Allaitement et médicament

La prise de médicaments pendant l’allaitement fait l’objet de nombreuses questions de la part des mères et des professionnels de la santé et peut causer, souvent de façon erronée, l’arrêt précoce de l’allaitement. Si un allaitement devait être cessé temporairement ou si la décision d’instaurer un allaitement mixte pour diminuer la prise de médicament par le nourrisson était prise, il est important de conseiller la mère pour qu’elle tire son lait régulièrement afin de maintenir sa production lactée.

 

En France, on estime qu’environ 60 % des femmes allaitent dans les premiers jours post-partum (1). La plupart des médicaments sont excrétés dans le lait maternel, mais entraînent une exposition pour le nourrisson correspondant à une quantité le plus souvent trop faible pour causer des effets indésirables. L’arrêt de l’allaitement est donc rarement justifié par la prise de médicaments. Toutefois, plus rarement, certains médicaments suscitent des inquiétudes, que ce soit en raison de leur effet sur la diminution de la production de lait, de leur passage important dans le lait maternel, ou encore de leur profil de toxicité.

Cet article résume les principes de base du passage des médicaments dans le lait maternel, puis discute des médicaments dont l’utilisation durant l’allaitement peut être problématique ou peut nécessiter un suivi particulier du nourrisson.

L’exposition aux médicaments durant l’allaitement

L’utilisation d’un médicament chez une femme qui allaite devrait tenir compte de la nécessité et des bienfaits du traitement pour la mère, et l’on devrait envisager parallèlement les problèmes potentiels chez le bébé allaité.

Pour juger de ces risques, il faut évaluer :

  • la quantité totale de médicament à laquelle l’enfant allaité est exposé,
  • le potentiel de toxicité pour ce dernier,
  • et l’effet des médicaments sur la production de lait.

Les questions à se poser en consultation

  • Le traitement est-il nécessaire ?
  • Le traitement choisi est-il efficace, ou un autre traitement serait-il préférable ?
  • Y a-t-il des risques à cesser le traitement ?
  • Quels sont les effets indésirables du traitement et peuvent-ils affecter le bébé allaité ?
  • Les bienfaits de l’allaitement surpassent-ils les risques potentiels liés à la prise d’un médicament par la mère ?

Comment la quantifier ?

La plupart des médicaments passent dans le lait maternel par diffusion passive (2). Ce transfert dépend de la concentration plasmatique maternelle du médicament et de son passage à travers les alvéoles mammaires.

Il est à noter que les mesures obtenues dans le lait en post-partum immédiat peuvent surestimer la quantité de médicament reçue, car les espaces interalvéolaires sont plus grands durant cette période (2).

La concentration plasmatique d’un médicament est influencée par :

  • sa voie d’administration,
  • sa posologie,
  • son volume de distribution,
  • son métabolisme,
  • et son élimination.

Ces considérations s’appliquent aussi aux métabolites actifs du médicament.

A savoir

  • Plus la concentration plasmatique maternelle libre d’un médicament est élevée, plus grands seront les risques de diffusion dans le lait maternel.
  • Les substances liposolubles diffusent plus facilement dans le lait maternel, par exemple le phénobarbital (3).
  • Les substances faiblement liées aux protéines plasmatiques maternelles diffusent plus aisément dans le lait maternel, par exemple le lithium (3). La warfarine et le propofol, liés à 99 %, diffusent très peu dans le lait maternel (2).
  • Plus le poids moléculaire est faible (< 500 Da), plus les médicaments diffusent dans le lait, par exemple le lithium (2, 4).

Les calculs à faire

On peut estimer la dose d’un médicament auquel un enfant allaité est exposé en déterminant :

  • la concentration plasmatique du médicament chez le nourrisson ;
  • ou encore en calculant, à partir des concentrations retrouvées dans le lait maternel, le pourcentage de la dose pédiatrique, ou de la dose maternelle, ajustée au poids, à laquelle il sera exposé.

