres n’ont pas bénéficié d’un tel métissage en raison de leur isolement géographique, et ont donc davantage subi la sélection génétique de leur environnement. On peut enfin ajouter une sélection culturelle des obèses dans certaines régions de la planète, comme la Polynésie ou certains pays d’Afrique (Togo, Mauritanie, etc.). Dans ces ethnies, le gavage de nourriture était un culte et ceux qui avaient la capacité d’en exprimer les résultats physiques, c’est-à-dire les obèses, ont toujours été glorifiés. L’obésité était un critère de beauté et de bonne santé et ceux qui le devenaient avaient une descendance bien supérieure aux autres, d’où la notion de sélection.

Un point est important pour bien comprendre. Même parmi nos ancêtres, seuls ceux dont les gènes étaient propices au développement d’une obésité étaient capables de faire des réserves, lorsque la nourriture était moins rare entre deux périodes de disette, ou de bénéficier des effets d’un gavage pour répondre aux critères de beauté de leur culture. Tous les individus n’étaient pas aptes à devenir obèses, c’est pour cette raison qu’une sélection a pu s’exercer. Même à cette époque, tous les êtres n’étaient pas égaux face à l’abondance de nourriture.

On comprend donc que les enfants issus d’ancêtres ayant vécu dans des conditions de vie propices à la sélection génétique des obèses soient aujourd’hui plus sensibles à un environnement obésogène. Nous détenons là probablement la raison pour laquelle la prévalence de l’obésité infantile est plus importante dans les populations noires et amérindiennes d’Outre-Atlantique. On notera à ce propos que, contrairement à une idée répandue, le milieu socioéconomique souvent précaire dans lequel vivent ces enfants noirs et amérindiens aux Etats-Unis n’explique pas qu’ils soient davantage atteints d’obésité. En effet, si la prévalence de l’obésité diminue lorsque le statut socioéconomique s’accroît chez les enfants blancs, l’association entre ces deux paramètres est inversée chez les noirs. En d’autres termes, le risque d’obésité est d’autant plus important chez les enfants noirs que ceux-ci vivent dans un milieu économiquement plus favorisé (2). Ce n’est pas la pauvreté qui rend obèse, mais c’est la discrimination socioéconomique subie par les obèses dans certaines cultures qui les rend pauvres (4).

Les études les plus sérieuses confirment l’origine génétique de l’obésité

Si, à la lumière de ces données, la plus grande susceptibilité génétique de certaines ethnies à l’obésité semble peu discutable, les études de jumeaux apportent la démonstration définitive de la prééminence majeure des facteurs génétiques dans l’obésité de l’enfant. En 1990, une équipe nord-américaine avait montré une excellente concordance à l’âge adulte entre les indices poids/taille2 des jumeaux monozygotes, qu’ils aient été élevés séparément, donc dans un environnement différent (70 %), ou ensemble, dans le même environnement (74 %), alors que celle-ci était beaucoup moins bonne chez les jumeaux dizygotes (respectivement 15 % et 33 %) (5). On a longtemps reproché à cette étude d’avoir été réalisée avant l’épidémie d’obésité, et d’avoir ainsi sousestimé l’effet de l’environnement obésogène moderne.

Récemment, une équipe britannique a confirmé ces données en évaluant à 77 % la part des facteurs génétiques dans la détermination de l’indice poids/taille2, grâce à l’étude de 5 092 paires de jumeaux mono- et dizygotes nées au Royaume-Uni entre 1994 et 1996, et âgées de 8 à 11 ans (6).
Encore plus récemment, un travail colossal ayant porté sur plusieurs dizaines de milliers d’individus a confirmé que les obèses étaient bien génétiquement programmés pour avoir un comportement alimentaire les conduisant à la surcharge pondérale (7).

Tous ces travaux traduisent une évidence : seuls les enfants génétiquement programmés à devenir obèses sont sensibles à l’environnement obésogène dans lequel ils vivent tous et qui permet simplement l’expression de leur prédisposition. Les autres, largement majoritaires dans tous les pays industrialisés, ne risquent pas de le devenir, quels que soient leur alimentation ou leur degré d’activité physique.

Le rôle de l’environnement : parfois plus abstrait

Une programmation précoce par des facteurs environnementaux auxquels les enfants sont exposés est également possible, probablement par l’intermédiaire de phénomènes d’épigénétique, c’est-à-dire de modification de l’expression des gènes par ces facteurs exogènes. Parmi eux, ont été suggérés, in utero, une dénutrition de la mère pendant les deux premiers trimestres de la grossesse, le tabagisme maternel et le diabète gestationnel, et, au cours des premiers mois de vie, l’allaitement artificiel plutôt que maternel, des apports protéiques accrus et des apports importants en acides gras oméga 6 (8). L’implication de la plupart de ces facteurs n’est toutefois qu’hypothétique et demande à être confirmée par des travaux futurs. D’autres facteurs environnementaux pourraient également intervenir par des mécanismes qui demandent encore à être élucidés. L’adénovirus humain 36 (9) ou certains toxiques (pesticides, phtalates) (10) ont ainsi été incriminés, mais leur rôle exact devra être confirmé.

