Congrès Francophone d’Allergologie (Paris, 21-24 avril 2015)

2015 marquait le dixième anniversaire du Congrès Francophone d’Allergologie (CFA). Cette année, le fil rouge du CFA était “allergie et vie moderne”. En effet, la vie moderne nous expose à davantage d’allergènes : croisés, cachés, mélangés, masqués, multiples, nouveaux, exotiques, émergents, non identifiés, etc. Néanmoins, si la majorité des aspects de l’allergologie furent passés en revue, la palme est allée aux allergènes et aux allergies alimentaires dont l’actualité ne se dément toujours pas. Nous décrivons quelques-uns des faits importants de ce 10e CFA concernant le diagnostic et le traitement des allergies alimentaires.

Existe-t-il des phénotypes des allergies alimentaires ?

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A priori, il paraît difficile de décrire avec précision des phénotypes des allergies alimentaires (AA), comme on peut arriver à le faire pour l’asthme, tant ces pathologies sont polymorphes par leurs mécanismes (IgE-dépendantes ou non), les allergènes impliqués (innombrables), le nombre des aliments en cause (de plus en plus souvent multiples), l’existence ou non de comorbidités (asthme, DA, RA), les facteurs de déclenchement, le seuil réactogène, etc.

Parmi 5 276 nourrissons de 11 à 15 mois, Peters et al. [1] ont décrit 5 types d’enfants :

  • sans maladie allergique (71 %) ;
  • atteints de DA sans sensibilisation alimentaire (16 %) ;
  • uniquement allergiques à l’oeuf (8 %) ;
  • atteints d’allergies multiples, principalement à l’arachide (3 %) ;
  • atteints d’allergies multiples, principalement à l’oeuf (2 %).

Parmi les facteurs de risque d’AA, les auteurs indiquaient le sexe masculin et la prématurité.

Précisant cette analyse, Deschildre et al. [2] insistent sur :

  • le rôle de l’aliment (l’AA au lait de vache et l’oeuf guérissent beaucoup plus souvent que l’AA à l’arachide, qui est plus souvent sévère) ;
  • les symptômes cliniques (réputés le plus souvent légers à modérés pour le SAO – mais pas toujours pour le SAO au soja –, alors que l’AIEPIA est sévère et parfois mortelle) ;
  • l’existence ou non d’un asthme associé.

Nous disposons aujourd’hui des principaux éléments pour définir la plupart des phénotypes des AA de l’enfant en fonction de l’aliment (un seul ou plusieurs), des comorbidités (asthme non ou mal contrôlé), du seuil réactogène (précisé par le TPO), du type de régime alimentaire (éviction stricte ou induction de tolérance), des facteurs de risque (effort).

Just et al. [3] ont procédé à une identification des phénotypes dans le modèle de l’AA à l’arachide, AA fréquente où cette recherche des phénotypes éventuels est plus facile à réaliser. Parmi 704 patients sensibilisés ou allergiques à l’arachide, une analyse en cluster et un TPO effectué chez 247 d’entre eux a permis d’isoler 3 groupes indépendants :

  • 123 enfants ayant une allergie sévère à l’arachide (92 % de TPO positifs) et peu de comorbidités allergiques (2 % de SDR, aucun cas d’asthme, de DA ou d’AA multiples) ;
  • 62 enfants ayant une allergie sévère à l’arachide (89 % de TPO positifs) et de nombreuses comorbidités allergiques (100 % de SDR, SRC médian le plus bas à 112 mg de protéines d’arachide) ;
  • 62 enfants ayant une AA légère (42 % de sujets uniquement sensibilisés, SRC médian le plus élevé à 770 mg, enfants les plus jeunes).

La détermination des IgEs dirigées contre les allergènes moléculaires (Ara h 1, 2, 3, 8, 9) et contre les allergènes recombinants permet aussi de préciser le diagnostic et le pronostic de l’AA à l’arachide [4]. La détection d’IgEs contre r Ara h 1, r Ara h 2 et r Ara h 3 (protéines de stockage stables à la chaleur et à la digestion) est associée à des réactions sévères. Par contre, la présence d’IgEs contre r Ara h 8 (protéine PR-10 détruite par la chaleur et la digestion), souvent associée à une allergie au pollen de bouleau ou d’autres bétulacées, est fréquemment associée à des symptômes mineurs (SAO). La présence d’IgEs contre r Ara h 9 (stable à la chaleur et en milieu digestif), parfois associée à une allergie à la pêche et aux fruits des autres rosacées, peut être associée aussi bien à des symptômes légers (SAO) que modérés à sévères.

