Choisir d’allaiter…

“Breast is best”… et pourtant

Le lait féminin est reconnu comme étant le meilleur lait pour le “petit d’Homme” et l’allaitement maternel exclusif est recommandé jusqu’à 6 mois par l’OMS et l’UNICEF (1). Mais le choix entre lait maternel ou artificiel est possible et est aussi fonction de l’évolution des modes de vie, des sociétés et du statut de la femme… entre autres.

Le poids des origines

Pendant de nombreuses années, l’absence de connaissance en ce qui concerne l’origine du lait (vient-il du sang ? comment est-il fabriqué ?) a, selon les pays, entretenu des croyances et des habitudes culturelles face à l’allaitement (2).

En Europe, les nourrices transmettaient, en sus de l’alimentation idéale, une culture et des origines à travers leur lait, ce qui conduisait à leur stricte sélection (2, 3). Les mères issues de classes sociales élevées n’étaient, en France, pas censées allaiter et, plus tard, pour leur ressembler, les classes moins favorisées choisirent le biberon. On ne peut pas mettre de côté l’origine de la mère allaitante ou de sa belle famille. L’origine ethnique impose à la mère le poids des traditions même si elle est déracinée ou la famille dispersée (4, 5).

Dans la culture hispanique, les aliments consommés par la mère sont considérés comme passant directement à l’enfant et pouvant induire des troubles digestifs ou modifier la montée laiteuse. Les femmes de la famille sont référentes (plus que les professionnels), aident la mère, lui apportent à manger. Le colostrum est perçu comme “sale” et l’enfant reçoit parfois des tisanes, de l’huile d’olive ou de castor pour être “purgé”. L’allaitement est incompatible avec la grossesse et les enfants sont sevrés dès que la mère se sait enceinte.

En Afrique, l’allaitement a été pendant longtemps un moyen de réguler les naissances par l’aménorrhée de la femme allaitante et par l’interdit des relations sexuelles pendant l’allaitement. Les enfants sont en permanence avec leur mère dès l’accouchement (même en maternité) dans un morceau de tissu et sont allaités à la demande.

En Asie, la médecine chinoise oppose les aliments de nature “chaude” et de nature “froide”, en fonction de l’effet produit une fois consommés (ex. : le piment est de nature “chaude”). La femme allaitante doit surtout consommer des aliments “chauds”, avec des menus adaptés.
Le colostrum est, dans certaines populations, considéré comme mauvais, ce qui peut interdire la mise au sein avant la montée de lait : l’enfant reçoit alors des tisanes.

Dans la culture islamique, le Coran incite à 2 ans d’allaitement. Si cela n’est pas possible, la nourrice peut être d’usage. Les enfants nourris par un même sein deviennent “frères de lait”… d’où la difficulté pour les pratiquants à accepter du lait provenant de lactarium. La femme allaitante peut être exemptée du Ramadan. Elle choisit plus souvent de le faire avec la communauté pour être épaulée plutôt que d’être seule à la fin de l’allaitement. Il n’y a habituellement pas de conséquence pour son métabolisme (4).

La diminution du taux d’allaitement a entraîné la perte du savoir familial et du naturel en ce domaine (2). Les jeunes mères allaitantes n’ont pas toujours été allaitées et n’ont pas vu leurs aînées allaiter. L’augmentation du nombre de mères adolescentes et isolées est également un problème nouveau. Une éducation à l’allaitement maternel avant la naissance permet un meilleur taux d’allaitement surtout si on inclut les éléments familiaux référents lors de cet apprentissage (6).

L’allaitement artificiel : un enjeu économique

Au XXe siècle, avec les progrès de la pasteurisation et le développement des laits infantiles, on voit diminuer l’allaitement maternel dans de nombreux pays (4, 6). La pression marketing est incriminée (4, 7, 8). On note une diminution de cette influence depuis l’instauration du Code International de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel (9).

