Diarrhées aiguës du nourrisson

La diarrhée aiguë est un motif extrêmement fréquent de consultation chez le jeune enfant, surtout en période hivernale. Les deux piliers de sa prise en charge sont la réhydratation par la prescription d’un soluté de réhydratation orale et la prise en charge nutritionnelle.

 

Dans nos pays occidentaux, la diarrhée est souvent peu sévère et d’évolution spontanément favorable. Cependant, elle peut être responsable d’une morbidité importante et d’une mortalité non négligeable, puisqu’on estime, en moyenne en France, à 50 cas/an le nombre de décès liés à une déshydratation sévère ou à une diarrhée, chez l’enfant de moins de 5 ans (1).

Le rôle du praticien est essentiel dans la prise en charge de ces diarrhées aiguës, pour prévenir et traiter les complications. Les deux piliers de cette prise en charge sont la réhydratation, par la prescription d’un soluté de réhydratation orale, et la prise en charge nutritionnelle pour éviter une dénutrition secondaire. La place des médicaments (qui ne sera pas évoquée dans cette mise au point) est secondaire, et ne doit en aucun cas se substituer aux mesures nutritionnelles.

1re étape : évaluer l’état d’hydratation et les facteurs de risque de complications de l’enfant

Les facteurs de comorbidité importants à noter sont les suivants :

  • nourrisson < 3 mois, dont l’évolution vers une déshydratation sévère peut être extrêmement rapide ;
  • les antécédents de prématurité et/ou de retard de croissance intra-utérine ;
  • une pathologie chronique sous-jacente.

La pesée, étape essentielle de la consultation

La pesée est l’étape essentielle de la consultation, avec la recherche d’autres signes cliniques de déshydratation.
En fonction de la perte de poids, on distingue classiquement 3 niveaux de gravité de déshydratation :

  • < 5 % = déshydratation faible ;
  • entre 5-8 % = déshydratation modérée ;
  • > 8-10 % = déshydratation sévère.

Attention au 3e secteur (liquide dans la lumière intestinale non extériorisé), chez un enfant déshydraté mais ballonné, dont le poids n’objectivera pas de perte globale. Les autres signes de déshydratation prennent alors toute leur valeur.

Quand hospitaliser ?

Au terme de cette évaluation, certaines situations impliqueront une évaluation hospitalière et/ou une hospitalisation d’emblée : état de choc, déshydratation sévère (perte de poids > 8-10 %), vomissements incoercibles, échec de réhydratation orale, troubles de conscience, suspicion d’un tableau chirurgical sous-jacent (invagination intestinale aiguë, appendicite…), un entourage familial ne pouvant assurer une réhydratation en toute sécurité (compréhension limitée, fiabilité incertaine…).

2e étape : la réhydratation

La diarrhée aiguë résulte d’un déséquilibre entre l’absorption et la sécrétion d’eau et d’électrolytes au niveau du grêle et/ou du côlon (2). La diminution de l’absorption est liée à la destruction des entérocytes, alors que l’augmentation de perméabilité intestinale entraîne, par une altération de l’intégrité épithéliale, une hypersécrétion d’eau et d’électrolytes.
Dans plus de 2/3 des cas chez l’enfant, l’origine de cette diarrhée est virale, en particulier liée à une infection à rotavirus (3).

SRO : la clé de voûte du traitement

La prescription de solutés de réhydratation orale (SRO) représente la clé de voûte du traitement de ces diarrhées aiguës: elle permet une compensation des pertes en eau et en sodium. L’absorption intestinale du sodium est couplée à celle du glucose (Co-transport sodium-glucose) permettant d’expliquer l’efficacité clinique des SRO (4).

Quels SRO utiliser ?