Toutefois, des variations importantes existent, en particulier selon l’origine géographique des patients. Agabriel et al. [5], soulignant le fait que la plupart des études avaient été effectuées jusqu’à présent dans des pays nordiques ou continentaux, montrent que le profil moléculaire de sensibilisation à l’arachide est différent chez l’enfant méditerranéen. Parmi 117 enfants marseillais de moins de 15 ans atteints d’AA, le pourcentage de positivité des dosages d’IgEs était le suivant, par ordre décroissant : Ara h 6 (64 %), Ara h 2 (63 %), Ara h 1 (60 %), Ara h 9 (52 %). Le diagnostic d’AA à l’arachide était donc mieux prédit par la positivité du dosage des IgEs contre Ara h 6 et Ara h 2. La persistance de l’AA était associée à la présence d’IgE dirigées contre Ara h 1 et Ara h 9. Il faut tenir compte de l’origine des patients pour interpréter le diagnostic biologique moléculaire.

L’environnement peut-il modifier l’expression du code génétique et favoriser l’apparition des allergies alimentaires ?

Le terme “épigénétique” est utilisé depuis plusieurs années en allergologie. Il suscite des interrogations pour de nombreux lecteurs : terme à la mode ou réalité clinique et biologique ?

Pour simplifier, le mot “épigénétique” se réfère à l’étude des influences de l’environnement, susceptibles de modifier l’expression du code génétique et ses mécanismes. En d’autres termes, les mécanismes qui interviennent dans l’expression des gènes pourraient être sensibles à l’environnement et provoquer des modifications des réponses immunitaires actives et/ou suppressives. Il serait possible que des modifications génétiques acquises soient transmissibles pendant quelques générations, peut-être de façon réversible, sans modifier les séquences nucléotidiques de l’ADN.

  • Adel-Patient [6] envisage les relations entre l’épigénétique et les AA, suggérant que la survenue de certaines AA dès les premiers mois de vie devrait impliquer des facteurs précoces agissant in utero ou au cours des premiers mois de vie. L’auteur suggère que le tabagisme maternel pendant la grossesse, et l’exposition à certains germes, à certains aliments (etc.) peuvent induire des “modifications épigénétiques” favorisant la survenue de sensibilisations ou d’AA. Comme exemple, l’ingestion par la mère de certains aliments contenant des folates ou diverses vitamines (B1, B2, B12) peut augmenter la méthylation globale de l’ADN et modifier le phénotype de l’enfant à la naissance.
    Une étude publiée dans la revue Epigenetics va dans ce sens [7]. Plus tardivement, l’exposition à certains germes et la modification de la microflore intestinale qu’ils induisent pourraient modifier l’épigénome des Treg.
  • Autre notion à retenir, l’allergie maternelle est un facteur de risque important pour favoriser ces altérations épigénétiques, en particulier les AA de l’enfant. Après la première épidémie d’allergies (en particulier respiratoires) survenue il y a 10-15 ans, la deuxième vague de l’épidémie (dominée par les AA qui affectent jusqu’à 10 % de la population en Australie) serait expliquée par diverses modifications épigénétiques (liées aux modifications de l’alimentation, du microbiome intestinal, etc.), transmissibles, et amplifiée par les allergies maternelles [8]. Prescott et Allen [8] vont jusqu’à prévoir un véritable “tsunami d’allergies” dans les pays les plus peuplés !

Les allergènes moléculaires : une nouvelle manière d’explorer les allergies alimentaires ?

L’allergologie moléculaire (AM) est-elle une nouvelle manière d’explorer l’AA ? La réponse est « oui ». A terme, va-t-elle (ou doit-elle) supplanter la démarche classique (interrogatoire, PT, dosage[s] unitaire[s] des IgEs, TPO) ? La réponse est « non ».

