2 – Prévention de l’obésité de l’enfant

Depuis plusieurs années, politiques de tout bord, professionnels de santé, associations de consommateurs et industriels de l’agro-alimentaire se mobilisent pour tenter de freiner la progression de l’obésité infantile. Des actions de prévention sont développées de toute part, dans les écoles, à la télévision, sur les étiquetages des produits alimentaires, et des mesures coercitives sont préconisées, suppression de la publicité alimentaire destinée aux enfants, taxation des produits gras et sucrés. Sans nul doute, les intentions de chacun sont sincères et leur contribution dans cette lutte ne peut qu’être encouragée. Cependant, la réalité du terrain et les données scientifiques conduisent à s’interroger à la fois sur l’efficacité de ces interventions, et également sur leurs potentiels effets collatéraux.

La prévention collective actuelle de l’obésité est inadaptée

Les preuves de son inefficacité

Nous avons vu, dans le premier article de ce dossier, que la prévalence de l’obésité infantile ne progressait plus dans les pays industrialisés depuis environ une décennie. Il est tentant, pour les pays comme la France qui ont mis en place des campagnes de prévention depuis plusieurs années, de penser qu’ils en obtiennent là les bénéfices. On peut effectivement imaginer que ces campagnes aient eu pour l’obésité un succès planétaire jamais obtenu jusque là dans d’autres domaines. On peut également plus raisonnablement considérer qu’il s’agit d’une simple coïncidence. En effet, la prévalence de l’obésité ne croît plus chez l’enfant, alors que notre environnement est de plus en plus obésogène (multiplication des junk-foods, amplification de la publicité alimentaire destinée aux enfants, Internet, jeux vidéo, programmes télévisés pour enfants), apportant ainsi de solides arguments en faveur de l’absence de lien entre ces deux phénomènes. Aujourd’hui, la proportion d’enfants obèses est en fait déterminée par celle des enfants génétiquement prédisposés dont le nombre tendrait donc à se stabiliser (voir article 1 de ce dossier pour plus d’explications).

Dans la mesure où la majorité des enfants des pays industrialisés n’a pas de prédisposition constitutionnelle à devenir obèse, et n’est donc pas concernée par la prévention de l’obésité, on peut douter de l’efficacité de mesures préventives s’adressant à l’ensemble de la population.

Parmi les nombreux moyens mis en œuvre pour prévenir l’obésité infantile à l’échelon collectif, seules les mesures éducatives, notamment celles dispensées dans les écoles, ont été évaluées.
Une méta-analyse récente a repris toutes les études contrôlées réalisées entre 1990 et 2005 dont l’objectif était d’évaluer l’efficacité des mesures préventives de l’obésité mises en place chez l’enfant (1). Vingt deux travaux ont été sélectionnés, la grande majorité (19 sur 22) était réalisée en milieu scolaire. Les interventions associaient une éducation nutritionnelle et la promotion de l’activité physique dans la plupart des cas. Les résultats sont sans équivoque puisque 19 d’entre elles ne montrent aucune efficacité sur la prévention de l’obésité, l’une trouve un effet à la limite de la significativité chez les filles, mais pas chez les garçons, et les deux restantes des résultats statistiquement significatifs mais cliniquement insignifiants. On notera enfin qu’aucune donnée sur les coûts de ces mesures, probablement colossaux, n’était rapportée. Cette méta-analyse confirme donc clairement l’inefficacité quasi unanime de la prévention collective de l’obésité, notamment dans les écoles. D’autres experts expriment une opinion similaire (2, 3).

Les programmes d’éducation nutritionnelle dispensés dans les écoles et destinés à prévenir l’obésité doivent être abandonnés. Ils sont, non seulement inefficaces, mais risquent de surcroît d’amplifier la stigmatisation des enfants obèses.

Les études d’intervention, notamment en milieu scolaire, représentent ce que l’on peut faire de mieux en matière de prévention collective de l’obésité infantile. Même si elles améliorent parfois les connaissances diététiques des enfants (4), elles ont presque toutes échoué dans leur objectif principal, sans préjuger de leur coût, et ceci avec maintenant un recul de près de vingt ans. Il est donc urgent d’évaluer l’efficacité, avec une véritable rigueur scientifique, de toutes les mesures collectives actuelles censées endiguer la progression de l’obésité infantile. Les intentions de leurs initiateurs sont louables et leur enthousiasme sincère, mais toutes les données objectives disponibles portent à croire que leur investissement risque d’être vain.

Le risque d’effets collatéraux potentiels

Il est également légitime de s’interroger sur les possibles effets collatéraux des campagnes de prévention de l’obésité infantile.

