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Effets de la surexposition des enfants aux écrans

Pour plus d’informations, voir le site du CoSE collectif : surexpositionecrans.org

Un monde hyperconnecté

L’univers dans lequel évolue l’enfant n’a rien à voir avec celui dans lequel il évoluait auparavant. Un objet fait la différence : l’écran, qui modifie en profondeur son rapport au monde. Depuis 2007, les smartphones ont envahi notre quotidien. Les tablettes sont dans de nombreux foyers (40 % des foyers en 2015 contre 8 % en 2012). Le téléchargement par la 4G depuis 2013 permet d’obtenir tout ce qui peut se voir et s’entendre dans le monde (87 % des Français sont connectés à internet). Nous sommes dans un système hyperconnecté, nomade et multiécrans, ce que les Anglo-saxons surnomment ATAWAD (Any Time, Any Where, Any Device). On compte 6 écrans en moyenne par foyer en 2015 en France.
Aux États-Unis en 2012, on constate chez les enfants de 8 mois à 8 ans une exposition de 4 heures de télévision par jour en arrière-plan. Le taux d’utilisation des médias mobiles est passé de 39 à 80 % entre 2011 et 2013 chez les enfants de 2 à 4 ans. Au Canada, en 2014, les enfants de 3 à 5 ans passent en moyenne 2 heures par jour devant un écran.

Fixer des règles est indispensable

Cet accès illimité est fascinant, mais, comme toute révolution majeure, des dangers existent et des règles doivent être mises en place. Professionnels de santé nous devons conseiller et informer les familles le plus tôt possible dès la maternité dans l’idéal. Les médecins doivent se saisir de ce nouvel élément qui jalonne la vie des enfants dès leur plus jeune âge. Lors de notre consultation, nous devons nous informer du temps d’écran comme nous nous informons de leur sommeil, de leur alimentation…

Un écran pas si passif
Pour comprendre ce qui se joue entre l’enfant et l’écran, il est important de connaître comment ce dernier agit. Il existe deux effets majeurs de l’écran : l’un direct, sa potentialité addictive et l’autre indirect, celui du temps volé à des compétences que l’enfant doit développer. Les deux effets sont liés : le caractère fortement addictif de l’écran engendre une impossibilité pour l’enfant de se détacher de cet objet. Il se trouve alors soustrait malgré lui à des apprentissages fondamentaux. Depuis 2010, l’arrivée des tablettes numériques dans le milieu familial en France a modifié les repères : les parents regardent leur écran et pas leur bébé et l’attention des enfants est accaparée par l’écran.

Un bébé correctement stimulé s’adresse à l’autre en le regardant dans les yeux, a acquis le pointage et le jeu imitatif, est capable de produire quelques phrases. Correctement stimulé signifie que l’adulte qui prend soin du bébé au quotidien le regarde, lui parle, s’adresse à lui suffisamment.

Cas clinique

Mélina, 24 mois, arrive en consultation énervée, agitée, opposante et ne parle pas. Mélina ne croise jamais le regard quand on s’adresse à elle. Elle ne saisit pas les jouets, ne prononce aucun mot, ne babille pas. Un seul objet capte son attention quand elle est à l’extérieur : le portable de sa maman. Elle passe des heures devant l’iPad ou la télévision et hurle dès que maman veut fermer l’écran. Sa maman ne sort plus, car elle craint trop les colères de sa fille et le regard des autres. Après cette consultation, on demande un arrêt brutal de toute exposition aux écrans. La maman de Mélina applique cette recommandation et un mois plus tard seulement Mélina est déjà plus sereine et progresse dans les échanges. À présent, elle regarde sa mère quand elle s’adresse à elle. Elle s’intéresse aux objets qui l’entourent, les manipule plus longuement, et sa mère s’intéresse à ce qu’elle fait. Elle va continuer à se développer probablement, mais de façon plus lente qu’un enfant normal. Le temps des échanges parents-enfant et de la découverte sensorimotrice du monde, volé par les écrans, ne se rattrape probablement jamais totalement.

 

> L’écran n’est pas éducateur

Pour certains enfants, les écrans sont devenus le principal stimulateur et éducateur. Or l’écran n’est pas un objet comme les autres. Il est addictif par surstimulation de l’attention exogène aux dépens de l’attention volontaire. L’enfant ne peut de lui-même réguler le temps qu’il passe devant. Par ailleurs, les écrans privent l’enfant du temps nécessaire au développement de certaines compétences : langage, rapport adapté aux objets, socialisation… Des retards peuvent alors s’observer dans ces domaines.
Des recommandations de gestion familiale du temps d’écran donnent de bons résultats. Nous utilisons à dessein ce terme d’addiction bien que son usage soit contesté par certains notamment par les auteurs du rapport de l’Académie des sciences en 2013.

