Brain gut axis

1- « Le microbiote est devenu un nouvel acteur ! »

Ce qu’il faut savoir sur l’axe intestin-cerveau

L’axe intestin-cerveau, aussi appelé Brain gut axis, est un sujet en vogue. Interview de Frédéric Barreau, chercheur et expert sur le sujet.

Qu’est-ce que l’axe intestin-cerveau ?

C’est un axe qui relie indirectement ou directement les intestins au cerveau par un système nerveux composé de nerfs afférents et efférents. Le cerveau peut commander et/ou influencer l’intestin, et la réciproque existe aussi. Un stimulus stressant psychologiquement, par exemple un entretien d’embauche, peut entraîner des maux de ventre. C’est l’axe intestin- cerveau : une information intégrée dans le cerveau qui entraîne une réaction au niveau périphérique, au niveau intestinal.
À l’inverse, lorsque vous avez trop mangé, vous ressentez une lourdeur ou nausée qui signifie que votre appareil digestif a informé votre cerveau que vous faites une « indigestion ». On sait aussi désormais que certains éléments du microbiote intestinal vont passer dans la circulation sanguine et agir directement sur le cerveau.

Quels sont vos travaux ?

Mon travail de thèse portait sur la mise au point d’un modèle animal du syndrome de l’intestin irritable (SII). C’est une maladie digestive, souvent associée à un dysfonctionnement au niveau de l’axe hypothalamo-hypophyso- surrénalien, l’axe du stress.
En temps normal, l’hypothalamus envoie un signal à l’hypophyse, l’hypophyse répond en envoyant un signal qui va sortir du cerveau pour induire la production des glucocorticoïdes qui vont entraîner une réponse en périphérie. Les malades SII présentent fréquemment des dysfonctionnements de l’axe du stress qui fonctionne trop. Les symptômes de cette maladie sont : un mal au ventre chronique, un inconfort important et des douleurs abdominales, sans lésions inflammatoires (contrairement aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou MICI).
Pour étudier la physiopathologie et mieux comprendre le SII, nous avons choisi de travailler chez le rongeur. Nous avons stressé les rongeurs juste après la naissance pour modifier de manière durable cet axe du stress. En faisant des stress répétés du 2e au 14e jour de vie, on s’est aperçu qu’à l’âge adulte les rats stressés ont un dysfonctionnement de cet axe du stress au niveau du système nerveux central et induisant un dysfonctionnement du système digestif avec des douleurs et des altérations fonctionnelles, comme une perméabilité intestinale plus élevée, une susceptibilité à faire des inflammations et des infections plus fortes, etc.
Après avoir travaillé sur le SII, je travaille actuellement sur les MICI. Quels sont les changements dans notre environnement (stress, alimentation, additifs et bactéries contenues dans l’alimentation, etc.) qui peuvent expliquer la sévérité de l’inflammation intestinale et, en extrapolant, cette épidémie de MICI ? Chez la souris, il est possible de choisir les facteurs qui interviennent ou non. L’environnement est maîtrisé de la naissance à l’âge adulte, on peut vérifier les répercussions sur le microbiote, selon les susceptibilités génétiques des souris choisies, induire du stress, etc. pour comprendre le développement des MICI.
Les études ont lieu sur des souris gestantes et allaitantes pour évaluer les conséquences de ces facteurs sur les embryons et les nouveau-nés. Car la réelle exposition ne commence pas à la naissance, mais dès le développement embryonnaire, jusqu’à l’âge de développement des MICI ou autres maladies. Le modèle rongeur naissant est plus immature que le bébé humain. Le stress précoce change de nombreux caractères de manière irréversible, les conséquences sont donc beaucoup plus importantes que chez la souris adulte non stressée.

Comment extrapoler chez l’Homme ?