  • La concentration plasmatique du médicament chez l’enfant allaité permet de déterminer si le médicament pris par la mère est décelable chez le bébé et de comparer les niveaux mesurés aux concentrations sériques chez la mère ou aux concentrations connues thérapeutiques, afin de déterminer le potentiel pour l’enfant de présenter des effets indésirables secondaires à son exposition.
    Il faut savoir que les données en post-partum immédiat peuvent être faussées par l’exposition in utero au médicament (2).
  • La dose maternelle ajustée au poids (DMAP) est un bon indice de l’exposition à un médicament d’un enfant allaité quand on ne dispose pas d’une dose pédiatrique comme élément de comparaison.

De manière empirique, si un médicament présente un pourcentage de DMAP inférieur à 10 %, il ne devrait pas occasionner d’effets indésirables chez l’enfant allaité à terme (3).

Le potentiel de toxicité d’un médicament chez l’enfant allaité

Lorsqu’un effet indésirable est rapporté chez un enfant allaité, la relation entre les problèmes présentés par ce dernier et la prise d’un médicament par la mère est difficile à établir.

Des troubles du comportement (léthargie, somnolence, irritabilité, pleurs incessants) et la perturbation de l’alimentation (succion insuffisante, troubles digestifs), avec ralentissement de la prise de poids, sont les effets indésirables les plus rapportés.
Les médicaments le plus souvent impliqués dans les notifications d’effets indésirables sont :

  • les narcotiques,
  • les antibiotiques,
  • les antihistaminiques,
  • les sédatifs,
  • et les antidépresseurs.

Ceci n’implique pas que l’allaitement doive être obligatoirement interrompu chez une mère prenant ces médicaments (3).

Attention

• Prématurés et nouveau-nés
Ils constituent le groupe le plus à risque de présenter des effets indésirables aux médicaments, car ils présentent une immaturité physiologique concernant l’absorption, le métabolisme, la distribution et l’élimination des médicaments.
Toutefois, le lait maternel est l’aliment le mieux adapté aux besoins du nouveau-né prématuré.

• Enfants de moins de 2 mois
Ils peuvent être plus sensibles aux effets secondaires des médicaments étant donné que l’élimination des médicaments peut être ralentie à cet âge (3).

 

Médicaments diminuant la production de lait

L’effet des médicaments diffère d’une femme à l’autre. On tentera d’éviter autant que possible l’utilisation de médicaments pouvant diminuer la production de lait (tableau 1), en particulier durant le premier mois suivant l’accouchement, au cours duquel l’allaitement n’est parfois pas encore bien établi. Les médicaments n’ayant pas d’impact cliniquement significatif et pour lesquels une intervention n’est pas nécessaire n’ont pas été inclus dans le tableau.

 

Médicaments pouvant être problématiques durant l’allaitement

Nous présentons ici les médicaments préoccupants dans le cadre de l’allaitement. Certains ne contre-indiquent pas l’allaitement, mais demandent un suivi partiulier chez le nourrisson.

Les antibiotiques

Plusieurs antibiotiques passent peu dans le lait maternel et, par conséquent, peuvent être utilisés en allaitement. Par contre, les tétracyclines, le chloramphénicol et le métronidazole (dose élevée) sont des antibiotiques faisant l’objet d’une mise en garde.