‘’ L’écran est addictif par surstimulation de l’attention exogène aux dépens de l’attention volontaire. ‘’

Pourquoi l’enfant, délaisse-t-il si facilement toutes ses activités au profit d’une seule, l’écran ? En raison d’un processus de captation de son attention exogène, non volontaire. Les dessins animés, même « adaptés » ou prétendus éducatifs, sont truffés d’effets formels saillants (variations sonores, flashs visuels, changements de plans) qui tout à la fois captent l’attention de l’enfant et la relancent en permanence. Ces effets empêchent l’enfant d’apprendre à garder son attention focalisée sur un stimulus plus neutre, plus stable, comme le livre d’images. Or plus l’enfant est simulé de cette façon, plus il s’y habitue, plus il en redemande. De plus le sommeil est très altéré chez ces enfants; ils se couchent tard et ont un sommeil perturbé.

Cas clinique

Youssef, 4 ans, en moyenne section de maternelle, vient consulter à la demande de l’école pour un retard de langage et une impulsivité envers ses camarades. Il occupe son temps libre quasi uniquement par le visionnage de la télévision. Le matin, il allume la télévision (celle de sa chambre) et il se réveille plus tôt pour regarder son programme. Il est conditionné pour cela et donc dort moins. Une information des parents sur la situation de Youssef et une prise de conscience permettent d’améliorer l’état de Youssef. La qualité et la durée du sommeil sont améliorées, Youssef est plus calme et va surement progresser avec une lecture de livre et des jeux de son âge (jeux de société, construction…) avec une limitation des écrans à une heure par jour et un contenu contrôlé.
Le nombre d’enfants qui se conditionnent pour se réveiller plus tôt le matin afin de regarder leur dessin animé préféré est très important en consultation. Or, nous observons que les prescriptions d’arrêt de la télévision le matin ont des effets presque immédiats en termes d’augmentation du temps de sommeil, avec bien souvent comme corollaire un apaisement de l’enfant et de plus fortes compétences attentionnelles.

 

Réaction disproportionnée de l’enfant

Un autre aspect de cette dépendance à l’écran est la réaction émotionnelle disproportionnée de l’enfant lorsqu’on arrête l’écran, brusquement ou après l’avoir prévenu. Les parents font tous la même observation : l’enfant crie, entre dans une colère intense, il est en manque. Aucun autre objet dans l’univers familier de l’enfant ne suscite une telle réaction de détresse. Ce sont ces réactions qui conduisent à ne pas poser de limites à l’usage de l’objet, par crainte des réactions explosives de l’enfant, et aussi parce qu’ils ont tôt fait de remarquer une vertu essentielle de l’écran : celle de sédater l’enfant.

Cas clinique

Antoine, 3 ans, chez qui la télévision est allumée en permanence, ne manque pas de petits jouets adaptés. Pourtant, il n’en utilise aucun correctement. Il se saisit de l’un puis le rejette aussitôt, puis un autre, etc. Il ne construit rien avec les Duplo®. Pourquoi ? Dès qu’Antoine a pu saisir un objet dans les mains, son exploration sensorielle de l’objet a été dérangée par ses coups d’œil répétés vers la télévision. Interrompu dans sa découverte de l’objet, il est obligé de reprendre chaque fois à zéro son exploration. À 2 ans, Antoine appréhende les objets qui l’entourent comme un bébé de 6 mois. Accaparé par l’écran, toujours interrompu dans son travail de découverte sensorielle, il a acquis un grand retard.

 

Usage de la tablette tactile

Un argument souvent employé par les défenseurs de la tablette tactile est d’opposer « passivité » de la télévision à « activité » de la tablette tactile, les deux étant selon eux totalement différents. Certes, face à la tablette tactile, la vue et l’audition ne sont pas les seuls sens sollicités, le toucher l’est aussi, puisqu’en touchant l’écran le bébé peut mettre en route une musique, déplacer un personnage virtuel, modifier sa couleur, etc. Ce faisant, il découvre un large choix d’actions possibles programmées par l’ordinateur. Mais ces actions ne remplacent aucunement les expérimentations que doit faire l’enfant sur le monde physique. De plus, l’écran empêche la construction d’une sociabilité harmonieuse, essentielle à son développement. L’apprentissage de la sociabilité se fait chez l’enfant en grande partie par imitation. Dans ses rapports aux autres, il reproduit ce qu’il voit. Si on crie, cogne ou frappe autour de lui, l’enfant aura tendance à faire de même au sein du groupe de pairs qu’il fréquente : crèche, école… Or l’exposition répétée à la violence via les écrans peut avoir les mêmes incidences et induire chez l’enfant des comportements plus agressifs. Parmi les « mordeurs » et « cogneurs » en herbe, nous retrouvons un grand nombre de petits téléphages. En réalité, ce sont souvent des enfants impulsifs, qui n’ont pas appris à rentrer en contact avec leurs pairs de façon adaptée et chez qui un léger retard de langage peut augmenter cette difficulté.

