Maladie de Crohn : Aspects cliniques et outils diagnostiques

Une maladie chronique aux multiples facettes

La présentation clinique de la maladie de Crohn (MC) regroupe un spectre très varié. Les signes cliniques présents au diagnostic de maladie de Crohn sont multiples :

  • douleurs abdominales,
  • diarrhées,
  • rectorragies,
  • asthénie…

Ce cortège de symptômes est le reflet de l’inflammation chronique et de la sécrétion de cytokines. La présence de rectorragies dans la maladie de Crohn est le témoin d’une atteinte inflammatoire du côlon.

Il peut exister, lors du diagnostic, une stagnation de la croissance pondérale, voire staturale isolée, un retard pubertaire et des manifestations extradigestives dont la fréquence est variable selon le type d’atteinte. On retrouve notamment des arthralgies, voire des arthrites, un érythème noueux, un pyoderma, une uvéite, des atteintes articulaires, pulmonaire, etc. Le tableau 1 reprend la liste des manifestations extradigestives de maladie de Crohn chez l’enfant (1). Le retard au diagnostic reste un élément préoccupant. La figure 1 démontre le cas d’un enfant avec cassure pondérale et douleurs abdominales, chez qui le diagnostic a été porté plusieurs années après le début des symptômes initiaux.


Figure 1 – Enfant présentant une cassure pondérale évoluant depuis plusieurs mois avant le diagnostic. Bonne évolution de la croissance sous nutrition entérale.

Quel bilan biologique ?

Le diagnostic de maladie de Crohn nécessite la réalisation d’examens complémentaires. En effet, les signes cliniques peuvent être frustres et on ne peut se reposer seulement sur les données anamnestiques et de l’examen physique.

  • Le bilan sanguin initial

Il devrait comporter une numération formule sanguine, un dosage de la vitesse de sédimentation, un dosage de la protéine C réactive. D’autres marqueurs peuvent être utiles lors du diagnostic, tels que le dosage d’albumine, le bilan martial complet et le dosage des vitamines. L’existence d’une anémie au diagnostic est d’origine multifactorielle : carence martiale, inflammation, diminution des prises alimentaires. Des études ont démontré que, dans près de 20 % des cas, les patients atteints de formes modérées de maladie de Crohn avaient un bilan biologique inflammatoire strictement normal au diagnostic (2, 3). Le dosage des anticorps anti-saccharomyces cereviciae (ASCA) et anti-cytoplasme des polynucléaires (pANCA) serait utile dans l’approche diagnostique. En effet, près de trois quart des patients ayant une MC ont une augmentation des ASCA et un quart une augmentation des pANCA.


Figure 2 – Patient âgé de 13 ans. Maladie de Crohn avec sténoses multiples dès le diagnostic.

  • La calprotectine fécale

C’est un marqueur biologique récent. Il s’agit d’une petite protéine sécrétée par les polynucléaires neutrophiles. Sa présence à des taux importants dans les selles est corrélée à la sévérité de l’inflammation muqueuse. Ce marqueur, utile pour le diagnostic initial, a été validé dans plusieurs études chez l’adulte et l’enfant. Il est assez sensible (92 % ; 84-96 %), mais souffre d’une faible spécificité (76 % ; 62-82 %) car il est augmenté dans tout processus inflammatoire intestinal qu’il soit d’origine infectieuse ou immunologique. Son utilité a également été démontrée dans le cadre du suivi de la maladie sous traitement. Le seuil de sensibilité pour détecter une inflammation intestinale est établi à 50 μg/g de selles chez l’adulte et varie entre 200 et 300 μg/g de selles chez l’enfant. Une méta-analyse récente a confirmé l’intérêt du dosage de la calprotectine fécale dans l’approche diagnostique des enfants suspects de MC. En effet, ce test assez discriminant, serait un outil de dépistage non invasif et permettrait de diminuer de 35 % le nombre d’endoscopies inutiles (4).

Apport diagnostique de l’imagerie radiologique

  • L’échographie abdominale

Elle est utile pour l’analyse de l’épaisseur de la paroi intestinale. L’utilisation du Doppler permet de rechercher une hypervascularisation, témoignant ainsi d’un afflux sanguin vers les territoires enflammés. L’échographie permet également de révéler une hypertrophie des ganglions mésentériques, ainsi qu’une augmentation de la graisse péritonéale. Cet examen représente donc un outil intéressant et non invasif pouvant servir lors du dépistage initial. L’échographie de contraste est une technique récente permettant par l’injection de microsbulles de mieux analyser la perfusion vasculaire sur les territoires inflammatoires (5, 6).

  • Le transit du grêle

Il est de moins en moins utilisé dans le cadre du bilan diagnostique de la MC de l’enfant. Son indication peut se discuter dans certains cas, notamment en cas de suspicion de sténose, pour apprécier la longueur et le nombre de sténoses afin de guider la prise en charge médicale ou chirurgicale.

  • Le lavement baryté

Il n’est plus réalisé de nos jours car son apport diagnostique reste faible comparé à la coloscopie.

  • Les nouvelles techniques

De nouvelles explorations ont vu le jour, comme l’entéro-scanner et l’entéro-IRM, afin de mieux préciser l’étendue des lésions (7, 8).

L’irradiation nécessaire à la réalisation de ces examens chez l’enfant justifie, dans chaque cas, de se poser la question de la meilleure exploration pouvant apporter le meilleur bénéfice radiation/efficience diagnostique.

  • Penser à l’ostéodensitométrie

Au diagnostic de la maladie de Crohn, il existe de façon fréquente une ostéopénie qui plaide pour la réalisation d’une ostéodensitométrie systématique, surtout lorsqu’une corticothérapie est envisagée.