Chez l’Homme, les travaux de Hislop et Drossmann (1, 2, 3) d’il y a une trentaine d’années ont montré que les gens souffrant du SII déclarent avoir subi pendant leur enfance plus de traumatismes importants (physiques, sexuels comme l’inceste, psychologiques comme la perte d’un proche, etc.) que ceux qui déclarent ne pas avoir subi de traumatismes pendant leur enfance. Le stress, chez un individu normalement constitué, a un effet positif, il sert à réagir et à mobiliser les capacités physiques et psychologiques pour répondre au plus vite à la situation de stress. Désormais, on sait qu’en cas de stress chronique (non géré), on a un risque élevé de développer un SII. De plus, la moindre situation de stress qu’une personne normale pourrait gérer pourra induire chez le patient SII, une période de rechute de son syndrome avec apparition des symptômes.

Quelles sont les pathologies liées à un déséquilibre du microbiote ?

Les études ont montré que le microbiote peut être associé à de nombreuses maladies digestives (4), cardiovasculaires (5), métaboliques (5) ou neurologiques (6). Le changement de dysbiose peut, par exemple, être associé à des maladies digestives comme le SII ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Des chercheurs américains ont montré que le microbiote intestinal, lorsqu’il change, peut être associé à un état d’autisme. De même, la muqueuse intestinale peut être atteinte dans des maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques (SEP) ou encore la maladie de Parkinson.

L’environnement intervient-il ?

Oui, il ne faut surtout pas oublier l’influence de l’environnement. Malgré l’importance des prédispositions génétiques (plus de 200 gènes de susceptibilité ont été décrits dans les MICI), les influences environnementales jouent, sans aucun doute, un rôle central dans les MICI. En effet, seuls des changements de notre environnement peuvent expliquer l’émergence rapide des MICI dans le monde, ainsi que le risque élevé de développer des MICI des populations migrantes qui à patrimoine génétique constant passe d’un environnement à faible risque à un environnement avec un risque élevé de développer une MICI. Pour le SII, il y a peu de gènes repérés alors que la part de l’environnement est très importante. Dans l’environnement, on compte aussi bien ce qu’on mange, l’hygiène, la nature de nos relations avec l’environnement, le stress, etc. On sait qu’en présence d’un stress chronique, même chez les souris, il y a un changement de microbiote. Quand vous changez votre hygiène de vie et vos habitudes alimentaires, vous allez modifier votre microbiote intestinal, qui va envoyer des messages différents de ceux habituels au cerveau et potentiellement à l’origine de développement de pathologies.

Est-ce le cerveau ou l’intestin, qui est l’œuf ou la poule dans ces troubles ?

C’est l’éternelle question ! Dans les MICI, on a pour origine des symptômes au niveau du tube digestif, mais même dans ces maladies on ne sait pas ce qui débute : il y a une forte dysbiose, un changement important du microbiote, mais on ne peut pas dire si la dysbiose intervient avant le déclenchement de la maladie, ou si c’est l’inflammation chronique qui va changer le microbiote. Et ce changement de microbiote est aussi impliqué dans la chronicité de la maladie.
Pour la maladie de Parkinson, il y a également une dysbiose, comme dans la SEP, mais les études n’ont montré que des associations pour le moment.
Dans la SEP, chez le modèle murin de la maladie, il y a très précocement une altération de la muqueuse intestinale avec une inflammation à bas bruit. En traitant cette inflammation avant la survenue des premiers symptômes de la SEP, les formes de SEP chez la souris qui se développent étaient très amoindries, voire supprimées (7). Cette étude prouve (encore) que les intestins ont donc un rôle au niveau des fibres nerveuses.

Quels sont les prochains axes de recherche ?