  • Tout d’abord, n’accroissent-elles pas la discrimination et la stigmatisation des enfants obèses en laissant croire que leur état est la conséquence d’un manque notoire de volonté qui les fait succomber aux aliments gras et sucrés, notamment ceux promus par les publicités, ou qui les rend paresseux ? L’opinion exprimée par beaucoup, principalement ceux qui ne connaissent pas le problème de l’obésité infantile, fait craindre que c’est bien le cas.
  • Ensuite, n’entraînent-elles pas un sentiment de culpabilité chez les parents d’enfants obèses en insinuant que ce mal est dû à une éducation déficiente ou un laxisme manifeste ? Nous consacrons aujourd’hui beaucoup de temps en consultation à rassurer les parents sur ce point, alors qu’il était rarement abordé auparavant.
  • Enfin, en laissant imaginer que l’obésité menace chaque enfant, ne risquent-elles pas d’entraîner des troubles du comportement alimentaire chez ceux, nombreux, qui n’ont pas de prédisposition génétique et qui ne sont donc pas concernés ? La recrudescence sensible des conduites alimentaires pathologiques, le plus souvent motivées par le risque de devenir obèse, que constatent unanimement les spécialistes du domaine depuis quelques temps corroborent cette inquiétude.

Une prévention ciblée sur les enfants à risque

Dans la mesure où seuls les enfants constitutionnellement prédisposés risquent de devenir obèses, une prévention ciblée sur ces enfants semble plus opportune.

L’existence d’une obésité parentale et surtout la précocité de l’âge du rebond de l’indice poids/taille2, c’est-à-dire sa réascension avant l’âge de 6 ans, sont deux facteurs de risque aisément décelables en pratique courante.
C’est aux professionnels de la santé de l’enfant, et notamment à ceux de la médecine scolaire, qu’incombe la responsabilité de dépister ces enfants à risque et d’informer les familles sur les mesures éducatives qu’elles doivent mettre en place. Celles-ci sont simples dans leur principe, qui consiste à limiter les quantités ingérées et augmenter l’activité physique, mais difficiles dans leur application au long cours. On conçoit donc bien que seule la famille de l’enfant peut les lui transmettre, ni l’école, ni les pouvoirs publics ne peuvent s’y substituer.

La prévention ciblée sur les enfants à risque est séduisante et mérite donc d’être promue. Il faut néanmoins, là encore, faire preuve d’une grande humilité, car son efficacité à long terme n’a encore jamais été démontrée (5). Il est effectivement légitime de s’interroger sur les conséquences que pourrait avoir un dépistage précoce sans solution thérapeutique efficace sur les enfants ainsi étiquetés (5). La prévention ciblée doit malgré tout être encouragée car elle présente le double avantage de s’avérer peut-être efficace et de ménager les nombreux enfants que la nature a épargnés.

Conclusion

La prévention de l’obésité de l’enfant telle qu’elle est actuellement préconisée n’offre pas les meilleures garanties, ni de succès, ni d’innocuité. Il est donc nécessaire de mobiliser différemment les acteurs qui s’investissent avec beaucoup d’enthousiasme dans cette bataille pour que leur engagement puisse véritablement venir en aide aux enfants qui risquent de devenir obèses.
La concentration des moyens de prévention sur les enfants à risque est sûrement une voie à privilégier. Cela ne signifie pas que les autres enfants peuvent manger n’importe quoi et n’importe quand. Tous les enfants doivent bénéficier d’une éducation nutritionnelle de la part de leurs parents car les régimes déséquilibrés peuvent être responsables de carences. Mais la plupart d’entre eux ne risquent pas de devenir obèses. Il est regrettable que certains discours leur laissent croire le contraire. La meilleure connaissance des facteurs de programmation génétiques, voire épigénétiques, qui conduisent un enfant à devenir obèse est l’axe de recherche à développer. Elle permettrait de mieux orienter les mesures préventives en ciblant les enfants concernés et en agissant sur certains déterminants intervenant in utero ou dans les premiers mois de vie (6).
Puissent nos décideurs le comprendre et orienter différemment leurs actions et les budgets dont ils ont la responsabilité.

Moyens pratiques pour prévenir l’obésité chez les enfants à risque

  • Habituer les enfants à manger des aliments à faible densité énergétique (légumes, fruits).
  • Limiter le grignotage.
  • Eduquer les enfants à ne pas se resservir.
  • Proposer des portions individuelles (biscuits, boissons) qui permettent de limiter les quantités consommées.
  • Apprendre à l’enfant à maîtriser la quantité ingérée des produits à palatabilité accrue (confiseries, crèmes dessert, viennoiseries, boissons sucrées, etc.).
  • Privilégier les déplacements à pied.
  • Inciter à la pratique d’une activité sportive.
  • Proposer des activités de remplacement aux loisirs sédentaires.

À retenir

  • Les campagnes actuelles de prévention de l’obésité infantile et certaines mesures préconisées (suppression de la publicité alimentaire destinée aux enfants, taxes sur les produits gras et sucrés) sont inadaptées et potentiellement délétères.
  • La prévention individuelle, ciblée sur les enfants à risque (obésité parentale, précocité de l’âge de rebond de l’IMC), doit être préférée.

 

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