3 – Comment prendre en charge un enfant obèse ?

De nombreuses idées reçues circulent sur la prise en charge de l’enfant obèse. Elles conduisent à inquiéter inutilement les familles, prescrire des examens sans intérêt et donner des conseils non fondés. Cet article a pour ambition de fournir des éléments de réflexion dont les objectifs sont de rendre la prise en charge des enfants obèses à la fois plus efficace et moins délétère.

Prise en charge clinique

Quand rechercher une cause à l’obésité ?

  • Les endocrinopathies (hypercorticismes, déficit en hormone de croissance, hypothyroïdie) ne sont qu’exceptionnellement révélées par une obésité. Elles ont toutes en commun de s’accompagner d’un ralentissement de la croissance staturale (Figure 1), alors que celle-ci est parfois accélérée en cas d’obésité commune.

Les explorations endocriniennes (bilan thyroïdien, recherche d’un hypercorticisme ou d’un déficit en hormone de croissance) sont inutiles si la croissance staturale n’est pas ralentie.

  • Les causes génétiques s’intégrant dans un syndrome (Prader-Willi Laurence-Moon-Biedl, etc.) sont elles aussi très rares. Elles ne doivent être évoquées que s’il existe des antécédents d’hypotonie néonatale (Prader-Willi), un retard mental, statural ou pubertaire, ou une dysmorphie. Un diagnostic moléculaire est possible pour les plus fréquentes.
  • Les obésités monogéniques dues à des mutations portant sur les gènes de certains peptides impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire sont rares et n’aboutissent pour l’instant à aucune thérapeutique spécifique en dehors des exceptionnels déficits en leptine. Il n’est donc pas utile de les rechercher en pratique clinique courante dans l’état actuel des connaissances.

Le diabète : exceptionnel chez l’enfant obèse

  • L’insulinorésistance est fréquente puisqu’elle atteint environ la moitié des enfants obèses (Tableau 1). Elle peut être responsable d’un acanthosis nigricans, caractérisé par une peau rugueuse, épaissie et quadrillée, souvent recouverte d’une pigmentation noirâtre et localisée principalement aux aisselles et au cou (Figure 2). Malgré cette fréquence élevée, il est inutile de la rechercher en pratique courante, car elle n’occasionne aucune mesure thérapeutique particulière.

  • L’intolérance au glucose est beaucoup moins fréquente, se retrouvant chez seulement 10 à 15 % des enfants obèses (1) (Tableau 1). Elle se définit, comme chez l’adulte, par une glycémie à jeun inférieure à 7 mmol/l et une glycémie 120 min. après ingestion de glucose supérieure à 7,8 mmol/l et inférieure à 11,1 mmol/l au cours d’une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO). En pratique clinique, sa recherche ne deviendra utile que s’il est démontré que la mise en route d’un traitement spécifique diminue les risques ultérieurs de diabète ou de complications cardiovasculaires. Une telle attitude thérapeutique n’étant pas recommandée pour l’instant, il n’est pas justifié de la rechercher systématiquement chez les enfants obèses.
  • Le diabète de type 2 est en revanche tout à fait exceptionnel. En effet, seuls les enfants ayant une forte prédisposition génétique au diabète peuvent révéler cette maladie s’ils deviennent obèses (1). Les enfants d’origine asiatique et, à un moindre degré, ceux génétiquement issus d’Afrique noire, sont les plus concernés. En revanche, l’obésité ne se complique pas de diabète avant l’âge adulte chez les enfants d’origine européenne ou maghrébine (1). La recherche d’un diabète (glycémie à jeun supérieure à 7 mmol/l ou glycémie 120 min. après ingestion de glucose supérieure à 11,1 mmol/l au cours de l’HGPO) n’est donc nécessaire que chez les enfants obèses ayant une origine asiatique, voire chez ceux d’origine africaine. Chez tous les autres enfants obèses, la recherche systématique d’un diabète n’est pas justifiée (1). En raison de sa grande rareté, la découverte d’un diabète chez un enfant obèse doit toujours conduire à la recherche d’une autre cause que l’obésité (MODY, diabète auto-immun) ou de conditions de mesure incorrectes, tout particulièrement chez ceux ne faisant pas partie des groupes ethniques prédisposés (1).