Intérêt et limites de l’AM

  • Explorant l’intérêt et les limites de l’AM, Bidat et Benoist [9] commencent leur mise au point par des notions indispensables tirées de l’EBM. Rappelons que, pour doser les IgEs, l’AM utilise des protéines allergéniques hautement purifiées, soit issues de sources allergéniques naturelles, soit produites par la technologie des allergènes de recombinaison1.
  • En 2013 le rapport OMS-ARIAGA2LEN [10] précise que, si les tests d’AM apportent des informations nouvelles à l’allergologue, en particulier en matière d’AA, tous ces tests doivent être prescrits et interprétés par un allergologue (entraîné), en fonction des données cliniques recueillies pour chaque patient, sachant qu’une sensibilisation (simple phénomène biologique marqué par la présence d’IgEs détectables par PT ou dosage sanguin) ne s’accompagne pas forcément de signes cliniques. En 2014, les recommandations américaines stipulent que l’AM ne doit pas être systématique au cours de l’exploration d’une AA, mais que ses résultats sont prometteurs, en particulier au cours des AA à l’arachide et à la noisette [11].
  • Bidat et Benoist [9] rappellent des faits connus (cf. ci-dessus) :

– la présence d’IgEs dirigées contre Ara h 2 est souvent associée2 à la présence de symptômes cliniques d’allergie ;

– la présence d’IgEs dirigées contre Ara h 1, Ara h 2 et Ara h 3 est associée à des symptômes cliniques plus sévères ;

– la présence d’IgEs dirigées contre Ara h 8 (liées à une sensibilisation à l’allergène du bouleau Bet v 1) est associée à des symptômes légers de type SAO. Mais l’AM ne permet pas d’éviter forcément la réalisation d’un TPO.

  • Dans l’étude de Beyer et al. [12] où le diagnostic d’AA à l’arachide avait été porté par une histoire clinique convaincante, un dosage d’IgEs anti-arachide classique (F13) et un TPODA positif, les valeurs seuil des IgEs dirigées contre Ara h 2 étaient de 14,4 kUA/l (pour une probabilité de 90 % d’avoir un TPO positif) et de 42,2 kUA/l (pour une probabilité de 95 % d’avoir un TPO positif). Aucun seuil n’était recommandable pour une probabilité de 100 % d’avoir un TPO positif !
  • Pour la noisette, la présence d’IgEs dirigées contre Cor a 1 (protéine PR-10) est associée à des symptômes bénins (type SAO) et des IgEs contre Cor a 8 (LTP), 9 et 11 étaient considérées comme associées à des symptômes systémiques et sévères.
  • Dans l’étude de Beyer et al. [12], une valeur des IgEs contre Cor a 14 supérieure à 47,8 kUA/l était associée à une probabilité de 90 % d’avoir un TPO positif. La revue de Bidat et Benoist [9] indique que l’AM n’apporte pas d’élément convaincant, en particulier diagnostique, pour la plupart des autres allergènes.

Quelle place pour l’AM ?

Et pourtant les demandes d’AM se multiplient chaque mois !
La nature des symptômes, les PT, les dosages unitaires d’IgEs, dans certains cas l’AM, l’expertise clinique de l’allergologue permettent de poser l’indication des TPO, clé du diagnostic des AA. Tout cela ne peut être prédit ou décidé à partir de quelques microlitres de sang. Néanmoins, lorsque des études suffisantes auront été faites, à divers âges, dans diverses régions, l’AM pourra certainement aider à prévoir l’intensité des symptômes et le type d’évolution, dans une certaine mesure… Pour le moment il faut se souvenir du terme “associé à”, qui n’est pas synonyme de certitude absolue !

Tests unitaires ou multiplex : des objectifs différents !

Objectif qui n’est pas incompatible avec les conclusions précédentes [9]. D’autres allergologues comme Bienvenu et al. [13] estiment « qu’il existe un réel besoin de tests in vitro validés pour identifier des profils de sensibilisation avec expression clinique d’allergie3 afin de diminuer la nécessité de recourir à des tests de provocation ». Ces « profils de sensibilisation » ne peuvent être définis avec précision en utilisant des « extraits allergéniques classiques mal caractérisés », mais en se servant d’extraits « parfaitement définis sur le plan moléculaire » obtenus soit à partir de sources allergéniques naturelles, soit en utilisant des allergènes de recombinaison.

