Colite néonatale bénigne

Introduction

Les colites néonatales bénignes se manifestent par des rectorragies de minime à moyenne abondance, chez un nouveau-né ou un nourrisson ayant par ailleurs une croissance normale. La survenue de ces rectorragies est particulièrement anxiogène pour les parents, elles constituent donc un motif fréquent de consultation. Les pédiatres consultés évoquent alors souvent d’emblée une proctocolite allergique aux protéines du lait de vache (APLV) et excluent les PLV chez l’enfant et/ou chez la mère si elle allaite (1). Mais est-ce en réalité vraiment nécessaire ?

Qu’est-ce qu’une proctocolite allergique ?

Il s’agit d’une pathologie bénigne non IgE-médiée. Elle concerne principalement les nouveau-nés et jeunes nourrissons de moins de 6 mois (2), le plus souvent avant 3 mois (2-5). Les symptômes sont des rectorragies de sang rouge dans les selles, associées ou non à des glaires, avec une diarrhée dans un tiers des cas, chez un enfant exclusivement allaité ou sous lait infantile. L’examen clinique et la croissance sont normaux par ailleurs, contrairement aux allergies de type entéropathique (6). Soixante pour-cent des proctocolites allergiques apparaissent lors d’un allaitement maternel exclusif, le contact avec les protéines alimentaires se faisant par leur passage dans le lait de la mère (7).

Prévalence

La prévalence des proctocolites allergiques est très faible, bien qu’évoquée fréquemment. Elizur et al. ont mentionné ce diagnostic chez 21 bébés parmi 13 019 nourrissons issus d’une cohorte de naissance, mais la proctocolite allergique n’a été confirmée par le test de provocation orale que chez seulement trois patients, soit finalement 0,023 % de la population étudiée (8). La prévalence des proctocolites allergiques aux PLV est bien inférieure à celle des allergies IgE-médiées (6).
Le lait de vache est l’allergène responsable des proctocolites allergiques dans plus de 97 % des cas (3, 9). En Turquie, le lait est en cause dans 78 % des cas (n = 60), le lait et l’œuf dans 13 % des cas, et l’œuf uniquement dans 5 % des cas (5). Chez une minorité de patients (16,7 %), Kaya et al. retrouvent chez le nourrisson allaité une allergie au lait également associée (3) :
– à l’œuf (6,6 %),
– au poulet (3,3 %),
– au blé (1,7 %),
– ou à la pomme de terre (1,7 %).

Physiopathologie

La physiopathologie des proctocolites allergiques reposerait sur une immaturité du système immunitaire, avec une altération de la perméabilité intestinale, dans un contexte de susceptibilité génétique de sensibilité à certains antigènes alimentaires (10). Aucun examen complémentaire biologique ne permet d’étayer le diagnostic. En effet, le dosage des IgE spécifiques du lait de vache n’apporte rien dans la prise en charge car, même s’il s’agit bien d’une APLV, elle est de type non-IgE médié (7). Une hyperéosinophilie peut orienter le diagnostic vers celui de colite allergique (1), mais l’éosinophilie sanguine n’est pas corrélée à l’hyperéosinophilie tissulaire (11, 12). La rectosigmoïdoscopie peut révéler des signes macroscopiques ou histologiques aspécifiques (œdème de la muqueuse avec hyperhémie et micro-ulcérations, hyperplasie lymphoïde, infiltration muqueuse éosinophilique (5, 6, 12, 13) et n’est donc pas recommandée en première intention. Le microbiote des nourrissons avec proctocolite allergique est modifié avec une diminution des bifidobactéries en comparaison aux patients témoins, suggérant la présence d’un microbiote altéré et pro-inflammatoire, sans pouvoir toutefois définir s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence (14).

Quelles sont les autres causes de rectorragies chez le nouveau-né et le jeune nourrisson ?

