2 – Prescrire la nutrition entérale

Quand ?

  • Les principales indications sont dominées par les anomalies du temps oro-oesophagien, qui représentent presque la moitié des indications de NE : déglutition non fonctionnelle (encéphalopathies, maladies neuromusculaires, dysfonctionnement ou immaturité du tronc cérébral), obstacle organique (sténoses caustiques ou peptiques, compression tumorale), atteinte muqueuse (épidermolyse bulleuse).
  • Les autres indications sont représentées par :
    – les pathologies digestives entraînant une réduction anatomique ou fonctionnelle durable des capacités d’absorption intestinale (grêle court, maladie de Crohn, mucoviscidose…) ;
    – les affections chroniques extradigestives responsables d’une augmentation des besoins énergétiques et/ou d’une anorexie (pathologies en oncologie, cardiopathie, insuffisance respiratoire chronique, hépatopathie évoluée, brûlures graves étendues, polytraumatisme) ;
    – les maladies métaboliques : pathologies exposant à l’hypoglycémie lors du jeûne nocturne ou à une augmentation du catabolisme protéique.

Comment ?

La NE est administrée sous couvert d’une prescription médicale et après avoir informé l’enfant et ses parents sur l’intérêt, les modalités, les contraintes et les bénéfices attendus. Il faut respecter les modalités d’administration concernant la sonde, la pompe et les nutriments.

Quel accès digestif ?

  • La sonde nasogastrique
    Les sondes de petit calibre (charrière 6 à 12 French, en fonction de l’âge de l’enfant), en élastomère de silicone ou polyuréthane, sont recommandées pour leur meilleure tolérance. Elles permettent de réaliser une NE sans difficulté, sous réserve d’éviter l’introduction de produits peu fluides, comme certains médicaments. Il ne faut pas utiliser de sondes en PVC, car traumatisantes et à réserver aux situations d’aspiration digestive. Chez les nourrissons, il faut penser à la changer régulièrement, parfois une fois par semaine, afin d’éviter l’apparition d’escarres de la narine notamment. La mise en place et la surveillance de ces sondes font souvent l’objet de procédures écrites dans les centres hospitaliers.
  • La gastrostomie
    La mise en place par voie endoscopique est la plus fréquente en pédiatrie, mais elle se fait parfois par voie chirurgicale, et toujours sous anesthésie générale. Elle est indiquée si la nutrition entérale doit durer plus de 3 mois. Il existe peu de contre-indications, hormis l’hypertension portale. Elle sera remplacée au bout de 2 mois minimum par un bouton de gastrostomie, le plus souvent à ballonnet, plus rarement à dôme.
  • L’abord jéjunal
    Par sonde nasoduodénale, par sonde gastrojéjunale ou par jéjunostomie chirurgicale. Ce matériel est en général compliqué à poser chez l’enfant, et n’est réservé qu’aux situations de reflux gastro-oesophagien sévère ou chez des enfants présentant une gastroparésie.

Utilisation de la pompe

Pour toutes ces voies d’administration, en pédiatrie, la nutrition se fait par pompe sous pression. Il n’y a pas d’administration des nutriments par gravité (à part dans des situations particulières comme en néonatalogie).

  • Le rythme
    La NE est en général réalisée de façon discontinue. Elle peut être cyclique nocturne, sur 10 à 14 heures, avec maintien ou pas d’apports libres par la bouche dans la journée, ou alors en continu sur 24 heures. On peut également utiliser des bolus fractionnés dans la journée, administrés à la pompe. Le choix du mode d’administration doit tenir compte du contexte de vie, de l’âge, des souhaits de l’enfant et de sa famille, ainsi que des contraintes médicales et de tolérance.
  • Le matériel
    On utilise des pompes volumétriques avec régulateur de débit et alarmes. Elles sont désormais fréquemment “portables”, permettant une plus grande mobilité de l’enfant. Les tubulures sont adaptées aux pompes et doivent être changées toutes les 24 heures.

Quel mélange nutritif ?