La définition de ces profils de sensibilisation pourrait se faire en effectuant de nombreux dosages unitaires d’IgEs à l’aide de ces allergènes bien définis4, mais elle est plus facile à réaliser avec des tests multiplex (microarray ou micropuce) permettant de doser simultanément un grand nombre d’IgEs en utilisant une très faible quantité de sang. C’est le principe de la puce ISAC (Immuno Solid phase Allergen Chip) qui permet de doser les IgEs dirigées contre 112 allergènes sur 30 mL de sérum. Les auteurs précisent les différences techniques et cliniques entre les tests multiplex/microarray et les tests unitaires.

Les tests unitaires sont plus sensibles et permettent d’obtenir des résultats quantitatifs ; si besoin, ils permettent de suivre l’évolution des IgEs. Sur le plan clinique, les dosages unitaires ne permettront à l’allergologue de trouver (ou non) que ce qu’il cherche.

Par contre, l’utilisation de tests multiplex/microarray, en “balayant plus large”, pourra orienter le diagnostic vers des possibilités auxquelles on n’avait pas pensé…, au risque d’une utilisation inflationniste.
Le choix du type de test est du ressort de l’allergologue ; l’interprétation des résultats nécessite un dialogue entre le clinicien et le biologiste [13]. Il faut insister sur la formation continue de l’allergologue à ces techniques et à leur évolution5.

Protéines de transfert lipidique : de quoi s’agit-il ?

Les protéines de transfert lipidique (ou LTP pour Lipid Tranfer Proteins) sont une famille de polypeptides de 9 à 13 kDa très répandue dans le règne végétal, responsable de nombreuses AA. Ce sont également des panallergènes, responsables de nombreuses réactions croisées, surtout entre fruits et légumes, mais aussi entre pneumallergènes et aliments.
Les LTP sont thermostables et résistent à la protéolyse, ce qui explique la fréquence des AA qui leur sont imputables, le plus souvent sévères, après consommation d’aliments crus et cuits.
Fontaine [14] les qualifie de LTP non spécifiques (LTPns) comme celles de la pêche (Pru p 3), de la pomme (Mal d 3), de la noisette (Cor a 8), de l’arachide (Ara h 9) et de la noix (Jug r 3).

Le “syndrome LTP”

Cliniquement, un “syndrome LTP” peut être évoqué devant des AA sévères, plus souvent au Sud qu’au Nord de l’Europe, impliquant des végétaux de taxonomie différente6 [14]. Toutefois, il peut se manifester par un simple SAO, mais des cofacteurs comme l’effort physique et la prise d’AINS peuvent entraîner des symptômes sévères chez un patient jusque là atteint de symptômes légers [14].

Dans l’étude de Pascal et al. [15], 45 patients atteints d’AA multiples sensibilisés aux LTP présentaient des symptômes variés :

  • SAO (75,6 %) ;
  • urticaire (66,7 %) ;
  • symptômes digestifs (55,6 %) ;
  • anaphylaxie (75,6 %).

Pour un tiers d’entre eux (32,4 %), les AINS et l’exercice étaient des cofacteurs de réactions sévères.
Tous les sujets, testés avec une micropuce comportant 103 composants allergéniques étaient sensibilisés à Pru p 3 (allergène majeur de la pêche), Tri a 14 (allergène du blé) et quelques autres LTP [15] ; 75,6 % étaient atteints de pollinose, le platane et l’armoise étant associés à la sensibilisation à Pru p 3.

Les voies de sensibilisation sont digestives, mais parfois respiratoires. La prédominance des AA au Sud de l’Europe peut être expliquée par une sensibilisation primaire due à la consommation de pêches, en particulier en Espagne. Des réactions croisées ont été décrites avec le pollen de pariétaire, d’armoise et de platane : ainsi, devant une AA, l’existence d’une sensibilisation à l’armoise et/ou au platane évoque un “syndrome LTP”.