Le rôle des pouvoirs publics

L’histoire d’un pays modifie la façon dont sont alimentés ses enfants. Dans les années 50, en France et aux Etats-Unis, on voit fortement diminuer le taux d’allaitement car le travail des femmes devient nécessaire après la guerre et l’accouchement médicalisé (2, 10). La durée du congé maternité, la possibilité d’allaiter ou de tirer son lait sur son lieu de travail sont autant de facteurs d’incitation à l’allaitement maternel (7). En Europe du nord, par exemple, les conditions professionnelles des femmes leur permettent d’avoir un taux élevé d’allaitement en sortie de maternité et dans la durée (deux tiers des enfants étaient allaités à 6 mois en Norvège lors des dernières statistiques) (11). Aux Etats-Unis, un rapport récent a mis en évidence que l’intérêt économique était en faveur de l’allaitement maternel, d’où la mise en place d’une politique incitatrice, avec aménagement des temps de travail et réorganisation des congés maternité (10).

Allaitement et niveau éducationnel et social maternel

Dans les années 70, on réapprend les bienfaits de l’allaitement maternel.
On observe un regain d’intérêt qui concerne d’abord, dans les pays industrialisés, les classes les plus favorisées avec un nivau d’éducation supérieur (3, 4, 8). Dans les pays les moins industrialisés, ce sont les classes les plus défavorisées qui allaitent : ces femmes n’ont souvent pas le choix et celles qui le peuvent s’orientent vers l’allaitement artificiel, encore vécu comme un progrès et un modèle occidental alors que les études montrent l’augmentation de la mortalité infantile en l’absence d’allaitement maternel (4, 12).

Le rôle des professionnels soignants et institutions

La médicalisation de la naissance a été préjudiciable à l’allaitement maternel : la séparation de la mère et de l’enfant a empêché les mises au sein précoces (4, 7). La formation initiale et continue a été pendant longtemps insuffisante, ne permettant pas l’accompagnement des mères qui attendaient des professionnels les réponses à leurs questions et un accompagnement lors des premiers jours (13). Le biberon est très vite perçu comme une référence, une quantification, une sécurité. On observe cependant des progrès en la matière avec un désir non négligeable de formation et une grande motivation des personnels (8) ; et l’initiative “Hôpital ami des bébés”, label attribué par l’OMS et l’Unicef aux structures qui agissent dans le respect des besoins des nouveaux-nés et soutiennent l’allaitement maternel, est l’un de ces exemples (8, 14).

L’ “insufficient milk syndrome”

Certaines mères arrêteront tôt leur allaitement à cause des influences culturelles : souvent lorsque l’enfant bien portant doit être “rond” (3-5, 15). Les mères auront le devoir, si elles en ont les moyens financiers, de supplémenter le bébé afin de montrer l’aisance familiale (dans les cultures islamiques ou africaines notamment). En Europe, les mères s’entendent dire que leur lait n’est pas nourrissant ou trop peu abondant : elles peuvent le croire et introduire précocement des compléments de lait infantile entraînant un réel “manque de lait” psychologique plus que biologique (8).

Représentation du corps, pudeur, part de l’inconscient

La représentation du corps féminin tient un rôle important dans le choix d’allaiter (8). Le sein n’est pas seulement nourricier, mais aussi objet de désir sexuel et attribut de séduction.Il y a la peur de modifier l’aspect des seins, leur forme ultérieure et l’image du corps.
La pudeur est aussi un argument de poids qui fera allaiter exclusivement au domicile ou parfois même empêchera la mise au sein (Eurasie surtout (4)). Les femmes obèses, dont le nombre est croissant, ont plus de difficultés et un rapport au corps qui peut être perturbé (16). De façon plus inconsciente, un refus du changement de statut et de fonction que provoquerait radicalement l’allaitement, conduirait au choix du biberon et permettrait un retour plus rapide à l’état antérieur à la grossesse (8).

L’accompagnement du couple mère/enfant

Les couples mère/enfant attendent une aide des professionnels de santé. Leur accompagnement oblige d’avoir connaissance de la physiologie de l’allaitement, mais pas uniquement.
Il est nécessaire de connaître l’influence de la culture dans le choix et la conduite de l’allaitement maternel afin d’aider au mieux les familles.

Il faut savoir prendre du temps sans oublier qu’une femme qui conduit bien son allaitement pourra en aider une autre et guider ensuite ses propres enfants dans l’alimentation de leurs nouveaux-nés.

 

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