Le microbiote est devenu un nouvel acteur ! Avant, dans la muqueuse intestinale, on ne savait pas que le microbiote avait un rôle aussi important. On savait qu’il était acteur dans la synthèse d’éléments nutritionnels que nos cellules ne savaient pas produire, ou que notre alimentation ne pouvait pas apporter. Classiquement, dans la fonction barrière de l’intestin on parlait de :
– la couche de mucus qui protège les cellules épithéliales,
– des cellules épithéliales jointives les unes aux autres,
– et du système immunitaire intestinal.
Ainsi, ces trois éléments de la fonction de barrière isolaient le milieu intérieur du corps qui est stérile de la lumière intestinale. Depuis l’avènement du microbiote au début des années 2000, on sait qu’il est un élément clef de la fonction de barrière de l’intestin. En effet, en occupant « le maximum de place » dans nos intestins, il limite l’implantation de bactéries pathogènes, il entre également en compétition pour les nutriments avec les pathogènes qui pourraient s’implanter et il est également capable de synthétiser des peptides antimicrobiens contre les bactéries pathogènes. Ainsi, un microbiote dysbiotique n’est plus capable d’assurer son rôle de défense et de synthétiser correctement les éléments nutritionnels participant alors au développement d’un grand nombre de pathologies digestives, métaboliques (obésité, diabète) et des maladies qui n’ont rien à voir avec le tube digestif comme l’autisme, la SEP, la maladie de Parkinson…

Des probiotiques pour tous ?

D’après les études réalisées, ça ne peut pas faire de mal… Mais s’ils avaient fait la preuve de leur efficacité via des essais cliniques, ils seraient remboursés par la Sécurité sociale, car ce ne sont pas des produits onéreux !
L’une des principales limites au développement de stratégies thérapeutiques fondées sur l’utilisation de probiotiques est la grande difficulté que nous avons à déterminer la capacité des probiotiques à s’implanter au sein de nos intestins et à améliorer directement la physiologie intestinale. De plus, nous ne savons pas si ces probiotiques une fois arrivés dans la lumière intestinale libèrent les molécules que nous avons pu identifier dans nos éprouvettes.
Il existe en effet des probiotiques pour se sentir mieux intérieurement, aider à la digestion, après une gastroentérite, etc. Mais je ne connais pas de probiotiques qui vont être recommandés pour traiter une maladie de Crohn en phase aiguë, par exemple. L’effet qui doit probablement le mieux fonctionner est l’effet placebo : je me soigne, donc je suis acteur de ma maladie, donc je vais mieux.
À ma connaissance, dans les MICI, les probiotiques n’ont pas d’efficacité, mais cela ne peut pas faire de mal n’ont plus !
Dans la SEP, de récentes études utilisant le probiotique Escherischia coli Nissle ont montré que ce dernier diminuait l’inflammation de la muqueuse intestinale des souris. Les doses administrées quotidiennement étaient très importantes. En étudiant les fèces, les quantités de bactéries vivantes retrouvées sont infimes et les données microbiologiques montrent que, dès l’estomac, l’acidité va déjà éliminer une grande partie des probiotiques. On s’est aperçu que lorsque l’on gratte la muqueuse intestinale de ces souris, on trouve peu de bactéries. Cela peut s’expliquer par la place que prend le microbiote : son objectif est de coloniser l’ensemble de l’intestin. Il occupe un maximum de place pour empêcher les bactéries opportunistes de s’implanter. Donc, même avec un probiotique, la capacité d’implantation durable est très faible. On ne peut pas exclure qu’il y ait un effet bénéfique lié à son passage, mais ce sera transitoire.

Que penser des greffes fécales ?

La greffe de microbiote fécal (GMF) est une stratégie qui pourrait être envisagée pour traiter un large éventail de maladies comme la constipation chronique, les MICI, le syndrome métabolique, la SEP, l’autisme… Cependant, à l’heure actuelle, la seule indication autorisée de GMF est le traitement d’une infection récurrente à Clostridium difficile résistant aux antibiotiques conventionnels. Néanmoins, pour que la GMF devienne une option de traitement, de nouveaux essais cliniques randomisés avec un groupe placebo doivent être réalisés. De plus, la GMF doit être optimisée avec une standardisation sur le choix du donneur, le type de matière fécale à greffer, le processus de récupération du microbiote et la voie d’administration de ce microbiote (naso-duodénale, par coloscopie, par lavement…).
Le microbiote est une partie à part entière de l’individu et sera façonné par notre patrimoine génétique et notre environnement. La composante génétique de certaines maladies comme les MICI est connue pour changer le microbiote intestinal (8), alors même si vous transférez un microbiote normal, la part génétique peut recréer la dysbiose, car, elle, elle ne change pas lors de la greffe. De même, comme l’environnement du patient est également favorable à l’émergence des MICI, il est fort à parier que sa dysbiose microbienne reviendra après une greffe de microbiote fécal. Ainsi, je pense que la transplantation peut être un outil pour maintenir en rémission, mais difficilement pour traiter ou guérir une MICI.

