Maladie de Crohn : Considérations nutritionnelles

Les conséquences nutritionnelles de la maladie de Crohn

La maladie de Crohn (MC) est une maladie chronique caractérisée par une inflammation transmurale, pouvant affecter tout le tube digestif. Chez les enfants comme chez les adultes, les régions principalement affectées sont l’iléon terminal et le côlon droit. Comme le petit intestin est le site principal d’absorption des nutriments, l’impact est majeur sur l’état nutritionnel des patients, leur croissance et leur puberté pouvant aussi être affectées. Les symptômes classiques rencontrés, dans tous les groupes d’âge, sont principalement les douleurs abdominales, la diarrhée, une perte d’appétit et une diminution du poids..
  • La malnutrition protéino-énergétique

La malnutrition protéino-énergétique (MPE) est une complication particulièrement importante et fréquente dans la MC. L’étiologie est multifactorielle, mais le manque d’apport reste toutefois le facteur le plus incriminé. Notons également la malabsorption des nutriments, particulièrement lorsque l’atteinte est extensive, les besoins énergétiques accrus, les pertes gastrointestinales, les interactions entre les médicaments et certains nutriments, sans oublier les médiateurs inflammatoires retrouvés dans la physiopathologie de la MC soit le tumor necrosis factor-α et les interleukines-1 et 6 qui peuvent augmenter le catabolisme et induire l’anorexie. Le tableau  1 résume les principaux facteurs impliqués dans le développement de la malnutrition dans la MC (1, 2).

  • Déficiences en micronutriments

Elles sont courantes dans la MC, spécialement chez les patients dénutris. Plusieurs déficiences en divers minéraux et vitamines sont rapportées chez les patients avec MC. Elles reflètent plus l’activité de la maladie qu’un déficit nutritionnel spécifique. Mentionnons les déficiences en vitamines (A, B, C, D, E, K, B12, acide folique), de même que les déficiences en minéraux ou éléments trace tels que le fer, le cuivre, le sélénium, le zinc, le calcium, le magnésium et le phosphore.

L’anémie se rencontre chez plus du tiers des patients avec une maladie intestinale inflammatoire (MII) et a un impact majeur sur leur qualité de vie. La cause est souvent multifactorielle, les déficiences en fer, en folate et en vitamine B12 étant fréquentes (1-3).

  • Détérioration de la croissance

La malnutrition chronique se traduit par une détérioration de la croissance linéaire et du développement pubertaire chez les patients pédiatriques. Le pourcentage d’enfants chez qui la croissance est affectée varie selon la définition donnée du retard de croissance et selon les populations qui sont étudiées (étude dans un centre de référence tertiaire versus étude basée sur une population plus large). Des pourcentages de l’ordre de 15 à 40 % sont rapportés selon les études. Il est néanmoins courant d’observer que cette détérioration de la croissance se retrouve aussi bien avant que le diagnostic ne soit posé, que dans les années ultérieures, et que la taille à l’âge adulte est souvent compromise (4-7). L’étiologie du retard de croissance est aussi multifactorielle : pauvre état nutritionnel, conséquences systémiques de l’inflammation intestinale, sévérité de la maladie et région atteinte, métabolisme osseux anormal, retard pubertaire, perturbation de l’axe GH/IGF-1, utilisation des médications telles les corticostéroïdes. Tous ces facteurs contribuent de façon différente à son installation (1).

  • Les maladies osseuses

Les maladies osseuses métaboliques se développent de façon silencieuse chez ces patients. La présence d’ostéopénie et d’ostéoporose est de plus en plus reconnue. Les taux rapportés en pédiatrie sont élevés, allant jusqu’à 30 % des enfants pouvant avoir une densité osseuse réduite. Les causes sont nombreuses : malnutrition, indice de masse corporelle abaissé, restrictions alimentaires (lait et produits laitiers), déficiences en calcium et vitamines D et K, maladie très active, facteurs hormonaux et génétiques, utilisation de cortico-
stéroïdes, manque d’activité physique (2, 8).

Approches thérapeutiques

Dans la MC, les options thérapeutiques sont diverses. Le choix dépend de la sévérité de la maladie et de la région atteinte. Bien que la thérapie médicamenteuse améliore les symptômes, elle ne corrige ou n’améliore toutefois pas toujours l’état nutritionnel des patients et n’amène pas nécessairement la guérison de la muqueuse intestinale. De plus, les molécules, telles les stéroïdes de première génération, ont de multiples effets secondaires particulièrement néfastes en pédiatrie, dont le retard de croissance et l’ostéopénie (7).

  • La nutrition parentérale

Chez l’enfant, comme chez l’adulte, la nutrition parentérale est généralement réservée aux patients ayant une maladie très sévère, ne pouvant tolérer ou ne répondant pas à une nutrition entérale, ou dans certaines situations pré- et postopératoires (fistule, obstruction intestinale ou perforation, mégacôlon toxique, syndrome de l’intestin court) (2).