Une dyslipidémie : à rechercher chez certains enfants

Une dyslipidémie se rencontre chez environ un enfant obèse sur cinq (Tableau 1). La recherche systématique d’une dyslipidémie n’est pas justifiée car les mesures diététiques qu’elle impose sont pratiquement les mêmes que celles proposées à tous les enfants obèses. En revanche, s’il existe une dyslipidémie familiale, il est indispensable de vérifier si l’enfant obèse en a hérité, car certaines d’entre elles nécessitent un traitement médicamenteux.

L’hypertension artérielle : rare

Les pressions artérielles systolique et diastolique de repos sont souvent augmentées chez l’enfant obèse, mais elles dépassent rarement les limites physiologiques (Tableau 1). Ainsi, lorsqu’une pression artérielle élevée est mise en évidence lors d’une consultation, elle devra toujours être confirmée ultérieurement avant d’affirmer l’existence d’une hypertension artérielle. En pratique, il n’est pas rare qu’une hypertension artérielle soit trouvée lors d’une première consultation, mais pas lors des suivantes.

Les complications Orthopédiques doivent être connues

  • Un genu valgum est fréquemment constaté à l’examen clinique. Il s’agit en fait plus souvent d’une attitude vicieuse des membres inférieurs consécutive à l’écartement de ces derniers par la largeur des cuisses, que d’un véritable genu valgum osseux. Dans tous les cas, le genu valgum est peu arthrogène, n’entraîne pas de douleurs, et ne nécessite donc pratiquement jamais de traitement orthopédique.
  • L’épiphysiolyse de hanche, qui entraîne un glissement de la tête fémorale sur la métaphyse, est rare mais grave. Observée lors de la poussée de croissance pubertaire, elle se manifeste par des douleurs chroniques de la hanche ou du genou qui entraînent une boiterie à la fatigue. L’examen clinique en décubitus dorsal montre une limitation de la rotation interne du membre atteint. Après confirmation radiologique du diagnostic, un traitement chirurgical (fixation in situ par vissage) doit être institué en urgence pour éviter l’aggravation du glissement de la tête fémorale, source de nécrose de la tête fémorale et de coxarthrose précoce (2).

Complications respiratoires : Systématiquement recherchées à l’interrogatoire

  • L’asthme est plus fréquent chez l’enfant obèse (3). Il est indispensable d’interroger systématiquement les enfants obèses à la recherche d’une dyspnée inhabituelle lors des activités physiques et surtout une toux à l’effort. Dans la mesure où la mauvaise tolérance de l’effort physique est une plainte fréquente de l’enfant obèse, il faut toujours évoquer une maladie asthmatique révélée par l’effort avant d’attribuer ces difficultés à la simple surcharge pondérale. Une fois dépistée, l’asthme devra être efficacement traité pour faciliter l’application des consignes thérapeutiques portant sur l’accroissement de l’activité physique.
  • Les apnées du sommeil sont une complication potentiellement grave, qui atteint surtout les enfants souffrant d’une obésité sévère (4). Un enregistrement polygraphique ventilatoire nocturne doit être demandé lorsqu’un enfant a une obésité sévère et se plaint de l’un des symptômes suivants : somnolence diurne active (sieste) ou passive (endormissement en position assise), ronflements nocturnes importants avec reprises inspiratoires bruyantes ou respiration saccadée, cauchemars ou agitation nocturne inhabituels, réveils nocturnes fréquents, énurésie, céphalées matinales. Avant d’attribuer ces apnées à la seule obésité, il convient d’écarter une hypertrophie amygdalienne dont la correction chirurgicale permet le plus souvent de faire disparaître les apnées. Elles entravent fortement la qualité de vie, notamment en raison de la somnolence qu’elles entraînent, et réduisent les capacités d’apprentissage et de mémorisation. Une ventilation nasale en pression positive continue est indiquée dans les formes graves.

Complications endocriniennes : une souffrance psychologique possible

  • Chez les filles, la puberté est avancée (apparition des caractères sexuels secondaires avant 10 ans) dans 10 à 20 % des cas (5). Les troubles des règles (spanioménorrhée) et le syndrome des ovaires polykystiques relativement fréquents chez l’adulte, sont rares chez l’adolescente.
  • Chez les garçons, l’âge de la puberté est peu ou pas influencé par l’obésité. En revanche, il n’est pas rare de voir un pseudohypogénitalisme se traduisant par une verge enfouie dans la masse graisseuse hypogastrique et paraissant donc minuscule. Bien que peu d’enfants l’expriment, ce problème est souvent la source d’une souffrance psychologique importante. L’adipogynécomastie conduit également à une gêne physique majeure (Figure 3). Il s’agit d’une accumulation de graisse au niveau de la région mammaire, simulant le développement de seins. Une chirurgie reconstructrice doit être proposée dans les cas les plus mal tolérés.