Quel avenir ?

Il me semble compliqué de penser que le changement de microbiote sera l’unique solution pour les maladies avec facteurs génétiques impliqués. Je vois plutôt des avancées sur la thérapie génique pour les pathologies dont on connaît les gènes, ce qui, à terme, modifiera le microbiote…
Références

  1.  Hislop IG. Childhood deprivation: an antecedent of the irritable bowel syndrome. Med J Aust 1979 ; 1 : 372-4.
  2. Drossman DA et al. Sexual and physical abuse in women with functional or organic gastrointestinal disorders. Ann Intern Med 1990 ; 113 : 828-33.
  3. Lowman BC, Drossman DA, Cramer EM, McKee DC. Recollection of childhood events in adults with irritable bowel syndrome. Clin Gastroenterol 1987 ; 9 : 324-30.
  4. Richard et al. The gut mycobiota: insights into analysis, environmental interactions and role in gastrointestinal diseases. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2019.
  5. Tang et al. Gut Microbiota in Cardiovascular Health and Disease. Circ Res 2017 ; 120 : 1183.
  6. Tremlett et al. The gut microbiome in human neurological disease: A review. Ann Neurol 2017 ; 81 : 369.
  7. Secher et al. Oral Administration of the Probiotic Strain Escherichia coli Nissle 1917 Reduces Susceptibility to Neuroinflammation and Repairs Experimental Autoimmune Encephalomyelitis-Induced Intestinal Barrier Dysfunction. Frontiers in immunology 2017 ; 8 : 1096.
  8. Cohen et al. Genetic Factors and the Intestinal Microbiome Guide Development of Microbe-based Therapies for Inflammatory Bowel Diseases. Gastroenterology 2019 ; 156 : 2174-89. 2

2- La littérature grand public

Connaître les lectures de vos patients

Gaëlle Monfort (journaliste)

Le charme discret de l’intestin

Ce que les patients ont lu

Particulièrement ludique, le livre est écrit dans un style très abordable, avec humour et sans tabou. Les pages sont riches en informations sur l’anatomie, le fonctionnement et le rôle des intestins et de la flore intestinale en particulier et la digestion en général. Des conseils hygiéno- diététiques sont également donnés pour améliorer le confort digestif au quotidien.
L’auteur, médecin, donne des indications sur de nombreux traitements, disponibles ou non sans ordonnance : laxatifs, antibiotiques, pré et probiotiques… Tout est détaillé précisément, trop peutêtre ? Car, attention, les patients peuvent donc être tentés par l’automédication assez facilement, les conseils pouvant être considérés comme « médicaux ».

4e de couverture

Surpoids, dépression, diabète, maladies de peau… Et si tout se jouait dans l’intestin ? Au fil des pages de son brillant ouvrage, Giulia Enders, jeune médecin allemande, plaide avec humour pour cet organe qu’on a tendance à négliger, voire à maltraiter. Après une visite guidée de notre système digestif, elle présente, toujours de façon claire et captivante, les résultats des toutes dernières recherches qui révèlent le rôle du “deuxième cerveau” sur notre bien-être. C’est avec des arguments scientifiques qu’elle nous invite à changer de comportement alimentaire, à éviter certains médicaments et appliquer quelques règles très concrètes en faveur d’une digestion réussie. Dans cette nouvelle édition augmentée, l’auteur fait état des recherches récemment publiées, notamment celles qui précisent l’influence du microbiote sur notre bonne ou mauvaise humeur. Elle recommande également la fermentation de certains légumes : encore une chose dont notre microbiote raffole. Irrésistiblement illustré par la sœur de l’auteur, la graphiste Jill Enders, voici un livre qui nous réconcilie avec notre ventre.