Expliquer les conséquences des écrans aux parents

Devant ces différentes situations, il faut s’informer du temps passé devant les écrans sur toute une journée et expliquer de façon simple les problèmes engendrés par une exposition excessive aux écrans. Puis, avec l’accord du parent (jamais celui de l’enfant), nous proposons la gestion suivante des écrans : 3 moments dans la journée doivent être préservés et un lieu épargné ; ce sont 4 “pas” pour mieux grandir.
– Pas d’écran le matin : c’est le moment où l’attention de l’enfant est la plus forte.
– Pas d’écran durant les repas : cela nuit aux échanges familiaux.
– Pas d’écran le soir avant de se coucher : cela interfère avec la qualité du sommeil et retarde l’endormissement.
– Pas d’écran dans la chambre de l’enfant : cela augmente le temps d’exposition et empêche le parent de contrôler ce que l’enfant voit ou fait avec l’écran.
De plus, il faut conseiller d’éteindre la télévision souvent allumée depuis le matin en arrière-fond. Il est à présent noté dans le nouveau carnet de santé 2018 que les écrans doivent être fermés quand un enfant de moins de 3 ans est dans la pièce, même s’il ne regarde pas l’écran. De plus, il est aussi mentionné que l’écran ne doit pas être utilisé pour le calmer. Pour les plus petits de moins de 2 ans, on ne conseille aucun écran (en dehors de l’écran pour Skype ou pour des photos) et moins d’une heure par jour entre 2 et 4 ans de préférence accompagné. Après 4 ans, moins de 2 heures par jour est vivement conseillé de préférence accompagné avec contrôle du contenu.

Des conséquences positives rapides

Ces recommandations sont faciles à appliquer pour les parents et ont des effets positifs rapides : allongement du temps de sommeil de l’enfant, baisse de l’agitation en classe et à la maison, effets positifs sur l’attention, la communication dans la famille et à l’extérieur, etc. L’encadrement du temps-écran a souvent un effet domino. En proscrivant les écrans à certains moments clés de la journée, on rend possible pour l’enfant ce qui ne l’était plus. Nous engageons vivement tous les professionnels de l’enfance à s’intéresser à la place des écrans dans la vie de l’enfant. Ils peuvent s’inspirer des quelques recommandations simples que nous proposons. Ces bonnes pratiques de vie évitent parfois que s’installent des symptômes plus graves et durables, comme ceux que nous avons précédemment décrits.

Recommandations de la Société canadienne de pédiatrie en juin 2017 (16).

Limiter le temps d’écran
– ne pas laisser les enfants de moins de 2 ans passer du temps devant les écrans
– pour les enfants de 2 à 5 ans, limiter le temps d’écran quotidien à moins d’une heure par jour
– s’assurer que les périodes de sédentarité devant les écrans ne font pas partie des activités courantes du milieu de garde des enfants de moins de 5 ans
– maintenir des périodes sans écran particulièrement lors des repas
– éviter les écrans au moins une heure avant le coucher
Atténuer les risques associés au temps d’écran
– être présent et investi lors de l’utilisation des écrans
– connaître le contenu et favoriser les émissions éducatives, interactives et adaptées à l’âge
– utiliser des stratégies parentales qui enseignent l’autorégulation, les manières de garder son calme et l’établissement de limites
En famille, être attentif à l’utilisation des écrans
– procéder à une autoévaluation des habitudes vis-à-vis des écrans et se doter d’un plan médiatique familial (il existe un questionnaire proposé par l’académie américaine de pédiatrie en ligne en anglais très bien fait [21])
– aider les enfants à reconnaître et à remettre en question les messages publicitaires – se rappeler que trop de temps consacré aux écrans se traduit par des occasions ratées d’enseignement et d’apprentissage
– se rappeler qu’aucune donnée n’appuie l’introduction des technologies à un jeune âge
Les adultes doivent donner l’exemple d’une saine utilisation des écrans
– remplacer le temps d’écran par des activités saines (lecture, jeux extérieurs, activités créatives…)
– éteindre les appareils à la maison pendant les périodes passées en famille
– éteindre les écrans qui ne sont pas utilisés et éviter de laisser le téléviseur allumé en arrière-plan

10 questions à poser aux familles (Société canadienne de pédiatrie) (16).