  • La nutrition entérale

L’utilisation de la nutrition entérale (NE) dans la MC remonte aux années 1970, alors que Voitk décrivait pour la première fois l’effet thérapeutique de ce traitement chez des adultes avec MC résistants à d’autres thérapies (9). Le taux de rémission était similaire à celui du traitement par corticostéroïdes. Par la suite, un grand nombre d’études, particulièrement celles en pédiatrie, a montré que la NE était aussi efficace que les corticostéroïdes comme traitement de la maladie active, en plus de l’amélioration de la croissance et du développement, sans les effets néfastes des stéroïdes. Ces auteurs militent en faveur de la NE comme traitement de première ligne chez l’enfant avec MC active (10, 11). La thérapie nutritionnelle, bien qu’ayant peu ou pas d’effets néfastes, demande cependant beaucoup de motivation et de persévérance de la part des patients, de même que le soutien de toute la famille et du personnel soignant.

La NE a aussi certaines limites. On sait que le taux de rechute suite à un traitement nutritionnel est élevé. Soixante à 70 % des patients, selon les études pédiatriques, rechutent dans les 12 mois qui suivent le traitement. D’où la nécessité probable de combinaison avec une médication pour maintenir la rémission ou de poursuivre la NE soit de façon intermittente (1 mois/4) ou en supplément à une diète normale (12-17).

Quant au choix de la solution, diverses méta-analyses n’ont montré aucun avantage à utiliser une solution élémentaire versus une solution polymérique (15, 17). La solution polymérique a l’avantage d’être plus facile à prendre oralement, ce qui peut améliorer l’acceptation et la persévérance à faire ce type de traitement.

Le mode d’action de la NE demeure encore mal compris, bien que plusieurs hypothèses soient émises. Parmi celles-ci mentionnons : amélioration de l’état nutritionnel, apport en macro et micronutriments, diminution des cytokines pro-inflammatoires, guérison de la muqueuse épithéliale, diminution de la perméabilité intestinale, diminution d’antigènes alimentaires, repos intestinal, modification de la flore intestinale, effets anti-inflammatoires (1).

Le protocole de traitement avec la NE exclusive varie beaucoup d’un centre à l’autre, de même que la façon de réintroduire les aliments à la fin du traitement. La plupart des approches ont été développées avec le temps par les équipes de cliniciens. Le tableau 2 résume ces différentes méthodes. En ce qui concerne l’utilisation de la NE selon la localisation de la maladie, même si l’on croit que la NE est plus efficace lorsque que l’iléon est atteint, une récente étude de Buchanan en 2009 a démontré qu’il n’y avait pas de différences significatives dans les taux de rémission selon les régions atteintes. Ainsi, la NE doit être considérée dans les options thérapeutiques quel que soit le site de la maladie (18).

  • Chez le patient en rémission

Une alimentation normale et équilibrée est recommandée, ce qui inclut tous les groupes alimentaires, y compris les fruits et les légumes, riches en vitamines antioxydantes. Une restriction temporaire en fibres peut aider lorsque la maladie est active ou s’il y a un risque de sténose intestinale. Le lait et les produits laitiers, sources de calcium et vitamine D, sont également recommandés et ne devraient être restreints que dans les cas d’intolérance au lactose (2). Il est maintenant possible de retrouver sur le marché du lait et divers produits laitiers sans lactose.

En conclusion

Le suivi nutritionnel individualisé est primordial chez les patients pédiatriques avec MC. Le suivi de la croissance est crucial et une croissance normale est un marqueur du succès au traitement (19). La NE, améliorant la croissance et la santé osseuse, devrait être un choix de première ligne pour le traitement de la MC active particulièrement en pédiatrie et elle devrait également être considérée pour le maintien de la rémission.

 

Les 10 commandements concernant la maladie de Crohn chez l’enfant

1. La normalité du bilan biologique ne devrait pas faire écarter le diagnostic.

2. Un retard statural isolé doit faire suspecter une maladie de Crohn chez l’adolescent.

3. Le dosage de la calprotectine fécale représente un marqueur de dépistage non invasif.

4. Le risque de maladie de Crohn chez l’enfant est important lorsqu’il existe des antécédents familiaux de premier degré de maladie de Crohn ou de colite ulcéreuse.

5. L’iléoscopie avec prises biopsiques multiples associée à la gastroscopie sont des éléments clés du diagnostic.

6. La présence de granulomes dans les biopsies est un élément fort pour le diagnostic de maladie de Crohn.

7. Le traitement nutritionnel de la maladie de Crohn est aussi efficace que la corticothérapie et devrait être utilisée en priorité quelque soit l’atteinte initiale.

8. La nutrition entérale permet la mise en rémission et la relance de la croissance staturo-pondérale.

9. La recherche et la correction de carence en oligoéléments et vitamines est un élément important de la prise en charge surtout dans les formes étendues de la maladie.

10. La chronicité de la maladie et le risque de rechute justifient dans la majorité des cas un traitement de fond.

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