Stéatose hépatique : pas systématiquement recherchée

Une stéatose hépatique est rencontrée chez 10 à 20 % des enfants obèses (6). Elle s’exprime principalement par une augmentation modérée des transaminases à 1,5-3 fois la normale ; une élévation plus importante doit faire rechercher une autre cause. Dans la mesure où elle ne nécessite aucune prise en charge spécifique et que son évolution est presque toujours bénigne à moyen terme, il est inutile de la rechercher à titre systématique chez l’enfant obèse.

Les principales complications : d’ordre psychologique

La surcharge pondérale entraîne, chez presque tous les enfants, des perturbations psychologiques dont l’intensité et le vécu sont variables selon la robustesse psychique de chaque individu, mais également l’attitude de l’entourage familial et médical (7).
La souffrance psychologique qu’entraîne l’obésité peut s’exprimer par une perte de l’estime de soi, la peur du regard des autres, la douleur d’être différent, ou encore la tristesse de ne pouvoir bouger ou s’habiller comme on le souhaiterait.
La discrimination sociale dont sont victimes les enfants obèses, et ceci quel que soit leur âge, explique en grande partie la souffrance psychologique qui en résulte. La prise en charge thérapeutique peut également aggraver ces troubles en raison de l’écartèlement mental auquel est confronté l’enfant en permanence entre, d’une part, le sentiment d’être dans l’incapacité de continuer à supporter la frustration qu’entraîne la restriction énergétique et, d’autre part, la crainte de rester gros s’il succombe à cette sensation physiologique de faim.

Prise en charge thérapeutique

Réduire les ingesta spontanés

Les enfants obèses ont des ingesta spontanés quantitativement augmentés lorsqu’ils ne se restreignent pas (8). Plusieurs entretiens sont souvent nécessaires pour le démontrer car ils ont tendance à sous-estimer leurs ingesta. L’étude qualitative du comportement alimentaire des enfants obèses a peu d’intérêt car, quelles que soient la proportion relative de chaque nutriment ou la répartition des calories ingérées dans la journée, seul un excès énergétique global permet de maintenir ou d’aggraver la surcharge pondérale (8).

L’objectif de la prise en charge diététique est de diminuer les apports énergétiques au-dessous du niveau des dépenses énergétiques. Elle nécessite donc une restriction énergétique qui sera d’autant plus importante que l’activité physique sera faible. Dans la mesure où la réduction des ingesta entraîne une stimulation de l’appétit (8), le maintien de la restriction énergétique requiert une motivation solide et constante pour ne pas céder à cette faim permanente. On comprend ainsi qu’une quelconque perturbation psychologique, susceptible de détourner la volonté de l’enfant à maigrir, puisse provoquer une reprise pondérale rapide.

En pratique

Les conseils diététiques doivent être réalistes, pragmatiques, progressifs et surtout individualisés, tenant compte des goûts de l’enfant et des habitudes culinaires de la famille.

  • Au début, la réduction des aliments à forte densité énergétique, notamment des produits gras, la limitation du grignotage et la diminution des boissons sucrées si elles étaient consommées en excès, suffisent à diminuer les calories ingérées (9).
  • Dans un second temps, une réduction de plus en plus importante des quantités ingérées devient nécessaire pour obtenir une poursuite de la réduction pondérale.

Aucun aliment, ni aucune boisson ne doivent être interdits, il faut juste apprendre à la famille que, pour maintenir un niveau d’apports énergétiques bas, les volumes ingérés d’un aliment seront d’autant plus faibles que sa densité énergétique sera importante.

Il est également important de respecter les habitudes de l’enfant en matière de répartition des repas. Ainsi, il est inutile d’imposer un pe- tit-déjeuner à un adolescent qui n’a pas l’habitude d’en prendre car il n’a jamais été démontré que l’absence de petit-déjeuner hypothéquait les chances de succès thérapeutique !

Augmenter l’activité physique

Il faut avant tout encourager la marche, en s’appuyant sur des activités quotidiennes inévitables comme le trajet vers l’école ou la promenade du chien, ceci afin d’assurer une compliance correcte.
Il est également justifié de persuader l’enfant de pratiquer une activité sportive régulière. Il n’y a pas de sport idéal à recommander, l’important est que l’enfant choisisse lui-même celui qu’il apprécie.
Enfin, la réduction des loisirs sédentaires demande un remplacement de ceux-ci par une autre activité et non leur interdiction abrupte qui est souvent inefficace et propice au grignotage.

