Anorexie mentale

L’anorexie mentale (AM) est une pathologie rare dont la prévalence varie selon les études entre 0,5 et 1 % des filles. Elle touche plus rarement les garçons, avec un sex-ratio de 1 pour 10. L’AM impose une collaboration étroite entre pédiatres et pédopsychiatres car c’est la plus grave des pathologies psychiatriques par la mortalité et la morbidité qui l’accompagnent. La prise en charge nutritionnelle est donc indispensable, concomitante aux soins psychiatriques.

Comment faire le diagnostic ?

En plus des critères définis dans l’encadré, le diagnostic positif se pose avec :

L’amaigrissement

Il est le plus souvent sous-estimé par la patiente.
La maigreur peut être impressionnante au moment du diagnostic, supérieure à 10 %, voire 25 à 50 % du poids initial, avec fonte des réserves graisseuses qui estompe les formes féminines. Est retrouvé parfois au départ un régime justifié par un léger embonpoint.

En pratique
La surveillance régulière de la courbe d’IMC en consultation, au décours d’une consultation pour un problème infectieux, un vaccin…, peut permettre de pointer un amaigrissement débutant. L’IMC doit en effet évoluer sur un couloir physiologique depuis la petite enfance et rester stable sur ce même couloir pendant toute la croissance.

L’anorexie

Elle correspond dans ce cas à une restriction alimentaire délibérée, avec intérêt paradoxal pour l’alimentation. Ces jeunes filles trient les aliments, les fractionnent, les mâchonnent longuement. Elles aiment cuisiner pour les autres, faire les courses… Les rations caloriques quotidiennes sont habituellement maintenues, mais peuvent être inférieures à 300 calories par jour. La restriction est électivement glucidique ou lipidique, au profit des aliments riches en fibres ou en protides.

L’aménorrhée

L’aménorrhée hypothalamique fonctionnelle est un signe quasi constant.
Elle peut coïncider avec le début de la restriction alimentaire (55 % des cas), lui succéder (30 % des cas), ou même la précéder de quelques mois (15 % des cas).
Elle correspond à un hypogonadisme hypothalamique avec régression à un stade prépubertaire, avec hypoestrogénie, perte du rétrocontrôle positif et disparition des pics spontanés de LH. L’origine fonctionnelle de l’aménorrhée reste un diagnostic d’élimination.

Les autres signes

  • L’hyperactivité physique et/ou intellectuelle : malgré leur maigreur, les adolescentes anorexiques continuent souvent de faire du sport de façon intensive, réussissent scolairement, ce qui rassure à tort les parents ;
  • l’appauvrissement des émotions, des rêves ;
  • la désexualisation avec, en plus de l’effacement des caractères sexuels secondaires, une régression affective ;
  • la maîtrise de soi.

En pratique
L’interrogatoire de la famille – avec ou sans l’adolescente est – donc primordial.

Les manifestations cliniques

Les principaux signes cliniques seront donc la conséquence de la dénutrition :

  • maigreur, avec disparition du pannicule adipeux, voire amyotrophie et disparition des caractères sexuels secondaires ;
  • signes cutanés : acrocyanose, la-nugo, purpura, brûlures, troubles des phanères, oedèmes des membres inférieurs ;
  • cardiovasculaires : bradycardie, hypotension ;
  • digestifs : constipation, retard à la vidange gastrique ;
  • hypothermie, frilosité ;
  • endocriniens (aménorrhée…), hypertrophie des parotides en cas de boulimie associée.

Le diagnostic différentiel

Il n’y a pas de signe pathognomonique.

L’examen clinique s’attachera donc à rechercher les signes positifs décrits ci-dessus, et à éliminer :

  • une maladie inflammatoire du tube digestif (maladie de Crohn) ;
  • une maladie coeliaque ;
  • certaines maladies métaboliques, dont les cytopathies mitochondriales ;
  • une hyperthyroïdie ;
  • une tumeur cérébrale ;
  • une maladie infectieuse ;
  • d’autres diagnostics moins fréquents : achalasie, lupus, néoplasies profondes, insuffisance surrénalienne…

Se méfier surtout des associations pathologiques (maladie coeliaque et anorexie mentale…). La présentation clinique est alors atypique, avec en général la reconnaissance par le patient du caractère anormal de la perte de poids, le désir de grossir et l’absence de la majorité des critères du DSM-IV.

Quelles sont les complications ?