  • L’usage de tétracyclines est contre-indiqué chez les enfants de moins de huit ans en raison du risque de coloration des dents de lait. Durant l’allaitement, la liaison du médicament au calcium présent dans le lait inactivera en partie l’antibiotique. De plus, à partir des concentrations de doxycycline, minocycline et tétracycline mesurées dans le lait maternel, on estime qu’un nourrisson prendrait moins de 5 % de la DMAP par le lait maternel (2, 5). Aucun cas de coloration des dents de lait n’a été rapporté à la suite d’une exposition par l’allaitement. Les tétracyclines sont déconseillées en cas d’allaitement (Vidal 2011), mais, en pratique, il est généralement convenu qu’un traitement de courte durée (maximum 2 à 3 semaines) est possible en cas d’allaitement si d’autres options ne peuvent pas être utilisées, mais qu’un traitement prolongé doit être évité en raison du manque de données et des inquiétudes au regard du potentiel d’effets indésirables (2, 5).
  • Le chloramphénicol, quoique rarement utilisé de nos jours, est aussi listé parmi les médicaments problématiques en cas d’allaitement, en raison principalement de ses effets indésirables graves (dyscrasies sanguines, syndrome du bébé gris), rapportés chez des nouveau-nés traités par cet antibiotique (2, 5).
  • Selon la monographie Vidal 2011, le métronidazole doit être évité en cas d’allaitement. Si la mère prend une dose unique de 2 g de métronidazole, pour le traitement de la trichomonase par exemple, son enfant allaité peut ingérer jusqu’à 25 % d’une dose pédiatrique ; on recommande alors d’attendre 12 à 24 heures après la prise avant de redonner le sein (5). Cette recommandation ne concerne pas les doses de 500 mg ou moins (répétables 3 ou 4 fois/j).

Les anticonvulsivants

  • Des prélèvements sanguins ont été réalisés chez une soixantaine de bébés allaités par des mères sous lamotrigine (50 à 900 mg/j) : les concentrations plasmatiques des nourrissons variaient de 10 à 50 % des concentrations maternelles ; néanmoins, de nombreuses études incluant au moins une centaine de bébés montrent une absence d’effet indésirable (2, 5). Un seul cas est documenté à ce jour (6) : apnées sévères chez un nouveau-né de 16 jours allaité par une mère présentant des niveaux sériques de lamotrigine élevés (attribuées à une sédation excessive secondaire au médicament).
    Ainsi, l’allaitement n’est a priori pas contre-indiqué chez les femmes sous lamotrigine, mais elles doivent être informées de la nécessité d’assurer le suivi d’effets indésirables possibles (rash, sédation) chez le nourrisson. Dans certains cas où l’on suspecte des effets indésirables, il peut être recommandé de faire un dosage plasmatique de lamotrigine.
  • Le phénobarbital est déconseillé en cas d’allaitement (Vidal 2011). Les concentrations de phénobarbital dans le lait maternel de femmes traitées (90 à 375 mg/j) permettent d’estimer que le nourrisson sera exposé à une quantité équivalant à 25 % de la dose pédiatrique iniale ; les concentrations sanguines mesurées chez des bébés allaités peuvent aller jusqu’à 30 à 40 % des concentrations plasmatiques maternelles ; et des cas de somnolence, diminution de succion et gain de poids ont été rapportés (2, 5, 7, 8). Si le bébé a aussi été exposé in utero au phénobarbital, il l’éliminera plus rapidement et risquera moins de présenter des effets indésirables en raison de l’induction hépatique qu’il aura acquise in utero (8). Un suivi de la sédation et du gain de poids est suggéré et des dosages sériques peuvent être utiles dans certains cas.

Les antinéoplasiques

Ils ont des effets préoccupants principalement en raison de leur profil de toxicité (4). Les jeunes bébés ayant une croissance et des divisions cellulaires rapides, l’exposition à des agents cytotoxiques les met à risque d’effets indésirables. Certains agents peuvent toutefois être utilisés.

Le lithium

Selon le Vidal 2011, le lithium est contre-indiqué en cas d’allaitement. Cependant, dans la littérature (9), il est noté que :

  • l’allaitement chez une femme sous lithium ne devrait être considéré avec précaution que chez des femmes sélectionnées, fiables et stables ;
  • un suivi est nécessaire chez le nourrisson (concentration sérique de lithium, TSH, urée, créatinine) entre 4 et 6 semaines post-partum (mesures réalisées plus tôt : faussées par exposition in utero), à renouveler toutes les 8-12 semaines ou lorsque cliniquement indiqué ;
  • une vigilance accrue est de mise en cas de risque de déshydratation du bébé (fièvre, gastroentérite…).

Attention

La mère doit connaître les signes d’intoxication au lithium : léthargie, succion diminuée, hypotonie.

Il faut les lui rappeler.