La progression de l’obésité infantile : due à l’atteinte croissante d’enfants prédisposés

A partir de ces constats, comment expliquer la progression de l’obésité infantile dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies ?

  • Les modifications environnementales survenues au cours de cette période sont bien sûr la première explication. L’abondance alimentaire, la motorisation des déplacements, et la sédentarisation des jeux et des loisirs (télévision, informatique) se sont majorées, offrant ainsi un contexte idéal pour permettre une positivation de la balance énergétique. Une telle évolution a permis de recruter progressivement l’ensemble des enfants prédisposés de chaque pays, au fur et à mesure de l’expansion au sein du territoire de ce biotope favorable au développement de l’obésité.
  • Une autre explication possible est l’augmentation dans les pays développés du nombre d’enfants dont les ancêtres étaient issus de pays aux conditions de vie difficiles, dont on a vu qu’ils avaient été davantage génétiquement sélectionnés pour devenir obèses. L’exemple des Etats-Unis étaye cette hypothèse. En effet, la prévalence de la surcharge pondérale pédiatrique outre-Atlantique a triplé entre les années 70 et aujourd’hui, mais, durant la même période, celle-ci n’a même pas doublé chez les enfants blancs alors qu’elle a presque quintuplé chez les enfants noirs et amérindiens (2). En France, les études prenant en compte l’origine ethnique des individus ne sont pas autorisées. L’INSEE signale néanmoins dans son dernier rapport une forte hausse de l’immigration, notamment du continent africain (11). A l’hôpital Trousseau, entre le début des années 90 et aujourd’hui, nous avons constaté une multiplication par trois de la proportion d’enfants obèses originaires du Maghreb ou d’Afrique noire parmi ceux qui sont venus consulter.

La stagnation de la progression de l’obésité infantile constatée dans de nombreux pays industrialisés depuis la fin des années 90 (France, Allemagne, Suède, et Etats-Unis) (12-15) apporte un argument supplémentaire en faveur de ces explications. En effet, jusqu’à la fin des années 90, l’accroissement de la prévalence de l’obésité infantile dans ces pays a été la conséquence, d’une part de l’expansion de l’environnement obésogène à l’ensemble de leur territoire, qui a permis de recruter la totalité des enfants prédisposés, et, d’autre part, de l’augmentation de la proportion d’enfants dont les ancêtres étaient issus de continents aux conditions de vie difficile. Ultérieurement, comme l’ensemble des enfants prédisposés avait été recruté puis qu’aucune région n’était épargnée par l’environnement obésogène dans ces nations industrialisées, la progression de la prévalence de l’obésité a reposé sur l’apparition de nouveaux cas d’enfants génétiquement prédisposés.

La diminution de la natalité au fil des générations, notamment dans les familles issues de pays aux conditions de vie difficiles, et le métissage génétique ont réduit l’émergence de ces nouvelles victimes, et expliquent probablement cette tendance à la stabilisation. Aujourd’hui, dans nos pays développés, la prévalence de l’obésité infantile est déterminée par la proportion d’enfants génétiquement prédisposés ; l’environnement obésogène permet simplement l’expression de cette susceptibilité génétique, mais n’influe plus sur la progression de l’obésité. D’ailleurs, la prévalence de l’obésité infantile stagne depuis une dizaine d’années en France alors que, dans la même période, l’offre alimentaire (multiplication des junk-foods, amplification de la publicité alimentaire destinée aux enfants) et les loisirs sédentaires (Internet, jeux vidéo, programmes télévisés pour enfants) se sont considérablement accrus. Leur responsabilité est donc infiniment moindre que celle qui leur est habituellement attribuée.

Précisons enfin que le rôle de certains facteurs de programmation précoce reflétant l’évolution de notre environnement (augmentation des apports en protéines et en oméga 6, tabagisme, toxiques, etc.) ou celui d’une infection virale restent à évaluer.

Conclusion

Même si de nombreux points demandent encore à être élucidés, les raisons pour lesquelles un enfant devient obèse sont bien différentes de celles communément admises. Les décideurs et ceux qui les conseillent seraient bien avisés de mieux les connaître, cela leur éviterait de préconiser des mesures de lutte contre l’obésité infantile tout aussi inutiles que dispendieuses, sans oublier les effets délétères potentiels dont elles pourraient être responsables, notamment en aggravant la stigmatisation des enfants obèses.

A retenir

  • Seuls les enfants génétiquement prédiposés peuvent devenir obèses, les autres, largement majoritaires, n’ont pas ce risque, quelles que soient leur alimentation ou leur activité physique.
  • L’environnement obésogène ne permet que l’expression phénotypique des enfants génétiquement prédisposés, il est sans effet sur les nombreux autres que la nature a épargnés.
  • La prévalence de l’obésité infantile stagne dans les pays industrialisés alors que leur environnement est de plus en plus obésogène, démontrant ainsi que ce dernier n’influe plus sur la progression de l’obésité infantile.

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