Les complications secondaires aux comportements utilisés pour maigrir

(potomanie, vomissements, laxatifs, diurétiques…) Hypokaliémie, troubles de l’émail dentaire, syndrome de Mallory Weiss…

Les complications d’ordre psychologique

liées aux désinvestissements affectif et social avec isolement, pauvreté des affects, troubles de la vie affective et sexuelle.

Les complications cardiaques

bradycardie et hypotension artérielle (risque de syncope), réponse à l’effort inadaptée, allongement du QTc (dans 25 % des AM), troubles du rythme, prolapsus valvulaire mitral lié à l’arythmie, diminution de la masse ventriculaire (réversible), péricardite de dénutrition.

Les complications digestives

constipation, pince mésentérique, dilatation aiguë de l’estomac, vomissements chroniques.

Les complications métaboliques

hypokaliémie, hypophosphorémie, hypoglycémie (si AM sévère), hypocalcémie.

Les complications hématologiques

aplasie médullaire (leuconeutropénie), hypogammaglobulinémie.

Les complications rénales

insuffisance rénale fonctionnelle (voire organique) aggravée par l’effort physique.

Les complications neurologiques

ralentissement, crises convulsives, dilatation des ventricules, neuropathies périphériques.

Les complications endocriniennes

  • Hypothermie ;
  • retard de croissance constant en cas de dénutrition (chez l’adolescente  prépubère essentiellement) ;
  • low T3 syndrome : hypothyroïdie périphérique prédominant sur la T3 témoignant de l’hypométabolisme ;
  • hypercortisolisme ;
  • hypogonadisme hypogonadotrope avec troubles de la fertilité possibles ;
  • ostéopénie, soit une diminution de plus de 1 DS (92 % des cas) dès 6mois d’évolution, voire ostéoporose (38% des cas) particulièrement préoccupante, avec une réduction de plus de 2,5 déviations standard de la masse osseuse au rachis ou au col fémoral ; la densité osseuse est plus basse si l’AM est précoce (avant la ménarche) et si la période de dénutrition est longue (> 6 mois) ; ces jeunes filles ont donc un risque fracturaire 7 fois supérieur à celui d’une jeune fille du même âge ; 1/3 des AM avec poids normal gardent une ostéopénie.

Le décès

par malnutrition pour la moitié des cas (défaillance cardiaque) et par suicide pour presque 1/4 des cas. Les taux de mortalité se situent entre 4 et 10 %, et, plus le suivi est long, plus la mortalité augmente (20 % à 20 ans de suivi).

Les complications se majorent avec la durée d’évolution.

Quelle est l’évolution de l’anorexie mentale ?

La durée d’évolution est de 2 à 3 ans, avec, en moyenne :

  • 30 % de “guérison” (normalisation pondérale et des conduites alimentaires, retour des menstruations) ;
  • 30 % de “chronicisation” avec conséquences somatiques ;
  • 30 % de formes “intermédiaires” avec rechutes mais tendance à la diminution de la symptomatologie ;
  • 10 % de décès.

Quelle prise en charge proposée ?

Un suivi mixte : pédopsychiatriqueet pédiatrique

Maladie psychiatrique, l’AM des adolescentes doit être traitée par des pédopsychiatres, des pédiatres, en collaboration avec les médecins généralistes (souvent les premiers sollicités par les familles). La psychothérapie de soutien est également importante.

Les examens complémentaires

Ils se justifient lors d’une première consultation pour rechercher des signes biologiques de gravité. Ils servent aussi pour le diagnostic différentiel quand le recul n’est pas encore suffisant, mais que la perte de poids inquiète déjà par sa rapidité.

Le bilan biologique de base comprend :

  • NFS, plaquettes ;
  • urée et créatinine plasmatique ;
  • ionogramme sanguin avec phosphorémie, glycémie, calcémie, magnésémie et réserve alcaline ;
  • transaminases ;
  • bilan thyroïdien (normalement inutile si bradycardie mais hypothyroïdie vraie associée possible) ;
  • CRP, VS ;
  • bandelette urinaire ;
  • ECG ± échocardiographie ;
  • ostéodensitométrie initiale (si l’évolution est supérieure à 6 mois, voire à 12 mois selon les auteurs) à répéter une fois par an en fonction de l’évolution.

Une fois le diagnostic posé, les examens complémentaires servent essentiellement à surveiller les conséquences de la dénutrition et les signes de gravité imposant alors une hospitalisation.