  1. – Quels types d’écrans y a-t-il chez vous ? Lesquels sont utilisés par votre enfant ?
  2. – À quelle fréquence un écran est-il allumé en arrière-plan sans que personne le regarde ?
  3. – Est-ce que des membres de la famille utilisent des écrans pendant les repas ?
  4. – Que regardez-vous avec votre enfant ? Que regarde-t-il seul ?
  5. – Encouragez-vous la conversation avec votre enfant lorsque vous utilisez les écrans ?
  6. – Regardez-vous des émissions commerciales ou des émissions pour adulte avec votre enfant ?
  7. – Votre enfant utilise-t-il des écrans pendant que vous faites des tâches ménagères ? Souvent ? Parfois ?
  8. – Y a-t-il des activités passées devant un écran dans le milieu de garde de votre enfant ? Savez-vous à quelle fréquence elles ont lieu ?
  9. – Votre enfant passe-t-il du temps devant un écran avant le coucher ? Combien de temps ? A-t-il un téléviseur ou un ordinateur dans sa chambre ? Apporte-t-il des appareils mobiles dans sa chambre ?
  10. – Votre famille s’est-elle dotée de règles ou de directives comprises et respectées relatives à l’utilisation des écrans ?

Références

  1. Benoit D. Étude Media In Life de Médiamétrie. Audience Le Mag 2015. http://www. audiencelemag.com/?article=81
  2. Forsans E. L’année Internet 2015 : Le multiécrans se généralise et influence les pratiques des internautes. Agence française pour le jeu vidéo 2016. http://www.afjv.com/ news/5980_l-annee-internet-2015-le-multiecrans-se-generalise.htm
  3. Lapierre MA, Piotrowski JT, Linebarger DL. Background Television in the Homes of US Children. Pediatrics 2012 ; 130 : 839-46.
  4. Common Sense Media. https://www.commonsensemedia.org
  5. Jeunes en forme Canada. Le Canada est-il dans la course ? 2014. http://dvqdas9jty7g6. cloudfront.net/reportcard2014/AHKC_2014_ReportCard_FR.pdf
  6. Council on communications and media. Media and Young Minds. Pediatrics 2016 ; 138 : e20162591.
  7. Zimmerman FJ, Christakis DA, Meltzoff AN. Associations between media viewing and language development in children under age 2 years. J Pediatr 2007 ; 151 : 364-8.
  8. Chonchaiya W, Pruksananonda C. Television viewing associates with delayed language development. Acta Paediatr 2008 ; 97 : 977-82.
  9. Barr R. Memory Constraints on Infant Learning From Picture Books, Television, and Touchscreens. Child Dev Perspect 2013 ; 7 : 205-10.
  10. Courage ML, Setliff AE. When babies watch television: Attention-getting, attentionholding, and the implications for learning from video material. Dev Rev 2010 ; 30 : 220-38.
  11. Birken C. Handheld screen time linked with speech delays in young children. Pediatric Academic Societies (PAS) Meeting 2017. http://www.aappublications.org/ news/2017/05/04/PASScreenTime050417
  12. Radesky JS, Silverstein M, Zuckerman B, Christakis DA. Infant self-regulation and early childhood media exposure. Pediatrics 2014 ; 133 : e1172-8.
  13. Cespedes EM, Gillman MW, Kleinman K et al. Television viewing, bedroom television, and sleep duration from infancy to mid-childhood. Pediatrics 2014 ; 133 : e1163-71.
  14. Vijakkhana N, Wilaisakditipakorn T, Ruedeekhajorn K et al. Evening media exposure reduces night-time sleep. Acta Paediatr 2015 ; 104 : 306-12.
  15. Wen LM, Baur LA, Rissel C et al. Correlates of body mass index and overweight and obesity of children aged 2 years: findings from the healthy beginnings trial. Obes Silver Spring Md 2014 ; 22 : 1723-30.
  16. Groupe de travail sur la santé numérique. Société canadienne de Pédiatrie. Le temps d’écran et les jeunes enfants : promouvoir la santé et le développement dans un monde numérique. 2017 http://www.cps.ca/fr/documents/position/le-temps-decran- et-les-jeunes-enfants
  17. Bach J-F, Houdé O, Léna P, Tisseron S. L’enfant et les écrans. Un avis de l’académie des sciences. 2013. http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/avis0113.pdf
  18. Tisseron S. « 3-6-9-12 » et au-delà. http://www.afpa.org/index.php?option=com_jd ownloads&view=finish&catid=35&cid=3526
  19. Collet M. Évaluation du lien entre l’exposition aux écrans chez les jeunes enfants et l’apparition de troubles primaires du langage : étude cas- témoins en Ille-et-Vilaine. 2017. https://ecm.univ-rennes1.fr/nuxeo/site/esupversions/f171f480-26dc-4790- 8541-58de382b1e8d
  20. Duflo S. L’enfant et les écrans : entre addiction et temps volé. Médecine et enfance 2016 ; 194-8.
  21. Family Media plan. https://www.healthychildren.org/English/media/Pages/default. Aspx

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