Des laits et des allergènes masqués

On dit que les probiotiques sont bénéfiques pour l’enfant en cas de terrain atopique, que la lécithine de soja utilisée comme émulsifiant dans les laits ou dans divers médicaments utilisés par voie topique est sans danger, que l’amidon de maïs met à l’abri de réactions allergiques les enfants porteurs d’une allergie au maïs. Mais ils peuvent contenir des allergènes masqués et pérenniser ou amplifier des réactions allergiques chez des enfants qui ont des seuils de sensibilité très bas. Devant une allergie persistante, il est donc utile de penser à des allergènes masqués et de décripter les étiquettes. L’emploi des prick tests permet alors de conforter le diagnostic.

 

Allergènes masqués et probiotiques

Les probiotiques sont définis comme « des micro-organismes vivants non pathogènes, qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent une influence positive sur la santé ou la physiologie de l’hôte » (Rapport RAO/OMS, octobre 2001). Ce sont principalement des bactéries lactiques. Il a été noté des différences de composition du microbiote entre les enfants porteurs d’une atopie et ceux qui ne le sont pas. Les enfants porteur d’une atopie ont ainsi moins de bifidobactéries et de Lactobacilli [ 1]. Par leur effet immunorégulateur, via la restauration d’un microbiote intestinal plus propice à la balance T2/ T1, les probiotiques sont utilisés chez le nourrisson ou chez la mère pour prévenir ou traiter les maladies atopiques, en cas d’APLV et devant certains troubles intestinaux [2].

• Moneret-Vautrin [3] a rapporté le cas d’un nourrisson de 11 mois porteur d’une allergie aux protéines du lait de vache (APLV) associée à une dermatite atopique. Quinze minutes après l’administration de probiotiques donnés pour une colite à escherichia coli, il a présenté une réaction allergique avec érythème généralisé et gêne laryngée. Le prick test sur les probiotiques donnés s’est révélé positif. D’autres tests chez trois enfants se sont révélés positifs aux 3 probiotiques testés.

Sont incriminés le lactosérum et la caséine intervenant dans la fabrication des probiotiques, qui se comportent comme des allergènes masqués.

• Par l’utilisation de la méthode ELISA, Martin-Munoz [4] a montré que des protéines du lait de vache étaient présentes dans 10 probiotiques sur 11 ; 3 d’entre eux en contenaient plus de 2,5 mg/kg. De même, des protéines du blanc d’oeuf ont été retrouvées dans 3 probiotiques sur 11. Deux probiotiques utilisés largement en France sur trois sont concernés.

Il en ressort que des réactions allergiques aux probiotiques seraient liées à la présence de protéines de lait résiduelles (allergènes masqués du lait de vache) dans des laits adaptés pour l’APLV, qui ont un impact allergique chez des nourrissons à risque d’anaphylaxie. Sont en cause les techniques de culture et de croissance des probiotiques qui se font sur un support comprenant des protéines de lactosérum et de la caséine. C’est par ce mécanisme d’allergènes masqués qu’on peut expliquer la persistance de l’eczéma et de la dermatite atopique, voire leur exacerbation, chez l’enfant nourri avec des probiotiques. En revanche, les probiotiques cultivés sur des protéines de soja hydrolysées ne donnent pas ce type de réaction[ 5]. En cas d’allergie aux protéines du lait de vache, la prudence voudrait que l’on n’utilise que des probiotiques certifiés sans présence résiduelle de protéines de lait. L’idéal serait la mention sur l’étiquetage de la nature du support de culture des probiotiques et/ou le résultat des tests faits par le fabricant pour signaler la présence résiduelle ou non de protéines de lait. On peut le détecter en utilisant le prick test de dépistage pour choisir les produits à utiliser, comme le conseille Bruni [6].

Des traces de protéines dans la lécithine de soja

La lécithine de soja est extraite de l’huile de soja, elle-même issue de la graine de soja oléo-protéagineuse qui contient en moyenne 22 % d’huile et 40 % de protéines. Composée principalement de phospholipides, elle est utilisée comme un émulsifiant naturel (E322) dans l’industrie agroalimentaire pour faciliter le mélange des poudres alimentaires, par exemple dans certaines recettes au chocolat pour améliorer l’homogénéité des ingrédients. Elle empêche l’eau et les graisses de se séparer dans les aliments. Importante source de protéines, le soja, tout comme l’arachide, peut générer des allergies alimentaires et les patients allergiques au soja peuvent consommer sans risque de l’huile de soja et de la lécithine de soja. Cependant, du fait d’un seuil de sensibilité bas, certains patients allergiques au soja peuvent réagir en présence de traces de protéines de soja dans l’huile de soja et la lécithine de soja. La lécithine de soja peut contenir un certain nombre de protéines de liaison aux IgE et peut représenter une source d’allergènes cachés [7]. Le cas suivant de cet enfant montre bien le risque d’induction d’une réaction allergique très violente même avec la lécithine de soja utilisée comme excipient dans un médicament [8].