Les fruits exotiques : une dénomination à revoir, mais des allergies à la hausse dans le monde

Les AA aux fruits (en général) et aux fruits exotiques (en particulier) sont de plus en plus fréquentes. Mais la dénomination de fruit exotique est un sujet de discussion [16]. S’agit-il de leur origine géographique autre que domestique, ou de leur taxonomie ?

“Fruits exotiques” : quelle définition ?

On peut aussi employer le terme de fruits tropicaux : ananas, carambole, corossol (anone), cerise de la Barbade (acérola), durian (durion), fruit de l’arbre à pain ou châtaignier pays (fruit à pain ou uru), grenade, fruit du jacquier (petit jacque ou Ti-jacque), kaki, fruit du jamalac (wax-apple ou Samarang rose apple), mangue, mangoustan, noix de macadamia (ou noix du Queensland), pili (drupe et noix), papaye, fruit de l’attier (atte ou pomme cannelle), ramboutan (ou litchi chevelu). La plupart de ces fruits ont déjà été la cause d’AA ; cette liste n’est pas exhaustive7 ni close [17]… D’autres auteurs proposent une liste réduite : litchi, mangue, fruit de la passion, papaye. Mais si on ajoute le syndrome latex-fruit (banane, avocat, kiwi, etc.), la liste devient au moins aussi longue que la première… On remarquera que certains de ces fruits (tropicaux ou exotiques) sont présents (kaki, grenade) et même cultivés (kiwi) en Europe et en France (comme le kiwi dans les Pyrénées Atlantiques) !

Les symptômes d’AA aux fruits exotiques

Ils sont variables [16] :

  • symptômes légers à modérés à type de SAO, car les allergènes responsables (profilines, protéines PR) sont thermosensibles et dégradés par les enzymes digestives ;
  • symptômes systémiques dus aux LTP, thermostables et résistants à l’acidité gastrique (les AA sont plus fréquentes dans les régions méditerranéennes en raison de la prédominance de la pêche, que dans les régions d’Europe centrale ou du nord où le bouleau est dominant) ;
  • syndrome latex-fruit ;
  • réactions pseudo-allergiques par libération non spécifique d’histamine, en particulier pour les agrumes8, l’ananas, la fraise, etc.

Le kiwi peut entraîner des symptômes sévères [18]9. Malgré des différences allergéniques, le kiwi jaune (Actinidia chinensis) est aussi allergisant que le kiwi vert (Actinidia deliciosa), et les patients allergiques à l’un sont aussi à risque d’être allergiques à l’autre [19].

Le diagnostic est basé sur l’anamnèse, les PT au fruit frais, le dosage unitaire des IgEs, le TPO ouvert ou le TPODA.

Quelques télex

Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires

Le SEIPA10 est une AA non IgEdépendante du nourrisson, aux symptômes aigus (à ne pas confondre avec un choc anaphylactique) ou chroniques souvent sévères. Les aliments le plus souvent en cause sont le lait de vache et le riz [20]. Toutefois, denombreuses études publiées [21, 22] et la casuistique de 81 cas (Necker, Paris et Lenval, Nice) montrent que leur liste est bien plus longue : poisson, oeuf, volailles, boeuf, crevette, légumineuses, brocoli, etc. [20].
Le TPO est indispensable au diagnostic, mais il est souvent établi avec retard. L’âge médian du premier symptôme est de 4 mois et celui du diagnostic de 10 mois. Vingt-trois enfants (28 %) avaient été admis en réanimation.
Le traitement associe une réhydratation IV et une corticothérapie [22]. L’adrénaline n’a aucun effet, car il ne s’agit pas d’une allergie IgE-dépendante. Un peu plus du quart des patients ont acquis une tolérance alimentaire à l’âge médian de 34 mois [20].

Le syndrome de Lucie-Frey : un diagnostic différentiel de l’allergie alimentaire, facile, mais méconnu

Le syndrome de Lucie-Frey, ou syndrome du nerf auriculo-temporal, ou syndrome des flushs gustatifs unilatéraux est une neuropathie dégénérative le plus souvent secondaire à un traumatisme [23-25]. Chez le nourrisson, il se caractérise par une hypersudation gustative, survenant à la prise des repas, dès les premières bouchées, pour disparaître rapidement après la fin de celui-ci.
Ce syndrome méconnu est souvent confondu avec une AA et, par conséquent, l’objet d’examens allergologiques inutiles. Le diagnostic est basé sur l’interrogatoire [22, 23].