Le choix du mélange nutritif dépend de l’état nutritionnel, de l’existence ou non d’une pathologie digestive, de l’âge, du site d’infusion. En général, on utilise un produit polymérique lorsque la fonction digestive est normale. Les indications et la composition des produits sont exposées dans le tableau 1.

Quel mélange, à quel âge ?

  • De 0 à 1 an :
    Il existe un seul produit polymérique industriel adapté en flacon verre de 100 ml ou pack de 200 ml. Pour les nourrissons nécessitant une diète semi-élémentaire ou un apport hypercalorique, on utilise des mélanges “artisanaux”, avec hydrolysats de protéines de lait de vache ou préparations diététiques pour nourrisson ou de suite enrichies. Il faut alors respecter les consignes de préparation des mélanges (respect des doses, hygiène des mains, du plan de travail et du matériel) et de conservation des préparations avant usage dans un récipient fermé et de réfrigération.
  • De 1 à 12 ans :
    Il existe une gamme de produits pour les enfants de 1 à 7 ans (8 à 20 kg) et de 7 à 12 ans (21 à 45 kg), et une gamme pour les enfants de 1 à 12 ans. Un seul produit semi-élémentaire pédiatrique est disponible, et plusieurs produits destinés à la maladie de Crohn. Au-delà de 45 kg, on peut utiliser un produit de gamme adulte. Pour les maladies métaboliques, il existe des produits tout à fait spécifiques.

La composition des mélanges industriels est indiquée dans le tableau 2.
Les volumes de conditionnement des mélanges industriels sont de 500 ml. Ces produits sont à garder à l’abri de la lumière dans un endroit sec, à température ambiante. Il ne faut jamais déconditionner le produit, même si le volume administré n’est pas celui de la poche prête à l’emploi. Ces produits sont stériles, sans gluten et sans lactose.

Initiation, équilibre, sevrage et surveillance de la nutrition entérale

Cette NE sera toujours débutée en milieu hospitalier, de façon progressive de manière à éviter les risques potentiels, chez l’enfant très dénutri, de syndrome de renutrition inappropriée, mais aussi afin d’en apprécier la tolérance.

La phase initiale

Elle est toujours caractérisée par l’augmentation progressive des apports en fonction de la tolérance clinique, sur 3 à 5 jours, en commençant par des débits de 10 à 20 ml/h et en augmentant par paliers progressifs de 10 à 20 ml/h jusqu’au volume souhaité, en fonction de l’âge de l’enfant. Il est recommandé chez le nourrisson de ne pas dépasser, au début, des débits de 50 ml/h.

La phase d’équilibre

Elle est atteinte lorsque les volumes administrés ne sont plus modifiés.
C’est la phase où la tolérance est appréciée sur :

  • l’absence de signes digestifs, tels que les nausées, vomissements, ballonnement, météorisme abdominal ;
  • l’absence de signes extradigestifs : toux, agitation ;
  • les caractéristiques des selles : nombre, volume, aspect, présence de sang.

La présence d’un de ces signes conduit à vérifier l’absence de problèmes techniques et/ou à réduire, voire à arrêter l’administration. Un vomissement le matin au réveil est fréquemment observé et ne doit pas toujours être considéré comme pathologique. L’efficacité à long terme est jugée sur la croissance staturo-pondérale et l’évolution de la pathologie sous jacente. Chez le nourrisson, il ne faut pas oublier l’entretien des fonctions de succion-déglutition.

La phase de sevrage

Le sevrage se fait toujours à domicile, car il dure plusieurs semaines (cette phase est d’autant plus longue que la période de NE était prolongée), après une formation des parents. Le sevrage débute lorsque les prises alimentaires par voie orale sont suffisantes pour assurer une prise de poids correcte. Elle est toujours faite de manière progressive. En pratique, on peut maintenir une infusion nocturne et introduire des repas fractionnés dans la journée, ou proposer des nuits de débranchement (par exemple, une nuit de débranchement par semaine, puis une autre, et ainsi de suite…), ou encore une baisse du débit d’infusion de manière régulière, sur 1 mois par exemple, et on surveillera la courbe de poids.
Chez les moins de 12 mois, le relai se fait avec un lait adapté à l’âge de l’enfant (préparation pour nourrisson ou de suite), ou à leur pathologie (hydrolysat de protéines de lait de vache, par exemple).
On essaie toujours de maintenir les fonctions de succion-déglutition par l’utilisation d’une tétine ou de petites quantités d’alimentation, si cela est possible.