Le contrat de poids

En ambulatoire comme en hospitalier, la courbe d’IMC (figure 1) doit être expliquée à l’adolescente et sa famille, et un contrat de poids doit être fixé avec :

  • un poids cible “hors danger” (à fixer en fonction de la courbe d’IMC, mais le plus souvent correspondant à un IMC entre le 10e et le 25e percentile) ;
  • un poids théorique idéal (défini par la cinétique de la courbe d’IMC) ; ce dernier ne correspond pas forcément au poids antérieur à l’amaigrissement (notamment lorsqu’un surpoids a précédé la perte de poids) et il faut le préciser à l’adolescente.

L’objectif initial est d’obtenir une reprise pondérale régulière.

Attention
Un poids “critique”, synonyme d’hospitalisation, peut également être fixé avec l’adolescente et sa famille, dès le début de la prise en charge.

L’hospitalisation peut aussi être proposée si la prise pondérale ne s’amorce pas ou si la prise pondérale est trop lente. En effet, il est toujours plus facile de traiter une jeune patiente quand elle n’est pas encore complètement “figée” dans ses préoccupations alimentaires et ses ruminations mentales. De plus, les conséquences romatiques à long terme sont d’autant plus graves que la durée d’aménorrhée est longue et que la dénutrition est importante. Restaurer un poids normal le plus rapidement possible est donc nécessaire.

  • L’objectif de prise de poids à obtenir en ambulatoire est globalement de 500 g à 1 kg/quinzaine. Le suivi somatique doit être intensif (1 à 2 fois/semaine) pour maintenir une certaine pression sur ces jeunes filles, surveiller les paramètres cliniques (FC, TA) et décharger les parents de cette surveillance pondérale.
  • Limiter toute dépense d’énergie inutile, donc suspendre les activités sportives.
  • Faire attention à ne pas se laisser “manipuler” par ces jeunes filles qui, tant qu’elles sont dans le déni des troubles, luttent contre une prise en charge et une hospitalisation.

Dans un deuxième temps, le suivi veillera à la stabilisation du poids, à la cessation des comportements alimentaires et activités physiques anormaux. Le retour des règles, souvent tardif, sera le témoin d’une guérison physique.

La prise en charge médicamenteuse

La supplémentation en calcium et vitamine D

Elle est recommandée lors de la période de reprise de poids, bien que les bénéfices n’aient pas encore été établis. Les doses préconisées pour le calcium de 1 000 à 1 500 mg/jour et pour la vitamine D de 400 UI/jour permettraient d’obtenir une meilleure masse osseuse que si les apports étaient faibles.

Les estrogènes

Ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, le mécanisme de déperdition osseuse étant essentiellement dû à des troubles de la fonction ostéoblastique avec altération du remodelage osseux. La résorption osseuse n’est en effet que discrètement augmentée. Il n’est donc pas recommandé d’administrer des estrogènes sauf si l’aménorrhée se prolonge après retour à un poids normal et/ou si un besoin contraceptif existe.

Un traitement combinant IGF1 et estro-progestatifs serait potentiellement intéressant pour traiter cette ostéopénie.

Les autres mesures

Groupes de paroles pour parents et adolescentes, travail diététique sur le goût et la satiété (surtout si surpoids antérieur pour tenter d’éviter des pulsions boulimiques), relaxation, travail corporel, ateliers thérapeutiques (cuisine, expression corporelle…) sont des aides précieuses dans cette pathologie, mais sont loin d’être disponibles sur tous les sites.

Quand hospitaliser ?

Un cadre de recommandations médicales, paru en 2001 a été établi suite à un recueil de données de 10 centres hospitaliers.
Critères somatiques et paracliniques d’hospitalisation en urgence.

Critères somatiques et paracliniques d’hospitalisation en urgence

Critères anamnestiques

  • Rapidité de la perte pondérale,
  • lipothymie ou malaise d’allure orthostatique,
  • épuisement physique évoqué par la patiente.

Critères cliniques

a- Signes de dénutrition majeure :

  • IMC inférieur à 13 kg/m2 ; nous le fixons à -3 DS ;
  • bradycardie extrême (< 40/min) ;
  • pression systolique basse (< 80 mmHg) ;
  • hypothermie (< 35,5° C) ;
  • ralentissement idéique ou verbal.

b- Signes évoquant une aphagie totale :

  • données de l’interrogatoire de l’entourage proche ;
  • odeur acétonique de l’haleine, acétonurie.

c- Signes évoquant d’emblée des complications :

  • syndrome occlusif ;
  • état confusionnel ;
  • tachycardie, décalage thermique.