Cet enfant asthmatique de 3 ans, allergique aux arachides, a été traité aux urgences pour l’exacerbation d’un asthme suite à une infection des voies respiratoires supérieures. Moins d’une heure après avoir reçu deux inhalations d’un bromure d’ipratropium en aérosoldoseur, il a développé une détresse respiratoire et une urticaire généralisée. Evénement indésirable qui a régressé dans les 48 heures suivant l’arrêt du médicament suspecté. A été mise en cause la lécithine de soja contenue comme excipient dans l’inhalateur doseur. Les auteurs rappellent que la lécithine de soja est largement utilisée comme émulsifiant, non seulement dans les produits topiques soins de la peau, mais aussi dans divers médicaments administrés par voie topique, orale ou par voie intraveineuse, ou par inhalation, et que les patients fortement allergiques au soja et/ou à l’arachide peuvent développer une réaction anaphylactique lorsqu’ils sont exposés à de la lécithine de soja.

La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, www.dgccrf.minefi.gouv.fr) stipule, pour les allergènes, que leur mention est obligatoire et surtout que leur dénomination ne doit pas être codifiée. Ainsi, la lécithine de soja doit être notée en clair sur l’étiquette et non pas sous le code E 322.

Traces de protéines dans l’amidon de maïs

Le grain de maïs est un aliment très complet. Il est constitué essentiellement d’amidon et d’olysaccharide de réserve (environ 70 %) contenu principalement dans l’amande. Il renferme aussi des protéines (environ 10 %), des lipides (environ 5 %), des minéraux comme le calcium et le phosphore, et des vitamines.

L’amidon ou la fécule de maïs est la partie “féculents” du grain de maïs. Il peut être utilisé tel quel, ou modifié et transformé par des procédés biochimiques. Il entre dans la composition de nombreuses préparations alimentaires comme les soupes, potages, sauces, charcuteries, entremets, crèmes glacées, et dans certains laits infantiles. On trouve aussi l’amidon de maïs dans de nombreux produits de synthèse élaborés par l’industrie chimique comme en pharmacie (médicaments, antibiotiques…), en papeterie (glaçage, cartons ondulés…), en industrie textile (apprêt), dans les produits de beauté, ou encore dans la fabrication des colles. Le maïs et la farine de maïs sont connus pour être responsables d’allergies avec réactions de sensibilisation cutanée, comme de l’eczéma ou une urticaire, ou respiratoires comme la rhinite ou une toux sèche. Aussi, certains auteurs suggèrent qu’il peut être utile de substituer la farine de maïs par de l’amidon de maïs.

Mais, si la fécule ne contient pas de protéines, on peut penser qu’il est quasiment impossible de produire de l’amidon pur sans trace de protéines et/ou sans contamination lors de la fabrication. C’est la réflexion de Pétrus [9] par rapport au remplacement de la farine de maïs par l’amidon à propos d’un enfant allergique de 8 ans. On a décrit la présence de dérivés de maïs, la zéine de maïs, de haut poids moléculaire,dans une formule pour enfant à base d’hydrolysats de protéines dans laquelle les protéines sont censées être complètement hydrolysées pour les enfants avec allergie aux protéines du lait de vache [10]. D’autre part, l’enfant peut être en contact indirect avec l’amidon de maïs via la poudre de fécule de maïs présente dans de nombreux gants d’examen médical ou d’une autre source du fait de l’emploi large de l’amidon de maïs.

Liu [11] présente le cas d’une infirmière âgée de 33 ans présentant une dermatite des mains persistante. Les tests RAST ont montré des réponses modérées à fortes au latex, à l’avocat et à la banane. Mais, malgré l’évitement de gants en latex, la dermatite n’était pas améliorée. Les patch-tests étaient négatifs. Des prick-tests ont montré une réaction négative au latex, mais une forte réaction au maïs, avec réaction à la poudre de fécule de maïs présente dans de nombreux gants d’examen médical. Le diagnostic avancé est celui d’une urticaire de contact au maïs, et d’une hypersensibilité de type I aux latex-fruits (certaines personnes allergiques au latex peuvent présenter une réaction allergique à un certain nombre de produits végétaux, généralement des fruits : ananas, avocat, banane, châtaigne, fraises, fruits de la passion, kiwi, mangue, soja ; certains contenant du latex, mais pas tous). Guin [12] rapporte le cas d’une travailleuse affectée à la fabrication de sacs de papier, ayant développé une dermite de contact autour des yeux et des doigts qui entraient en contact avec les adhésifs collant les coutures des sacs. Ces adhésifs étaient à base d’amidon de maïs. Lors des tests cutanés, l’amidon de maïs s’est avéré fortement positif. Lorsqu’il n’y avait plus aucun contact avec l’amidon et l’adhésif, les symptômes disparaissaient.

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