Exploration endoscopique : un outil essentiel au diagnostic

La gastroscopie et la coloscopie font partie du bilan systématique de deuxième ligne dans le cadre d’une suspicion de maladie de Crohn (9). Chez l’enfant, la coloscopie et la gastroscopie s’effectuent sous sédation profonde ou anesthésie générale. La coloscopie nécessite une préparation colique qui, chez l’enfant, est réalisée par l’usage de polyéthylène glycol.

Des coloscopes pédiatriques permettent l’exploration du colon jusqu’à l’iléon terminal, même chez l’enfant jeune, afin de rechercher des érosions, ulcères, œdème, sténose et de réaliser des biopsies étagées
(figures 3 et 4). Dans les formes avancées de la maladie, l’endoscopie permet de visualiser d’éventuelles sténoses et pseudo-polypes inflammatoires.

La gastroscopie est essentielle lors du diagnostic initial car, même en cas de normalité de l’aspect endoscopique, elle peut permettre d’identifier des granulomes sur les biopsies. La présence de granulome est un des éléments pathognomoniques de la maladie de Crohn chez l’enfant.

• La gastroscopie et la coloscopie ne permettent pas d’explorer le jéjunum et l’iléon proximal. Plusieurs outils diagnostiques ont été développés afin de mieux visualiser cette partie du tube digestif : vidéocapsule endoscopique, entéro-IRM…


Figure 3 – Enfant de 15 ans. Lésions ulcérées aphteuses et congestion muqueuse.


Figure 4 – Enfant de 12 ans. Aspect d’ulcères en carte de géographie d’une maladie de Crohn.

Les grandes lignes du traitement

Plusieurs types de médicaments peuvent être utilisés pour le traitement de la maladie de Crohn chez l’enfant.

La nutrition entérale représente une piste thérapeutique intéressante car elle permet la mise en rémission lors des poussées. Ce traitement est développé dans l’article de Lise Bouthillier (voir page 10). Parmi les autres traitements médicamenteux, il existe différentes lignes de traitement utilisées, parmi lesquelles les acides 5-aminosalicyliques, les corticoïdes, les immunosuppresseurs et les biothérapies (10).

  • Les corticoïdes

La corticothérapie (CTC) orale est efficace dans les poussées de la MC. La dose utilisée de 1 à 2 mg/kg/j est ensuite progressivement diminuée sur une durée totale s’étalant de 2 à 3 mois. La corticorésistance initiale est observée dans 5 à 10 % des cas, et la corticodépendance empêchant le sevrage est assez fréquente (40 % des cas) (11).

La corticothérapie n’est pas efficace comme traitement d’entretien de la MC pédiatrique.

  • Les acides 5-aminosalycilés (5ASA)

Plusieurs molécules sont disponibles par voie orale ou intrarectale. Contrairement à la colite ulcéreuse, les 5ASA utilisés par voie intrarectale ont été peu étudiés dans les formes coliques de la maladie. Les 5ASA oraux ne sont pas efficaces pour la mise en rémission de la maladie de Crohn. En traitement d’entretien, le niveau de preuve est faible et les données actuelles ne montrent pas de différence versus placebo. Des études restent attendues pour les formes coliques isolées de la MC (10).

  • Les immunosuppresseurs

L’azathioprine et la 6-mercaptopurine sont utilisées comme traitement de fond de la MC. Elles permettent le maintien en émission. L’efficacité de ces traitements immunosuppresseurs comme outil préventif de la MC a été démontrée depuis plusieurs années. Dans l’étude princeps réalisées aux États-Unis en 2000, les auteurs ont utilisé, chez des enfants atteints de maladie de Crohn, un traitement par 6MP Le sevrage de la CTC était plus rapide dans le groupe 6MP et le pourcentage de rechute à 18 mois était significativement moindre dans le groupe 6MP (47 %) versus le groupe placebo (9 %) (12). Les effets secondaires hépatiques (cytolyse) et hématologiques (neutropénie, lymphopénie) justifient une surveillance biologique régulière.

Le méthotrexate est également utilisé comme traitement d’entretien de deuxième ligne dans la maladie de Crohn pédiatrique. Son efficacité, quoique moindre, reste néanmoins intéressante dans les cas où on note un échec aux autres immunosuppresseurs.

  • Les biothérapies

Depuis quelques années, des biothérapies ont leur place dans l’arsenal thérapeutique de la maladie de Crohn pédiatrique (13). Deux molécules sont utilisées de façon routinière, même si une seule à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication de la maladie de Crohn pédiatrique.

L’infliximab a été la première molécule à être utilisée chez l’enfant dans le cadre du traitement de la maladie de Crohn réfractaire. L’infliximab a l’AMM dans la MC pédiatrique depuis 2008. Cette molécule est administrée par voie intraveineuse en perfusion à une fréquence d’une perfusion toutes les 8 semaines. Le risque de réactions allergiques justifie une administration hospitalière sous surveillance cardiorespiratoire. Des cas de lymphomes EBV induits ont été décrits chez les enfants traités par biothérapie, faisant actuellement limiter l’usage de cette molécule aux formes sévères de la MC et éviter l’association avec les immunosuppresseurs.

L’adalimumab est un anticorps monoclonal humanisé qui est de plus en plus utilisé dans le traitement de la MC pédiatrique. Son administration se fait par stylo ou seringue sous-cutanée, tous les 15 jours.

Depuis l’avènement des immunosuppresseurs et des biothérapies, on observe moins d’enfants avec traitement par nutrition parentérale ou opérés à l’âge pédiatrique, mais le risque de résection intestinale à 10 ou 20 ans d’évolution de la maladie chez les enfants traités par biothérapie reste à déterminer.

Pour en savoir plus …


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *