Dénutrition et mucoviscidose

Grâce au dépistage néonatal, qui s’est étendu à l’ensemble du territoire français depuis 2002, et à sa prise en charge précoce qui a pour objectif d’optimiser l’état nutritionnel de l’enfant et de freiner le déclin de la fonction respiratoire, l’espérance de vie des patients atteints de mucoviscidose s’est améliorée.

 

La mucoviscidose est une maladie génétique récessive autosomique qui touche essentiellement la population caucasienne. Elle se caractérise par une altération de la protéine CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator), dont la fonction principale est la régulation des flux hydro-électrolytiques transmembranaires et la qualité des sécrétions exocrines.

L’atteinte respiratoire, caractérisée par la survenue de dilatation des bronches, évoluant vers une insuffisance respiratoire chronique mortelle, conditionne le pronostic.

Il existe fréquemment une atteinte digestive et pancréatique, avec insuffisance pancréatique externe (85 % des patients), et parfois une hépatopathie (30 %).

L’altération de la croissance staturo-pondérale et une dénutrition peuvent survenir.

La prise en charge renforcée de l’atteinte respiratoire (kinésithérapie, antibiothérapie, dornase alpha, progrès de la transplantation pulmonaire) et le soutien nutritionnel (extraits pancréatiques, alimentation optimisée, nutrition entérale) ont permis d’améliorer l’espérance de vie : la majorité des patients mouraient avant 5 ans dans les années 60, la vie médiane actuelle dépasse 35 ans, et l’espérance de vie 40 ans.

Depuis 2002, le dépistage néonatal de cette maladie s’est étendu à l’ensemble du territoire français.

La prise en charge précoce a pour objectif d’optimiser l’état nutritionnel de l’enfant et de freiner le déclin de la fonction respiratoire.

Une dénutrition multifactorielle

• Chez la plupart des patients, l’insuffisance pancréatique externe est un des facteurs essentiels de la dénutrition.

La maldigestion associée porte sur les graisses et les vitamines liposolubles. Certains patients ont par ailleurs une malabsorption en rapport avec une résection intestinale (iléus méconial).

• Les apports oraux sont fréquemment limités par une anorexie souvent multifactorielle. Elle peut être :

– d’origine psychologique ;
– en rapport avec des prises médicamenteuses ;
– et/ou liée à une insuffisance respiratoire.

Les douleurs abdominales sont fréquemment incriminées : elles peuvent être dues à la maldigestion, à une constipation, voire à un syndrome d’obstruction intestinale distale ou à un reflux gastro-œsophagien.

• Il arrive encore que les apports soient insuffisants sur les plans calorique, lipidique et protéique, du fait de recommandations inadaptées.

• La maldigestion peut rester un facteur prépondérant lorsque les extraits pancréatiques ne sont pas pris de manière optimale :

– soit par posologie insuffisante, lorsque la prise d’extraits pancréatiques est statique et n’est pas adaptée à la teneur en graisses des repas ;
– soit lorsque la prise n’est pas effectuée dans de bonnes conditions, normalement juste avant la prise alimentaire.

• On observe, dans la mucoviscidose, une augmentation de la dépense énergétique avec hypercatabolisme en rapport avec l’infection et l’inflammation bronchique.

L’insuffisance respiratoire est également associée à une augmentation de la dépense énergétique.

• Certains patients présentent une atteinte hépatique pouvant évoluer vers une cirrhose, avec hypertension portale, facteur supplémentaire de dénutrition.

• Chez un jeune adulte, une perte de poids récente associée à un déclin de la fonction respiratoire doit faire suspecter un diabète secondaire à la maladie.

Les conséquences de la dénutrition et les carences

La dénutrition va être responsable, chez le nourrisson et l’enfant, d’une mauvaise croissance  tout d’abord pondérale puis, rapidement, staturo-pondérale.

Un retard pubertaire peut également être observé.

L’état nutritionnel est corrélé à la fonction respiratoire et à l’espérance de vie.

  • Les carences

Des carences en acides gras essentiels, en fer, en sodium, en vitamines et en oligoéléments peuvent survenir.

•    La carence en acides gras essentiels
Elle est fréquente chez ces patients, du fait d’apports insuffisants et de l’insuffisance pancréatique externe. Cette carence pourrait être un facteur d’aggravation de l’atteinte respiratoire par son effet délétère sur les mécanismes immunitaires généraux et pulmonaires, par altération de la membrane des cellules bronchiques.

    Les carences vitaminiques
Elles portent essentiellement sur les vitamines liposolubles A, D, E et K, du fait de l’insuffisance pancréatique externe, mais elles peuvent également concerner les vitamines hydrosolubles.

Le terme de vitamine A correspond à une famille de composants importants impliqués dans l’intégrité cellulaire, la croissance et la vue. La vitamine A comprend le rétinol et les dérivés b ionones. Le terme de provitamine A est utilisé pour tous les caroténoïdes qui, comme précurseurs, possèdent une activité biologique comparable à celle de la vitamine A. La carence en vitamine A est fréquente chez ces patients, pouvant toucher 50 % des nourrissons dépistés. Elle peut entraîner des atteintes oculaires externes, avec atteinte de l’épithélium de la cornée et de la conjonctive, ou interne, avec baisse de la sensibilité de la rétine à la lumière.

La carence en vitamine D est fréquemment observée. Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, il est apparu que les patients adultes avaient fréquemment une ostéoporose, probablement multifactorielle.

La vitamine E (correspondant à 7 composants distincts, dont l’alpha-tocophérol) a un rôle dans le développement, la stabilité de la membrane cellulaire, la prévention de l’hémolyse et une action antioxydante. La carence en vitamine E est fréquente, mais l’expression clinique est plus rare (aréflexie tendineuse, ataxie). Cependant, cette carence pourrait avoir des conséquences immunitaires favorisant les infections pulmonaires.

Enfin, la carence en vitamine K va avoir des conséquences sur la production de facteurs de coagulation, tout particulièrement chez le nourrisson de moins de un an, avec un risque hémorragique important chez le nouveau-né sous allaitement maternel exclusif.

 La carence en fer
Elle est fréquente et peut conduire à une anémie microcytaire.

   La carence en oligoéléments
Elle concerne essentiellement le zinc, et peut être responsable d’un retard de croissance, d’une susceptibilité accrue aux infections et de lésions cutanées à type d’Acrodermatitis Enteropathica.

La carence en sélénium est peu fréquente et doit être suspectée devant la présence d’une cardiomyopathie évocatrice d’une maladie de Keshan.

  • Une déshydratation

En période de chaleur, il existe un risque de déshydratation avec perte de sodium qu’il conviendra de prévenir, tout particulièrement chez le nourrisson.

Le dépistage et la surveillance

  • L’évaluation des besoins

Il est difficile d’estimer avec précision les besoins énergétiques, car il existe une variabilité interindividuelle en rapport avec l’importance de la malabsorption et de la maldigestion résultante, de l’inflammation et de l’infection broncho-pulmonaire, de la masse grasse, du sexe, du statut pubertaire, du génotype, de l’âge, de la présence d’un diabète.

Ainsi, les apports caloriques quotidiens recommandés varient selon les recommandations des sociétés savantes de 110 à 200 % des apports recommandés pour des sujets sains.

Quoi qu’il en soit, l’estimation doit être adaptée à l’objectif pondéral fixé ; un gain insuffisant conduira à augmenter les ingesta.

Les besoins protéiques sont également difficiles à estimer. Habituellement, les patients qui ont un apport énergétique suffisant ont des apports protéiques adaptés. Inversement, ceux qui ont un apport calorique insuffisant sont également en carence protéique.

  • La surveillance clinique

Elle portera avant tout sur le poids et la taille mesurés lors de chaque consultation, dont les valeurs seront reportées sur les courbes de référence (courbes de Sempé-Pédron) du poids et de la taille en fonction du sexe et de l’âge du patient.

La corpulence calculée sur le ratio poids (kg)/taille2 (m) sera reportée sur la courbe également définie selon le sexe et l’âge de l’enfant.

Deux autres paramètres sont très utiles pour diagnostiquer une dénutrition chez l’enfant : il s’agit des rapports P/T (poids sur poids idéal pour la taille) et T/âge (taille sur taille idéale pour l’âge), en se reportant aux courbes de croissance (courbes de Sempé-Pédron) :

• rapports P/T > 90 % et T/âge ≥ 95 % : absence de dénutrition ;
• rapports P/T = 80-90 % et/ou T/âge = 85-94 % : dénutrition modérée ;
• rapports P/T < 80 % et/ou T/âge ≤ 84 % : dénutrition sévère.

Le retard pubertaire étant fréquent, il convient de définir le stade pubertaire de l’enfant.

  • Bilans paracliniques

Des bilans paracliniques sont effectués régulièrement chez ces patients, à la recherche essentiellement de carences.

Les bilans seront fréquents chez le nourrisson, puis annuels chez l’enfant et l’adolescent.

Chez l’enfant âgé de plus de 10 ans, une épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale à la recherche d’une intolérance au glucose ou d’un diabète sera réalisée chaque année.

Le bilan biologique régulier comprend :

• une numération formule sanguine et la ferritinémie à la recherche d’une carence martiale ;

• un ionogramme sanguin à la recherche d’une hyponatrémie (en particulier chez le jeune nourrisson sous allaitement maternel exclusif) ;

• un bilan phosphocalcique ;

• une albuminémie ;

• un bilan vitaminique, dont vitamine A, 25-OH D3, vitamine E, et un taux de prothrombine ;

• une chromatographie des acides gras essentiels.

Il sera également recherché une carence en oligoéléments, avec dosage du zinc plasmatique et érythrocytaire. La carence éventuelle en sélénium sera recherchée par le dosage du sélénium plasmatique et l’activité enzymatique de la glutathion
peroxydase dépendante du sélénium.

Enfin, le bilan nutritionnel pourra être complété par une radiographie du poignet afin d’estimer l’âge osseux, et par une ostéodensitométrie à la recherche d’une déminéralisation osseuse.

Quelle prise en charge nutritionnelle ?

La prise en charge nutritionnelle doit être précoce, dès le diagnostic néonatal, afin d’avoir un état nutritionnel satisfaisant et une bonne croissance staturo-pondérale.

  • L’éducation thérapeutique

L’information est apportée initialement aux parents et, dès que l’âge du patient le permet, l’enfant bénéficie d’une éducation thérapeutique.

Les objectifs éducatifs sont :

• la connaissance des différentes classes d’aliments et leur teneur en graisses ;

• les modalités de la prise d’extraits pancréatiques, en précisant le mode d’action, le moment de la prise et l’adaptation des doses en fonction de la teneur en lipides des aliments ;

• la prévention et la prise en charge de la déshydratation et la supplémentation en sodium, avec indentification des aliments riches en sodium ;

• les carences en vitamines et en oligoéléments, et l’intérêt de la supplémentation ;

• chez le jeune adulte diabétique, s’y associe toute la démarche éducative du diabète avec toutes les particularités nutritionnelles liées à la mucoviscidose.

Comme pour tout enfant, l’intégration scolaire dans le cadre d’un projet d’accueil individualisé permettra d’avoir la même prise en charge de l’enfant en milieu scolaire.

Il s’agira essentiellement d’apporter des extraits pancréatiques avant toute prise d’aliment contenant des graisses.

  • Le régime alimentaire

Chez le jeune nourrisson dépisté, en cas d’allaitement artificiel, il est habituel de proposer un lait premier âge standard, les hydrolysats de protéines étant réservés à des problèmes digestifs de type résection intestinale.

L’allaitement maternel peut être poursuivi, sous réserve que le nourrisson ait une bonne croissance staturo-pondérale.

Chez certains nourrissons ayant des difficultés à boire, avec une croissance staturo-pondérale insuffisante, il est possible de fractionner la prise des biberons.

La diversification alimentaire se fera selon les modalités habituelles à partir du 4e mois selon les recommandations actuelles.

Chez l’enfant, les extraits pancréatiques permettent une alimentation naturelle hypercalorique, sans restriction en graisses. L’appétit est souvent important à cet âge.

Il faut conserver des apports caloriques majorés de l’ordre de 10 à 30 % par rapport à ceux habituellement recommandés chez l’enfant.

En considérant le fait que 50 % des adultes atteints de mucoviscidose ont un diabète, il est recommandé dès l’enfance de proscrire la prise régulière de sodas.

  • Faut-il supplémenter ?

• Il est habituel et fortement recommandé d’avoir recours à des compléments oraux hypercaloriques.

Il conviendra de les prendre à distance des repas de midi et du soir afin de ne pas réduire l’appétit de l’enfant ; ils sont fréquemment proposés le matin et/ou au goûter.

Des vitamines doivent être prescrites en plus de celles apportées par l’alimentation.

Les vitamines étant liposolubles, la prise doit être couplée à celle d’extraits pancréatiques.

Les doses sont les suivantes :

– vitamine A : 5 000 UI/j ;

– vitamine D : 800-1 000 UI/j, selon la saison ;

– vitamine E : 200-500 UI/j ;

– vitamine K : 5 mg tous les 3 ou 7 jours chez le nourrisson jusqu’à un an, ou bien en cas d’atteinte hépatique ou de cures antibiotiques fréquentes.

La supplémentation en oligoéléments sera effectuée selon les carences identifiées.

  • Les extraits pancréatiques

La plupart des patients présentent, dès le plus jeune âge, une insuffisance pancréatique externe qu’il convient de pallier par des extraits pancréatiques.

Dès le premier mois de vie, une substitution par extraits pancréatiques gastroprotégés est apportée (Kreon fur kinder® 5 000 unités/dose, ATU nominative). Les posologies vont augmenter progressivement tout au long de la vie (Créon® gélules 12 000 et 25 000, Eurobiol® gélules 25 000 – 50 000 à 100 000 U/j en moyenne).

La prise des extraits doit se faire avant les repas contenant des lipides et la quantité apportée doit être adaptée à la quantité de lipides absorbés. Ainsi, il est impératif d’apporter une information aux parents, puis aux patients, sur la composition des aliments, et en particulier sur la teneur en lipides, afin d’optimiser l’apport en extraits pancréatiques.

Lorsque le repas est prolongé, il est possible de reprendre des extraits pancréatiques durant le repas.

Les doses recommandées pour une alimentation habituelle sont données en quantité de lipase :

nourrisson : 2 000 à 4 000 U lipase/120 ml de lait (maternel ou artificiel) ;

enfant (< 5 ans) : 1 000 U/kg/repas (déjeuner ou dîner) (ex : 12 000 U pour un enfant de 12 kg, soit 1 gélule à 12 000 U), 500 U/kg/collation (petit déjeuner, goûter) ;

• grand enfant et adulte : ne pas dépasser 250 000 U/jour, soit 21 gélules à 12 000 U.

Il est recommandé de ne pas dépasser 6 000 U/kg/repas et 250 000 U lipase/jour.

Il est fréquent de prescrire des antisécrétoires de type inhibiteurs de la pompe à protons pour potentialiser l’action des extraits pancréatiques qui sont en partie détruits sous l’action de l’acidité gastrique. Ceci évite d’utiliser des posologies trop élevées ; il a été rapporté des cas de sténose colique chez des patients ayant reçu de grandes quantités d’extraits pancréatiques.

Enfin, une bonne supplémentation en extraits pancréatiques peut favoriser l’apparition de douleurs abdominales en rapport avec une constipation. Il convient alors de ne pas réduire la supplémentation, majorant de nouveau la maldigestion, mais de traiter parallèlement la constipation.

  • Les apports en sodium

Ils doivent être renforcés, tout particulièrement durant les périodes de forte chaleur.

En plus des mesures éducatives habituelles permettant de limiter les pertes en eau et en sel, il est recommandé, chez le nourrisson et le jeune enfant, d’utiliser des boissons riches en sodium (jus de tomate, Vichy Saint-Yorre®, Vichy Célestin®, Arvie®) ou bien un soluté de réhydratation orale.

  • La prise en charge du diabète

La prise en charge nutritionnelle en cas de diabète est particulière dans la mucoviscidose, et est différente de celle proposée dans un type 1 ou 2.

Les besoins énergétiques élevés du fait de la malabsorption et de l’hypercatabolisme doivent être pris en considération.

L’HbA1c est peu sensible et en plus des épreuves d’hyperglycémie provoquée orale, des travaux récents mettent en évidence l’intérêt du Holter glycémique dans le diagnostic des désordres glucidiques.

La corticothérapie orale est indiquée dans le traitement de l’aspergillose broncho-pulmonaire allergique et au cours d’exacerbation respiratoire. Durant ces périodes de traitement, il conviendra de rechercher tout particulièrement une intolérance au glucose ou un diabète.

Une nutrition entérale à débit constant peut entraîner des hyperglycémies nocturnes importantes justifiant d’une insulinothérapie. Inversement, une carence en glucagon observée dans la mucoviscidose nous fera craindre des hypoglycémies.

  • A un stade avancé de la maladie

Il peut apparaître une dénutrition sévère, et ce, malgré une prise en charge nutritionnelle optimale avec conseils diététiques rapprochés.

• Il convient alors d’envisager une nutrition entérale qui conduira à la pose d’une gastrostomie. La nutrition entérale s’effectue habituellement durant la nuit.

• Il est nécessaire d’apporter des extraits pancréatiques en fin de soirée et durant la nuit si le patient se réveille fréquemment.

• Il est important de dépister un reflux gastro-œsophagien en pré ou post-gastrostomie et d’envisager parfois une cure chirurgicale de celui-ci.

Conclusion

La prise en charge nutritionnelle est essentielle dans la mucoviscidose et conditionne en partie le pronostic.

Dès les premiers mois de vie, nous nous efforcerons d’optimiser les apports oraux, d’y associer les extraits pancréatiques de manière optimale grâce au travail éducatif effectué auprès des parents puis du patient.

La supplémentation vitaminique et en oligoéléments sera adaptée selon le bilan biologique effectué régulièrement. Des conseils seront également donnés pour prévenir et traiter une déshydratation.

Enfin, la prise en charge du diabète chez ces patients doit tenir compte des particularités nutritionnelles de la mucoviscidose. “

 

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