Depuis les années 1980, la production industrielle de solutés de réhydratation orale est apparue, initialement sur le modèle du soluté de réhydratation de l’OMS (adapté aux diarrhées sécrétoires des pays en voie de développement).
Secondairement, la Société Européenne de Gastroentérologie, Hépatologie et Nutrition Pédiatriques (ESPGHAN) et le Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatrie ont publié des recommandations sur la composition des SRO avec, par rapport au soluté de l’OMS :

  • un apport en sodium moindre (60 mmol/l contre 90 mmol/l ), correspondant plus aux pertes fécales de sodium dans les entérites virales de nos pays ;
  • et une osmolarité qui doit être inférieure à 250 mosm/l (5, 6).

Une méta-analyse publiée en 1996 montrait que cette réhydratation orale est aussi efficace qu’une réhydratation par voie intraveineuse sur la durée d’hospitalisation et la reprise de poids des nourrissons, et que le taux d’échec n’était que de 3,6 % (7).

D’autres modifications de formule de SRO ont été proposées, comme l’adjonction d’acides aminés (pour la trophicité de l’entérocyte), d’autres hydrates de carbone que le glucose (pour le goût), des céréales (pour l’apport énergétique)… Cependant, aucune étude n’a montré d’efficacité supplémentaire par rapport à un SRO “classique”, en dehors de la supplémentation en probiotiques qui semble avoir un effet bénéfique, mais doit encore être confirmée avant de pouvoir être recommandée en pratique courante (8). Seuls les SRO vendus en pharmacie doivent être utilisés et il faut absolument déconseiller toutes les préparations “maison”, type soupe de carottes, eau de riz, boissons à base de cola, jus de fruit, et bien sûr l’eau pure, qui sont totalement inadaptées (trop peu de sodium, trop osmolaire…), voire dangereuses.

En pratique

Les SRO sont vendus sous forme de sachet, à reconstituer dans 200 ml d’eau et à consommer dans les 24 h après, éventuellement mis au frais.
Il faut commencer par proposer de petites quantités à l’enfant, par 10 à 20 ml/prise, renouvelée si vomissements. La quantité de SRO varie en fonction de l’âge, du poids de l’enfant et du degré de déshydratation. On augmente progressivement les quantités, jusqu’à laisser boire l’enfant à la demande.
Il faut prévenir les parents qu’éventuellement, en début de réhydratation, la fréquence des selles peut augmenter de manière modérée et transitoire, et donner quelques repères pour la surveillance de cette réhydratation (état général de l’enfant, conscience, quantité d’urines, nombre de selles et de vomissements…) et les critères devant les amener à reconsulter.

En cas d’échec

Une hospitalisation est nécessaire pour une réhydratation par voie intraveineuse ou par voie entérale sur une sonde naso-gastrique, qui constitue une alternative efficace.

En conclusion

Les SRO représentent un traitement simple, efficace et bon marché des diarrhées aiguës. Ils sont pour la plupart remboursés par l’Assurance maladie, depuis 2003, dans les cas de diarrhée aiguë de l’enfant de moins de 5 ans. Cependant, une étude publiée en 2004, réalisée auprès de pédiatres libéraux, montrait que seuls 2/3 d’entre eux prescrivaient un SRO de manière systématique en cas de diarrhée aiguë (9). Il faudrait probablement sensibiliser nos confrères, mais aussi le grand public par des campagnes d’information. Toute famille devrait avoir dans sa pharmacie un SRO pour pouvoir traiter de manière précoce la diarrhée aiguë de son enfant !

3e étape : la réalimentation

Le mode de réalimentation des diarrhées aiguës à fait l’objet de nombreuses discussions au cours du siècle dernier. Les habitudes et les recommandations ont évolué en fonction de l’acquisition des connaissances concernant la physiologie du tube digestif en situation normale et pathologique, mais aussi d’études cliniques récentes.

Au début du 20e siècle, le repos digestif prolongé était conseillé pour permettre une “réparation” des lésions intestinales. Dans les années 1960-70, la mise en évidence d’une atrophie villositaire intestinale, sur des biopsies réalisées lors d’un épisode d’entérite aiguë, et d’une diminution des activités dissaccharidases, en particulier de la lactase, a fait craindre une malabsorption et une intolérance au lactose secondaires. Pendant de nombreuses années, le repos digestif prolongé d’au moins 48 h était donc conseillé, et l’alimentation devait être reprise de manière progressive avec un lait dilué et/ou sans lactose pendant plusieurs jours, voire semaines. Cependant, à la fin des années 1980, les premières études cliniques ont progressivement remis en question ces “habitudes”.

Les recommandations actuelles

Les recommandations publiées en 2001 et 2002 par l’ESPGHAN et le Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatre ont été confirmées par les dernières recommandations publiées en 2008 par l’ESPGHAN et la Société Européenne des Maladies Infectieuses Pédiatriques (ESPID) (6, 8,10).
Les grandes lignes sont résumées ci-dessous.

  • Les enfants présentant une diarrhée aiguë peuvent poursuivre une alimentation orale.
    Si celle-ci est interrompue, elle doit être reprise dans les 4 à 6 heures après le début de la réhydratation. Les avantages théoriques d’une réalimentation précoce sont de minimiser le déficit énergétique et protéique, et d’éviter ainsi une dégradation de l’état nutritionnel. L’étude de Sandhu, publiée en 1997, a montré chez 230 enfants (âge moyen de 14 mois) que la réalimentation précoce après 4 heures de réhydratation orale était aussi bien supportée qu’après 24 h de réhydratation orale exclusive, avec un meilleur gain pondéral 14 j après le début de la diarrhée ; il n’existait pas plus de complications en termes de vomissement ou d’intolérance au  lactose dans le groupe avec réalimentation précoce (11).
  • Il n’y a pas lieu d’interrompre un allaitement maternel lors d’un épisode de diarrhée aiguë, éventuellement couplée avec des prises de SRO.
    L’allaitement maternel a un effet bénéfique sur le nombre de selles et la durée de la diarrhée, pouvant permettre une guérison plus rapide et améliorant l’état nutritionnel.
  • Il n’existe aucune justification à réalimenter de manière progressive, et en particulier avec des laits dilués, les enfants présentant une déshydratation faible à modérée.
    Toutes les études publiées après 1985 ne montrent pas plus d’échec de réalimentation avec un lait dilué versus non dilué. Le seul avantage à diluer le lait serait d’avoir plus rapidement un nombre de selles proche de la “normale”, mais le déficit nutritionnel engendré doit faire abandonner cette pratique.
    Cependant, en cas de déshydratation sévère, cette réalimentation sera prudente car, dans la méta-analyse de K.H. Brown, les échecs de réalimentation se trouvaient essentiellement dans ce groupe (12).
  • La majorité des jeunes enfants présentant une diarrhée aiguë peuvent être réalimentés avec un lait contenant du lactose.
    En effet, on sait maintenant que l’intolérance au lactose secondaire est rare (moins de 5 % des cas) et ne justifie pas un régime sans lactose de manière systématique.
    En revanche, en cas de réapparition d’une diarrhée profuse quelques heures après la reprise du lait habituel, le diagnostic d’intolérance au lactose secondaire est posé, éventuellement confirmé par un pH acide des selles, et justifie pendant 8 à 15 j la prescription d’une préparation sans lactose.
  • Classiquement, chez le nourrisson de moins de 4 mois, compte tenu du risque de sensibilisation aux protéines du lait de vache et de la gravité potentielle de la diarrhée aiguë à cet âge, la prescription d’hydrolysat était recommandée. Mais les études chez le nourrisson de moins de 3 mois sont peu nombreuses et anciennes.
    Dans les dernières recommandations de l’ESPGHAN, la place des hydrolysats de protéines n’est plus justifiée même chez le nourrisson de moins de 2 mois (8). Cependant, chez le nourrisson de moins de 2 mois en cas de diarrhée sévère et/ou s’il existe des antécédents familiaux d’atopie, de prématurité, de retard de croissance intra-utérine ou de pathologie chronique sous-jacente, il apparaît prudent de proposer une réalimentation avec un hydrolysat de protéines du lait de vache pendant quelques semaines.
  • L’utilisation d’une préparation à base de soja chez un nourrisson n’en ayant jamais reçu auparavant ne semble pas logique, car elle introduit un allergène supplémentaire en période de perméabilité intestinale accrue (6).
  • Aucun régime restrictif ne doit être prescrit en cas de diversification, en particulier concernant les fibres, et l’enfant doit reprendre une alimentation solide identique à celle antérieure à l’épisode de diarrhée, en rapport bien entendu avec son âge.

À RETENIR

La prise en charge nutritionnelle des diarrhées aiguës de l’enfant en médecine de ville repose sur :

  • une bonne évaluation de l’état d’hydratation initialement;
  • la prescription de solutés de réhydratation orale systématique chez tout nourrisson débutant un épisode de diarrhée aiguë ;
  • la poursuite de l’allaitement maternel;
  • la poursuite de l’alimentation normale, adaptée à l’âge de l’enfant et/ou une réalimentation précoce dans les heures suivant la réhydratation ;
  • un recours aux laits sans lactose non systématique;
  • une grande prudence en cas de diarrhée aiguë chez le nourrisson de moins de 2 mois, chez qui il existe encore une place pour les hydrolysats de protéines du lait de vache.

CONSEILS AUX PARENTS

  • La diarrhée aiguë est fréquente chez le nourrisson, surtout en période hivernale. Elle est due à une infection du tube digestif, dans la majorité des cas virale.
  • Soyez vigilant si votre nourrisson a moins de 3 mois, est ancien prématuré, ou a une maladie chronique, car le risque de déshydratation est potentiellement plus grand.
  • Il est indispensable de peser un nourrisson qui a la diarrhée, l’importance de la perte de poids va en effet orienter la prise en charge (à domicile ou à l’hôpital) et le traitement.
  • Le traitement repose surtout sur la prise de “solutés de réhydratation orale” (SRO) prescrits par votre médecin. Ils sont vendus en pharmacie et, pour la plupart, remboursés pour les diarrhées aiguës des enfants de moins de 5 ans. Il est utile d’en avoir chez soi pour commencer à traiter la diarrhée précocement, avant la consultation chez votre médecin.

L’alimentation orale habituelle peut être poursuivie ou pourra être reprise, selon les indications de votre médecin, dans les 4 à 6 h après le début de la réhydratation.

  • Si vous allaitez votre enfant, l’allaitement ne doit pas être interrompu. Il peut même avoir un effet bénéfique sur le nombre de selles et la durée de la diarrhée.
  • Les signes qui doivent faire reconsulter en urgence : modification de l’état général de votre enfant, de son état de conscience, de la quantité d’urines, du nombre de selles (> 1/h), vomissements de tout aliment ou boisson.

COMMENT UTILISER LES SOLUTÉS DE RÉHYDRATATION ?

ATTENTION !
Seuls les SRO vendus en pharmacie doivent être utilisés. Ne pas donner à votre enfant de préparations “maison” (soupe de carottes, eau de riz, boissons à base de cola, jus de fruit) ou de l’eau pure, totalement inadaptées, voire dangereuses !

En pratique
Le sachet est reconstitué dans 200 ml d’eau et consommé dans les 24 h, éventuellement mis au frais. Le SRO doit être pris par petites quantités, régulièrement pour éviter les vomissements, puis, en fonction de la tolérance, à la demande de l’enfant. Votre médecin vous orientera sur les quantités à lui donner et la fréquence, car elles varient en fonction de son âge, son poids et son degré de déshydratation.

A savoir
En début de réhydratation, la fréquence des selles peut augmenter de manière modérée et transitoire.

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