La surveillance

  • Tous les jours, à la phase initiale, il faut surveiller la tolérance digestive, pulmonaire, évaluer les ingesta spontanés, la position de la sonde, le poids.
  • Régulièrement, tant que le support nutritionnel est maintenu, il faudra réévaluer la taille et calculer le rapport poids sur taille, et suivre l’évolution de la courbe staturo-pondérale et des apports caloriques.

L’administration des médicaments

Les enfants recevant une NE ont souvent des difficultés à recevoir leur traitement par voie orale et, de ce fait, la sonde est souvent utilisée pour leur administration. Il faut prendre certaines précautions :

  • ne pas les administrer en même temps que la NE ;
  • ne pas les ajouter au mélange nutritif, ni les mélanger entre eux ;
  • rincer la sonde après l’administration ;
  • préférer les formes liquides ;
  • vérifier l’effet attendu du médicament (dosage sanguin quand cela est possible).

Les complications

La fréquence des complications est mal connue, car il existe peu de publications sur ce sujet. Cependant, les complications graves sont rares. Elles sont surtout mécaniques, infectieuses ou métaboliques. Elles sont représentées dans le tableau 3.

Conclusion

La NE est une technique bien tolérée chez l’enfant et de plus en plus utilisée. Elle est arrêtée lorsque les objectifs nutritionnels sont atteints et que l’enfant est autonome sur le plan de l’oralité. La surveillance de l’état nutritionel au moment de ce sevrage doit rester étroite, ce qui implique un suivi rapproché par le médecin traitant. Les complications graves sont rares. Mais il manque des données épidémiologiques en France sur la qualité de vie au long cours de ces enfants.

La nutrition entérale à domicile, en pratique

1. Elle est réservée aux patients associant un état de dénutrition avéré ou à risque de dénutrition.

2. Assurée pour une prestation globale couvrant la fourniture à domicile par le même prestataire des matériels, des nutriments et d’une prestation de service.

3. Seuls sont pris en charge les nutriments ayant reçu un numéro d’agrément délivré par arrêté du ministère (problème de non-remboursement pour les mélanges « artisanaux » en pédiatrie).

4. Deux forfaits possibles avec et sans fourniture de pompe auxquels s’ajoutent la prise en charge des nutriments, des sondes naso-gastriques et des boutons de gastrostomie.

5. Le rôle du prestataire de service
• Fourniture du matériel : pompe, tubulures spécifiques, pied à sérum mobile.
• Prestations techniques :
– livraison à domicile tous les 28 jours des nutriments,
– service d’astreinte 24h/24 et 7j/7,
– surveillance de l’état du matériel tous les 3 mois,
– remplacement dans les 12 heures en cas de panne.
• Prestations administratives :
– gestion du dossier administratif du patient,
– de la continuité des soins,
– des vacances.
• Un diététicien mandaté par le prestataire assure la visite au domicile le jour de l’installation, à 14 jours, à la fin du premier mois et tous les 3 mois.
Il s’assure du bon respect de la prescription.
Il assure la coordination du suivi du patient avec le médecin traitant, le médecin prescripteur, les paramédicaux et réalise un compte rendu de visite communiqué au prescripteur.

6. Le médecin prescripteur initial est un médecin hospitalier public ou privé.
• La prise en charge initiale est assurée au départ pour une durée de 3 mois, puis renouvelée tous les ans (subordonnée à une évaluation nutritionnelle par le service initiateur).
• Le prescripteur :
– informe le patient sur le déroulement de la nutrition entérale à domicile,
– assure le suivi, ajuste l’ordonnance.

7. Pour le patient ou les parents
• Mise à disposition :
– d’un guide pratique d’utilisation,
– du carnet de suivi (données anthropométriques, intervenants, rappel de la prescription).

 

Pour en savoir plus


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