La majorité des rectorragies des nouveau- nés et des nourrissons n’est pas due à une proctocolite allergique aux PLV. Dans une série personnelle, sur 43 nourrissons recevant un lait infantile dont les rectorragies avaient disparu après exclusion des PLV, seulement 14 (33 %) ont récidivé lors du test de réintroduction. Arvola et al. ont attribué les rectorragies au lait de vache chez seulement 7 des 40 nourrissons (18 %) qui avaient consulté pour une suspicion d’APLV avec rectorragies (13). Aucune cause précise n’ayant pu être identifiée pour la majorité des autres patients (13). Dans la cohorte de naissance d’Elizur et al., les rectorragies sont réapparues chez 21 % des nourrissons (3/14) suite au test d’éviction- réintroduction diagnostique (8). En Corée, un seul des 16 nouveau-nés avec rectorragies de faible abondance avait bien une proctocolite allergique confirmée au lait (15).
Mise à part l’allergie qui n’explique que moins d’un tiers des rectorragies des nourrissons, les principales étiologies des rectorragies à cet âge sont rappelées dans le tableau 1 (6).

Il faut en premier lieu rechercher des signes de gravité clinique pour éliminer :
– une entérocolite ou une invagination intestinale aiguë,
– des troubles hémodynamiques,
– une défaillance respiratoire voire neurologique.
Des rectorragies massives orientent vers un saignement actif d’origine colique, mais aussi parfois duodénale. Les autres diagnostics plus bénins devront également être recherchés. Une fissure anale doit être rapidement éliminée, d’autant plus que sa cicatrisation est en général très rapide. Une origine infectieuse est rare en l’absence de diarrhée et/ou de fièvre, mais une coproculture et une virologie des selles seront néanmoins prescrites au moindre doute. On rappelle que la recherche de toxines de Clostridium difficile dans les selles n’est pas pertinente avant l’âge de 3 ans. Enfin, des malformations vasculaires peuvent se manifester par des rectorragies itératives.
Quand aucune cause n’est retrouvée – ce qui est le cas le plus fréquent –, on parle alors de colite néonatale bénigne, transitoire, ou encore idiopathique, mais on ne peut cependant pas exclure une allergie aux PLV qui aurait guéri après une courte période d’exclusion des PLV. Sa physiopathologie n’est pas connue et aucun élément biologique ou histologique ne permet de la distinguer d’une proctocolite allergique (12, 16).

En pratique, que faire devant un nouveau-né ou un jeune nourrisson consultant pour des rectorragies ? (Fig. 1)

Figure 1 – Conduite à tenir devant des rectorragies chez un nouveau-né ou un jeune nourrisson. APLV : allergie aux protéines de lait de vache.

En l’absence de signes de gravité et lorsque les rectorragies sont d’abondance minime à modérée (petits points ou filets de sang, glaires sanglantes), il faut temporiser pendant au moins 96 heures avant toute intervention. Miceli Sopo et al. proposent même de patienter pendant 30 jours avant d’entreprendre une quelconque prise en charge (17) mais ce délai prolongé est trop anxiogène pour les familles.
Lorsque les rectorragies disparaissent spontanément au cours des 96 premières heures chez un nouveau-né ou un nourrisson, on conclura au diagnostic de colite néonatale transitoire.
En l’absence d’amélioration spontanée des rectorragies après 96 heures, une éviction du lait de vache est nécessaire. On prescrira alors un hydrolysat poussé de protéines du lait de vache ou un hydrolysat de protéines de riz chez le nourrisson. Les rectorragies disparaissent généralement en moins d’une semaine et au maximum en 3 semaines après l’éviction lorsqu’il s’agit d’une proctocolite allergique (1, 6).
Si les rectorragies ne s’amendent pas à l’issue de cette période de 2-3 semaines, on préconise une éviction des PLV chez la mère si le nourrisson est sous allaitement mixte, ou un relais par une préparation infantile à base d’acides aminés si le nourrisson n’est pas allaité. Si les rectorragies persistent sous cette préparation dépourvue de peptides, un diagnostic autre qu’une allergie aux hydrolysats devra être envisagé avec recours à un pédiatre gastro-entérologue.
Lorsque l’éviction des PLV chez l’enfant permet la disparition des rectorragies, le diagnostic d’allergie aux PLV devra toujours être confirmé par un test de réintroduction diagnostique, réalisé au domicile 2 à 4 semaines après la guérison (Fig. 2).

Figure 2 – Prise en charge des proctocolites allergiques au lait de vache.