Critères paracliniques

  • Hypoglycémie (aphagie) ;
  • hypokaliémie (vomissements) ;
  • hyponatrémie (potomanie) ;
  • urée > 15 mmol/l, créatininémie> 100 μmol/l (déshydratation extracellulaire) ;
  • pancytopénie (hypoplasie médullaire) ou cytolyse hépatique (souffrance multiviscérale) ;
  • anomalies électrocardiographiques (découlant des troubles hydroélectrolytiques, dysautonomie neurovégétative résultant de l’amyotrophie, d’un épanchement péricardique, anomalies isolées, allongement du QTc), ou échocardiographiques (épanchement péricardique ; prolapsus mitral).

La prise en charge nutritionnelle en hospitalisation pédiatrique

Dans notre service de pédiatrie, la nutrition entérale (NE) (voir encadré ci-dessous) est constamment proposée lorsque les adolescentes sont hospitalisées (avec en général un IMC inférieur à -3 DS, mais aussi en cas d’aphagie totale, de chute très rapide de l’IMC ou de stagnation pondérale). Comme dit ci-dessus, notre objectif est de raccourcir le temps de dénutrition à tout prix.

Parallèlement, les pédopsychiatres viennent 2 fois par semaine et commencent le travail psychiatrique autour de la maladie avec l’adolescente et sa famille.
Les visites sont autorisées.

Le poids de sortie correspond en général à un IMC entre le 10e et le 25e percentile, mais est variable en fonction de la courbe d’IMC.
Plus le poids de sortie est élevé, moins les rechutes sont fréquentes.

A la sortie, un contrat est fixé avec l’adolescente et sa famille. Les modalités du suivi sont précisées : poursuite des pesées chez le médecin traitant ou le pédiatre de façon biou hebdomadaire, consultations psychiatriques, arrêt du sport…

Un poids de réhospitalisation (en général 2 kg inférieur au poids de sortie) est fixé. Si l’adolescente ne maintient pas son poids à domicile, elle est alors hospitalisée en psychiatrie (avec contrat de séparation, thérapie institutionnelle faisant intervenir pédiatre, psychologue, diététicien, infirmiers, éducateurs, enseignants, etc.).

Conclusion

Bien que l’anorexie mentale soit une pathologie psychiatrique, il est à mon sens éthique de s’acharner à maintenir un poids correct à une période de la vie où la dénutrition peut avoir de lourdes conséquences, notamment osseuses… La prise de poids permet, en plus de limiter les complications à long terme, un meilleur travail psychologique.
L’hospitalisation peut alors être utile et soulager les familles dans lesquelles règne le plus souvent une tension majeure liée à la tyrannie qu’imposent ces jeunes filles à leur entourage.
Un diagnostic plus précoce permettrait sans doute de limiter la dénutrition et le temps d’hospitalisation. La surveillance du poids des adolescent(e)s est primordiale et les consultations de ville systématiques doivent être l’occasion d’aborder le bien-être psychologique (alimentation, image corporelle…) des adolescents.
De plus, un suivi mixte, régulier et fréquent, est indispensable pour aider ces adolescentes à sortir de leur symptôme, de leur enfermement, à leur faire reprendre goût aux relations humaines, à les aider à retrouver plaisirs de vivre et de manger.

 

Comment définit-on l’anorexie mentale ?

L’AM répond, d’après le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual) à plusieurs critères :

A. Refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (perte de poids conduisant au maintien du poids à moins de 85 % du poids attendu, ou incapacité à prendre du poids pendant la période de croissance conduisant à un poids inférieur à 85 % du poids attendu).

B. Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale.

C. Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle.

D. Chez les femmes pubères, aménorrhée, c’est-à-dire absence d’au moins 3 cycles menstruels consécutifs.

Il existe plusieurs types d’AM :

1. Type restrictif :
Pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale, le sujet n’a pas, de manière régulière, présenté de crises de boulimie ni recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements).

2. Type avec crises de boulimie/vomissements ou prise de purgatifs :
Pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale, le sujet a, de manière régulière, présenté des crises de boulimie et/ou recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements).

 

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