Référence

  • Le charme discret de l’intestin
  • Giulia et Jill Enders
  • Éditions Actes Sud
  • Avril 2015/296 pages
  • Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

Intestin irritable, les raisons de la colère

Ce que les patients ont lu

Surfant sur la vague, les éditions Larousse ont également publié quelques mois après la sortie du livre ci-dessus un essai sur le sujet. C’est le Pr Jean- Marc Sabaté, gastroentérologue et spécialiste du syndrome de l’intestin irritable qui signe l’ouvrage intitulé « Intestin irritable, les raisons de la colère ».
L’ouvrage est plus axé médecine que le précédent avec, après un descriptif de l’appareil digestif, l’explication de ses principales pathologies avant de se concentrer sur le syndrome de l’intestin irritable. Les rôles de l’alimentation et des régimes sont abordés avec les études scientifiques à l’appui. Tout est référencé et expliqué simplement. Les thérapeutiques, du placebo aux antidépresseurs, en passant par les médecines alternatives, sont détaillées et complétées par des témoignages de patients.

4e de couverture

Douleurs au ventre, ballonnements, diarrhée, constipation, flatulences, gargouillements… Ces symptômes vous sont-ils familiers ? Votre médecin vous a pourtant dit que « vous n’aviez rien » ! Vous souffrez sans doute du syndrome de l’intestin irritable (appelé aussi colopathie fonctionnelle). Ce trouble digestif touche plusieurs millions de Français, plus souvent les femmes. Bien que généralement sans gravité, la colopathie fonctionnelle peut gêner sérieusement les activités sociales et professionnelles, appauvrir la qualité de vie et entraîner anxiété et dépression. Pour la première fois, un ouvrage fait un point complet sur cette maladie aussi répandue que finalement méconnue, qui gâche la vie de beaucoup, mais reste mal considérée.

  • Quels sont les symptômes du SII ? Comment pose-t-on le diagnostic ? Quels examens faire ?
  • Quelles sont les causes du SII ? Quel rôle joue l’alimentation ?
  • Quels sont les traitements ? Quelle place pour les régimes ? Les « médecines alternatives » donnent-elles des résultats ?

Le Pr Jean-Marc Sabaté est gastroentérologue à l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) et chercheur à l’Inserm dans l’unité U987 Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur. Président du Groupe français de neuro-gastroentérologie (GFNG), il a cofondé en 2010 avec une patiente l’Association des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable (APSSII).

Référence

  • Intestin irritable, les raisons de la colère
  • Pr Jean-Marc Sabaté
  • Éditions Larousse
  • Janvier 2016/288 pages

3- Probiotiques dans les coliques du nourrisson

Démêler le vrai du faux

Dr Marc Bellaïche (gastro-pédiatre, Hôpital Robert-Debré, Paris), Dr Camille Jung (gastro-pédiatre, CHI de Créteil)

L’incidence des coliques est estimée entre 20 et 25 % dans les pays industrialisés. Donc, bien que de pronostic bénin, l’incidence des coliques et l’anxiété qu’elle suscite en font un problème de santé publique qu’on ne peut négliger ! Ce trouble fonctionnel induit un inconfort, et rappelons à titre d’exemple que l’obtention d’un confort acceptable est l’unique justification selon l’HAS pour le traitement systématique de la fièvre du nourrisson. La prise en charge consiste non pas à « guérir les coliques », mais à aider les parents à traverser cette période difficile du développement de leur bébé, en réduisant les symptômes de celui-ci… et de la famille. La réassurance, l’écoute et la guidance parentale sont un premier pilier. L’administration de certains probiotiques a démontré un niveau de preuve indiscutable. Toutefois, les probiotiques ont une efficacité très différente d’un probiotique à l’autre. Alors quel probiotique ? À quelle dose ? Pendant combien de temps ?