Les médicaments du système cardiovasculaire

  • L’amiodarone

Sa liaison aux protéines plasmatiques est supérieure à 99 %, mais ce médicament est lipophile, s’accumule dans les tissus, a une longue demi-vie d’élimination et, au final, se concentre dans le lait maternel (2). On estime qu’un nourrisson peut ingérer une dose correspondant à 1 % à 15 % de la dose pédiatrique, pouvant aller jusqu’à 60 % en considérant les données d’un des cas rapportés (2, 5, 7, 10). Les inquiétudes portent sur des effets potentiels aux niveaux cardiaque et thyroïdien. L’amiodarone est contre-indiquée en cas d’allaitement (Vidal 2011). Mais certains auteurs considèrent que si l’allaitement est à éviter lors d’un traitement chronique, un traitement de moins d’une semaine serait possible si l’on attend 24 à 48 heures après la fin du traitement pour recommencer l’allaitement (2, 5).

  • Acébutolol, aténolol et sotalol

Ces médicaments sont peu liés aux protéines plasmatiques et diffusent bien dans le lait maternel. Chez les bébés allaités, un suivi des signes et symptômes de blocage adrénergique devrait être suggéré (dyspnée, hypoglycémie, léthargie, bradycardie).

– A partir des concentrations dans le lait de femmes traitées par acébutolol (200-1 200 mg/j), on estime que les nourrissons allaités de façon exclusive peuvent recevoir jusqu’à 10 % de la DMAP (2, 10). Son utilisation n’est pas connue en pédiatrie et le Vidal 2011 indique qu’il est contre-indiqué en cas d’allaitement. Le cas d’un bébé ayant présenté hypotension artérielle, bradycardies et tachypnée transitoire a été rapporté (exposé aussi in utero, mais ses concentrations étaient augmentées en post-partum).

– Chez des femmes traitées par l’aténolol (25 à 200 mg/j), on a estimé à partir des concentrations dans le lait maternel qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait 7,5 à 35 % de la dose initiale pédiatrique (2, 5, 7). L’aténolol doit être évité en cas d’allaitment (Vidal 2011). Mais une étude estimant la prise d’aténolol chez 32 nourrrissons à 2-4 semaines, 3-4 mois et 6-8 mois post-partum, a montré une exposition moyenne de respectivement 9, 5 et 3 % de la DMAP, et conclut qu’il existe probablement peu de risque chez un enfant de plus de 3 mois. A noter : un cas de tachycardie, cyanose et hypothermie a été rapporté chez un nouveau-né de 5 jours, mais plusieurs cas de bébés allaités sans effet indésirable sont documentés (2, 5).

– A partir des concentrations dans le lait maternel de femmes prenant 160 à 600 mg/j de sotalol, on estime que le nourrisson prendrait une quantité équivalente à 25 % à 100 % de la dose pédiatrique initiale (2, 5, 7, 10). Selon le Vidal 2011, le sotalol est déconseillé en cas d’allaitement.

Les radiopharmaceutiques

L’utilisation de radio-isotopes iodés durant l’allaitement suscite certaines inquiétudes en raison de leur action potentielle sur la glande thyroïde de l’enfant. Les recommandations quant à la durée de l’interruption de l’allaitement sont très variables en fonction de l’agent et de la dose utilisée. Un arrêt d’allaitement peut ne pas être nécessaire pour certains agents, alors que pour d’autres, un arrêt de plusieurs semaines doit être envisagé (11). Les recommandations de l’American College of Radiology ont été publiées récemment (www.infantrisk.com, section Breastfeeding).

Conclusion

Bien que la plupart des médicaments soient excrétés dans le lait maternel en faible quantité et ne comportent que peu de risques pour le nourrisson, certains suscitent des inquiétudes en raison d’une exposition importante pour le nourrisson, de leur potentiel de toxicité ou d’effets au niveau de la production de lait.

Le clinicien peut guider et accompagner les mères prenant des médicaments en se référant aux sources disponibles (voir encadré ci-dessous) et à la documentation scientifique afin de les conseiller sur la meilleure option pour leur santé et celle de leurs enfants.

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