  • Dans l’étude rétrospective de Blanc et al. [25] portant sur 27 enfants français, 19 (70 %) des nourrissons avaient eu une extraction instrumentale, 12 (63 %) par forceps et 7 (37 %) par spatules. Les symptômes débutaient à 5 mois au moment de la diversification alimentaire, l’atteinte était plus souvent unilatérale (74 %) que bilatérale (26 %). Les symptômes étaient un érythème (38 %), une chaleur localisée (121 %), parfois une hyperhydrose, un prurit, une hypersalivation. La guérison à 2 ans est plus souvent partielle (18 cas) que complète (4 cas), mais une durée du suivi plus longue pourrait modifier cette répartition.
  • Une étude prospective multicentrique sur l’incidence de ce syndrome après extraction instrumentale, césarienne et accouchement normal par voie basse est maintenant indispensable.

Dépistage biologique de l’APLV aux urgences

Les nourrissons présentant des symptômes allergiques aigus sont souvent accueillis aux urgences faute de pouvoir bénéficier d’une consultation allergologique ou pédiatrique immédiate.

Les urgentistes connaissant peu ou mal l’APLV, il serait utile de mieux les informer sur ses mécanismes et de les inciter à rechercher les formes IgE-dépendantes en demandant un dosage des IgEs dirigées contre le lait de vache [26]. Parmi 176 nourrissons inclus dans une étude prospective, âgés en moyenne de 62 jours, 72 dosages (40 %) furent positifs, les IgEs étant en moyenne de 7 kUA/L.
Si le dosage des IgEs est donc utile au cours des premiers symptômes d’APLV, celui de la tryptase sérique pourrait aussi l’être chez les nourrissons atteints d’APLV [27]. Parmi 25 patients atteints d’APLV diagnostiquée avant l’âge de 6 mois soumis à un régime d’éviction du lait remplacé par un hydrolysat extensif, et comparés à 25 témoins appariés, la tryptasémie était plus élevée chez les premiers à la phase aiguë (urticaire). De plus, une tryptasémie de base plus élevée était associée à un risque plus élevé de persistance de l’APLV.

Rappelons une autre vérité : la plupart des patients, tous âges confondus, admis aux urgences pour accident allergique aigu, sortent au bout de 24 heures sans RV écrit auprès d’un allergologue, au minimum dans le mois qui suit l’accident ! Cette disposition devrait être systématique.

Induction et perte de tolérance alimentaire

Si, au cours des années précédentes, les études sur les ITA utilisant la voie sublinguale ou surtout la voie orale ont été nombreuses, ces travaux ne sont plus tellement à l’ordre du jour. En effet, les allergologues attendent des recommandations et des protocoles précis, et si possible uniformisés, pour l’arachide, le lait de vache et l’oeuf de poule pour remplacer, si possible, les protocoles utilisés dans chaque service spécialisé.

L’effet délétère d’un régime d’éviction au long cours11 chez des sujets sensibilisés, mais non allergiques (c’est-à-dire asymptomatiques) se confirme : une anaphylaxie sévère chez une fillette de 6 ans après consommation de deux M&M’s (800 mg d’arachide) survenue 18 mois après la réalisation d’un TPO à l’arachide négatif (pour une dose cumulée de 10 grammes) suggère que cet accident est lié à l’acquisition d’une sensibilisation à l’occasion de ce TPO [28].

Inversement, l’exposition régulière à des traces d’arachide – car une éviction complète est difficile – diminuerait le risque de réaction accidentelle à l’arachide. Potier et al. [29] ont effectué une étude rétrospective comparant deux groupes d’enfants, les uns bénéficiant d’une éviction stricte de l’arachide, les autres d’une éviction partielle (consommation de traces). Les enfants qui ont eu une exclusion partielle ont présenté moins d’accidents que ceux qui avaient eu une exclusion totale.