Coliques et modification du microbiote
Le microbiote est différent chez les enfants avec ou sans coliques en termes de diversité et de colonisation bactérienne (1). Une plus grande abondance en E. Coli et Klebsielles sont retrouvées dans les échantillons de selles de nourrisson avec coliques ainsi que d’autres germes Gram négatif potentiellement pathogènes (Serratia, Vibrio, Yersinia et Pseudomonas phylum Probacteria). Ces bactéries sont productrices de gaz par fermentation du lactose, carbohydrates et protéines. De plus, certaines souches de E. Coli, Klebsielles et Bacteroidetes peuvent induire une inflammation intestinale de bas grade via la présence de lipopolysaccharides (LPS) sur leurs membranes externes. En effet, ces LPS activent une cascade pro-inflammatoire responsable de taux élevé dans la sous-muqueuse puis dans le sang d’IL-8, CCchemokine ligand 2 et 4.
La calprotectine fécale est ainsi plus élevée en cas de coliques de nourrisson (2-3). A contrario, l’abondance en bifidobactéries (phylum Actinobacteria) et lactobacilles (phylum Firmicutes) est moindre dans les selles des nourrissons avec coliques. Ces germes jouent un rôle favorable sur l’immunité digestive, la fonction épithéliale et la régulation de la motilité et de la perméabilité intestinale. Une fonction antagoniste de la production d’E. Coli, Klebsielles et Entobacter appuie leur action bénéfique. Un taux bas d’acides biliaires intraluminal est retrouvé dans les premiers mois de vie. L’immaturité intestinale et du cycle entéro-hépatique en sont probablement responsables. Cette concentration insuffisante en acides biliaires favorise une perméabilité intestinale, une prolifération bactérienne principalement anaérobie et une dysmotilité avec contractions coliques.
L’ensemble de ces modifications fait naître l’hypothèse d’une dysbiose, d’une inflammation intestinale, d’une altération de la production des acides biliaires et d’une immaturité du système nerveux entérique dans la genèse des coliques. L’axe « microbiote-intestin-cerveau » représente la voie de signalisation qui permet de coordonner les différents processus.

Traitement par probiotiques

Les probiotiques sont définis comme des microorganismes vivants qui, administrés en quantité adéquate, confèrent un rôle bénéfique sur la santé de l’hôte.
Pour repérer précisément ces microorganismes, doivent être pris en compte :
– le domaine,
– le phylum,
– la classe,
– l’ordre,
– la famille,
– le genre,
– l’espèce
– et enfin la souche.
Aucune propriété bénéfique d’un probiotique ne peut être superposée à un autre probiotique s’il n’est pas de la même souche. De plus, la quantité de colonies bactériennes (CFU) doit être également identique dans les différentes préparations (Fig. 1).

Figure 1 – Deux probiotiques de même genre peuvent être des espèces et des souches très différentes avec des effets non superposables
(Cavalier, Smith. Biol Rev Camb Philos Soc 1998 ; 73 : 203-66).

Le rôle bénéfique de certains probiotiques dans les coliques est expliqué par plusieurs mécanismes :
– réduction de l’inflammation intestinale par la modulation des Toll Like recepteur et cytokines pro-inflammatoires,
– restauration et préservation de la barrière intestinale,
– réduction des translocations bactériennes,
– inhibition compétitive de l’adhésion bactérienne et action bactéricide de pathogènes,
– augmentation de synthèse des acides gras à chaînes courtes,
– réduction de la distension gastrique et de la dysmotricité,
– et enfin modulation de la douleur viscérale.
Cent trente-neuf publications sur Pub Med (à la date de l’écriture de l’article, mais il n’en sera pas de même au moment de la publication !) font référence à l’efficacité ou l’échec de tel ou tel probiotique dans le cadre des coliques du nourrisson. Huit méta-analyses convergent vers l’efficacité du L. reuteri DSM 17938 protectis. Cet effet est majoré chez les nourrissons allaités exclusivement au sein.
La dernière publiée en 2018, selon la technique IPDMA (individual participant data metaanalysis) pour plus de puissance statistique étudiant 345 nourrissons conclut à l’efficacité spécifique du L. reuteri DSM 17 938 protectis dans les coliques avec une réduction moyenne de pleurs de 50 minutes par jour (4).
Une étude retrouve deux fois plus de répondeurs chez 50 nourrissons avec un symbiotique et une étude pilote sur 29 nourrissons montre une diminution de la durée des pleurs au troisième mois grâce à l’association de Bifidobacterium breve B632 et Bifidobacterium breve BR03 (5, 6). Une dernière utilise avec succès une mixture de deux probiotiques : Lactobacillus rhamnosus 19070-2 et Lactobacillus reuteri 12246 chez 84 nourrissons (7).
Une comparaison globale en métaanalyse des différentes modalités thérapeutiques sur 2 242 nourrissons ne valide que l’utilisation spécifique du probiotique L. reuteri DSM 17 938 protectis (5 gouttes par jour pendant 21 jours), ou l’approche diététique (8). Enfin, sur 589 nourrissons nés à terme et alimentés au sein ou artificiellement, l’administration prophylactique systématique de 5 gouttes de L. reuteri DSM 17938 protectis réduit en moyenne le temps de pleurs de 51 minutes par jour à 1 mois et 33 minutes par jour à 3 mois, versus un groupe contrôle (9).