Assurer un soutien psychologique permanent

Le soutien psychologique des enfants obèses a une véritable action thérapeutique et constitue même parfois l’objectif prioritaire du projet thérapeutique. Il doit à la fois stimuler en permanence la motivation de l’enfant et l’aider à maîtriser les sentiments de frustration qu’entraînent les modifications de comportement préconisées.

Les encouragements continus, les compliments soutenus lorsque les conseils ont bien été suivis et la mise en valeur des résultats positifs sont primordiaux pour espérer motiver efficacement l’enfant.

En revanche, une manifestation patente de découragement, des réprimandes culpabilisantes en cas d’évolution défavorable ou l’exigence d’objectifs thérapeutiques déraisonnables ne peuvent qu’être délétères à plus ou moins long terme, même s’ils sont parfois efficaces pendant quelque temps chez certains enfants. La stigmatisation des risques somatiques potentiels liés à l’obésité est également contre-productive car elle peut accroître l’angoisse de la famille et n’est jamais source de motivation pour l’enfant.

Des objectifs thérapeutiques raisonnables

Deux niveaux croissants de succès thérapeutique peuvent schématiquement être définis (Ffigure 4).

  • Le premier niveau est d’obtenir une stabilisation de l’excès pondéral, c’est-à-dire le maintien d’une courbe d’IMC parallèle à celle du 97e percentile (Figure 4a). Il faut noter que l’IMC en valeur absolue continue à augmenter. Ce résultat est toutefois souvent vécu comme un échec par l’enfant et sa famille, il est donc nécessaire d’apporter des explications claires et encourageantes en traçant et commentant la courbe d’IMC.
  • Le second niveau est de parvenir à une réduction de l’excès pondéral se traduisant par un IMC qui se rapproche du 97e percentile (Figure 4b). L’IMC en valeur absolue peut également continuer à augmenter, mais avec une pente de croissance inférieure à celle du 97e percentile. Schématiquement, l’enfant grandit plus qu’il ne grossit selon les normes pour l’âge et le sexe. Comme une telle réduction pondérale entraîne une modification visible de la silhouette de l’enfant, elle est vécue comme un véritable succès thérapeutique, même si l’enfant est toujours en surcharge pondérale. Donc, contrairement à ce que certains préconisent, la stabilisation de l’IMC à une valeur constante n’est pas, chez l’enfant, l’objectif minimum à viser.

La disparition totale de la surcharge pondérale ne doit pas représenter un résultat à atteindre à tout prix. En effet, pour la majorité des enfants obèses, la stabilisation ou la réduction de l’excès pondéral restent l’objectif principal à atteindre, même s’il peut paraître insuffisant pour la famille. Ainsi, lorsqu’il est atteint, il faut le valoriser, expliquer aux parents qu’il s’agit d’un véritable succès thérapeutique, et assurer sa pérennisation.

 

Des réalités destinées à effacer les idées reçues

  • Les aliments sucrés ont le plus souvent une densité énergétique moindre que les aliments gras.
  • Les produits et boissons “sans sucres ajoutés” n’ont aucun intérêt dans la mesure où ils contiennent les mêmes glucides, et souvent en quantité similaire que ceux avec sucres ajoutés.
  • Les féculents doivent être limités, au même titre que les produits sucrés, pour réduire l’apport énergétique total.
  • La diabolisation des fast-foods n’a aucune justification fondée.
  • Le petit-déjeuner peut être supprimé si l’enfant le souhaite, sa suppression peut même aider à réduire les apports énergétiques au cours de la journée.
  • Le nombre de repas idéal n’existe pas, il s’agit toujours d’un choix adapté à chaque situation.

À retenir

  • Les causes endocriniennes (hypothyroïdie, déficit en GH, hypercorticisme) sont exceptionnelles et ne doivent être recherchées que s’il existe une stagnation de la croissance staturale.
  • Aucun examen complémentaire (glycémie à jeun, hyperglycémie provoquée, bilan lipidique) ne doit être prescrit à titre systématique pour rechercher une complication.
  • La souffrance psychologique est la principale complication de l’obésité de l’enfant.
  • La réduction des calories ingérées est la pierre angulaire du traitement. Les moyens pour y parvenir doivent être adaptés à chaque enfant, avec pragmatisme et sans dogmatisme.
  • Les objectifs thérapeutiques doivent être raisonnables.

 

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