Un test inutile : le dosage des IgG spécifiques anti-aliments

Dans le n°17 de Nutrition & Pédiatrie, nous avions publié une mise au point “Allergies alimentaires : fautil doser les IgG (IgG4) spécifiques des aliments ?” [30]. Ces tests, disponibles auprès de chaînes pharmaceutiques ou sur Internet sont conseillés par des thérapeutes holistiques, des guérisseurs, des gourous, certains paramédicaux, parfois des médecins. Ils coûtent entre 400 et 700 dollars canadiens (ou équivalents). Les sociétés savantes (EAACI, AAAAI, CSACI) ont mis en garde contre ces tests qui ne sont pas scientifiquement validés par les méthodes d’EBM ; la positivité de leurs résultats entraînant l’éviction d’aliments essentiels peut provoquer des troubles de la croissance et une malnutrition. Dans le sérum d’un individu, la présence d’IgG (IgG4) dirigées contre les aliments est la traduction d’une exposition aux allergènes. Leur présence n’est pas pathologique, mais au contraire plutôt bénéfique. Plus généralement, aucun test sanguin (quel qu’il soit) ne peut se substituer à la consultation d’un médecin expérimenté (allergologue) pour le diagnostic et la prise en charge des allergies alimentaires.

Au CFA, Chabane [31] a confirmé que ces tests ne sont pas recommandés pour le diagnostic des intolérances alimentaires.

En pratique :
Ces tests n’ont aucun intérêt en routine. Il faut les réserver à certaines recherches, en particulier pour apprécier les effets immunologiques d’une ITA en conjonction avec le dosage d’autres marqueurs comme les IgEs.

Conflits d’intérêts :
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêts concernant la rédaction de cet article.

En savoir plus…


1. Improprement appelés “allergènes recombinants” (anglicisme).

2. Le terme “associé à” est important : il signifie que la positivité du test n’implique pas obligatoirement l’existence d’un phénotype clinique d’AA, même si la probabilité est forte (mais pas absolue). De nombreux facteurs influencent les résultats de l’AM (âge et origine géographique en particulier). A titre d’exemple, l’étude de Agabriel et al. montre que, dans une population méditerranéenne (Marseillaise), l’AA à l’arachide est associée à la présence d’IgEs dirigées contre Ara h 6 et Ara h 2 plus que Ara h 1.

3. Plus simplement les termes « identifier des profils de sensibilisation avec expression clinique d’allergie » signifient « identifier des profils de sensibilisation avec symptômes cliniques d’allergie ».

4. La société Thermofisher Scientific© propose plus d’une centaine de ces tests unitaires.

5. D’autres puces comme la puce MeDALL (Mechanisms for the Development of ALLergy) permettent de doser simultanément les IgEs contre 170 allergènes. Il existe aussi des “puces thématiques” pour doser les familles d’allergènes.

6. En effet, ces végétaux appartiennent à des familles différentes : de la pêche (rosacée), de la pomme (rosacée), de la noisette (bétulacée), de l’arachide (fabacée), de la noix (juglandacée), etc.

7. Il manque la noix de cajou (symptômes souvent sévères), la noix du Brésil (symptômes modérés à sévères), la noix de coco, la noix de nangaille (ou amande de Java), la noix de pécan ou noix d’Hickory (symptômes souvent sévères), la pistache (symptômes souvent sévères). 

8. Attention, des réactions IgE-dépendantes aux agrumes ont été décrites !

9. En 2004, une grande étude a porté sur 276 allergiques au kiwi, âgés de 5 mois à 86 ans (médiane : 38,8 ans ± 21,1 ans). Les patients étaient âgés de 31,5 ± 18,9 ans au moment des premiers symptômes, ce qui illustre le retard à l’établissement du diagnostic. Si les symptômes se limitaient à un SAO dans 65 % des cas, ils étaient sévères chez 18 % des patients (bronchospasme, cyanose et collapsus). Les enfants âgés de moins de 5 ans réagissaient plus souvent que les adultes à la 1re exposition au kiwi (p < 0,001). Les symptômes sévères étaient plus fréquents au-dessous de 5 ans qu’après l’âge de 15 ans (p = 0,008). L’allergie au kiwi n’a pas spontanément tendance à guérir : si le premier épisode est grave, les suivants le seront aussi.

10. En anglais FPIES (Food Protein-Induced Enterocolitis Syndrome).

11. Evictions poursuivies le plus souvent par les parents par crainte.


 


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