C’est le seul moyen à ce jour pour confirmer l’origine allergique de la colite hémorragique car l’amélioration des symptômes sous régime d’éviction n’est pas suffisante pour poser le diagnostic. Et il serait dommage de poursuivre un régime d’éviction inutile et contraignant.

Cas particulier des colites hémorragiques chez un nourrisson exclusivement allaité

Il est souvent plus difficile de faire le lien entre les rectorragies et le/les aliments responsables consommés par la mère allaitante.
Dans la série de Caubet et al., 20 % des rectorragies disparaissent spontanément chez les nourrissons exclusivement allaités, sans modification du régime de la mère (18).
En l’absence d’amélioration spontanée après 96 heures de rectorragies, on propose un régime d’éviction des laits de mammifères chez la mère (associée à la prescription d’une supplémentation calcique). En l’absence d’amélioration au bout d’une semaine, on peut proposer éventuellement un régime d’éviction de l’œuf. La persistance des rectorragies malgré ce régime restrictif pour la mère oriente vers une colite au lait de mère non allergique. L’allaitement sera alors poursuivi sans qu’une nouvelle exclusion alimentaire ne soit nécessaire chez la mère et les produits laitiers et l’œuf pourront être réintroduits dans l’alimentation maternelle. Les rectorragies cèdent généralement lors de l’arrêt total de l’allaitement. Il faut dans l’intervalle rassurer les parents car la croissance et le développement de l’enfant sont normaux, et inciter à poursuivre l’allaitement maternel le plus longtemps possible.
Une des hypothèses physiopathologiques pour expliquer ces rectorragies sous lait de mère repose sur la présence de TGFβ (transforming growth facteur β) dans le lait de mère, associée à l’augmentation d’expression d’une chemotaxine comme la CXCL13 chez le nourrisson, qui serait à l’origine d’une stimulation des follicules lymphoïdes dans le colon à l’origine des rectorragies (16).

Quand les proctocolites allergiques guérissent-elles ?

La guérison est plus précoce que dans les APLV IgE-médiées. Dans notre série personnelle, l’âge médian de guérison était de 7 mois. Il était déterminé par la réalisation de tests de réintroduction au domicile tous les 2 mois à partir de l’âge de 4 mois (19). La précocité de la guérison des proctocolites allergiques aux PLV est confirmée dans d’autres travaux (3, 5, 6). En effet, la majorité des enfants tolère le lait avant 1 an, dont certains dès 3 mois d’éviction (5, 8).
De tels résultats justifient la réalisation de tests de réintroduction diagnostiques précoces avant l’âge de 1 an (2), dès l’âge de 4-6 mois (19). Cependant, lorsque l’allergie persiste après l’âge de 6 mois, des prick tests au lait de vache et/ou des IgE spécifiques devront être réalisés pour vérifier l’absence de séroconversion IgE-médiée qui peut survenir chez 4 à 30 % des patients (18). Une telle évolution imposerait alors d’effectuer le test de réintroduction sous surveillance hospitalière (Fig. 2).

Devenir des proctocolites allergiques pendant l’enfance

Une étude récente a montré que ces jeunes nourrissons ayant eu des rectorragies vont développer des troubles fonctionnels intestinaux au cours de l’enfance.
En effet, sur une cohorte de 80 patients ayant eu une proctocolite allergique, 15 % d’entre eux vont se plaindre de troubles fonctionnels avant la quatrième année de vie, en particulier d’un syndrome de l’intestin irritable. Ce taux est trois fois plus élevé que chez les patients témoins (p = 0,035), ce qui correspond à un odds ratio de 4,4. Le facteur de risque principal était la présence de rectorragies prolongées (20).
Ces données préliminaires restent à confirmer sur de plus grandes cohortes en multicentrique.

Conclusion

Les rectorragies des nouveau-nés et jeunes nourrissons, qu’ils soient allaités exclusivement ou pas, sont rarement dues à une allergie au lait de vache. Elles disparaissent spontanément en 96 heures dans un nombre non négligeable de cas, justifiant de patienter avant toute intervention.
Les rectorragies qui persistent justifient une exclusion transitoire des PLV qui, lorsqu’elle entraîne une guérison des rectorragies, doit être impérativement suivie d’une réintroduction diagnostique 2 à 4 semaines plus tard au cours de laquelle les deux tiers des rectorragies ne récidiveront pas.


Références

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