Conclusion

Les probiotiques représentent donc un groupe de nutriments type alicament. Ce sont des compléments alimentaires dans l’appellation institutionnelle, avec des vertus thérapeutiques. Bien sûr, comme tout type de traitement, il n’est efficace que couplé aux mesures de guidance et de réassurance.
Au même titre que nous n’aurions pas idée de prescrire une infection donnée avec une bactérie identifiée par des « antibiotiques » en général… Pour exemple, il serait impensable de prescrire pour une angine à streptocoque A, un antibiotique type… amikacine ! Il en est de même pour les « probiotiques ». Chaque probiotique a une efficacité donnée dans une situation donnée à une dose précise et durée précise. Aucune étude positive n’est donc superposable à une application pratique si ce n’est pas la même souche prescrite.
Références

  1. Savino et al. intestinal microflora in breast fed colicky and non colicky infants. Acta Paediatr 2004 ; 93 : 825- 9.
  2. Savino et al. Molecular identification of coliform bacteria from colicky breastfed infants. Acta Paediatr 2009 ; 98 : 1582-8.
  3. Rhoads JM, Collins J, Fatheree NY et al. Infant Colic Represents Gut Inflammation and Dysbiosis. J Pediatr 2018 ; 203 : 55-61.e3.
  4. Sung V et al. Lactobacillus reuteri to Treat Infant Colic: A Meta-analysis. Pediatrics 2018 ; 141. Publication avancée en ligne.
  5. Kianifar H, Ahanchian H, Grover Z et al. Fructooligosaccharides, Lactobacillus casei, L. rhamnosus, Lactobacillus acidophilus, Lactobacillus bulgaricus, Streptococcus thermophilus, Bifidobacterium breve, and Bifidobacterium infantis. Synbiotic in the management of infantile colic: a randomised controlled trial. J Paediatr Child Health 2014 ; 50 : 801-5.
  6. Giglione E et al. The Association of Bifidobacterium breve BR03 and B632 is Effective to Prevent Colics in Bottle-fed Infants: A Pilot, Controlled, Randomized, and Double-Blind Study. J Clin Gastroenterol 2016 ; 50 : S164-S167.
  7. Gerasimov S et al. Role of Lactobacillus rhamnosus (FloraActive™) 19070-2 and Lactobacillus reuteri (FloraActive ™) 12246 in Infant Colic: A Randomized Dietary Study. Nutrients 2018 ; 10. pii : E1975. doi : 10.3390/ nu10121975.
  8. Gutiérrez-Castrellón P et al. Efficacy of Lactobacillus reuteri DSM 17938 for infantile colic: Systematic review with network meta-analysis. Medicine (Baltimore) 2017 ; 96 : e9375. doi : 10.1097/ MD.0000000000009375.
  9. Indrio F et al. Preventing and Treating Colic. Adv Exp Med Biol 2019. doi : 10.1007/5584_2018_315. Figure 1 – Deux probiotiques de même genre peuvent être des espèces et des souches très différentes avec des effets non superposables (Cavalier, Smith. Biol Rev Camb Philos Soc 1998 ; 73 : 203-66).

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