Maladie de Crohn : Epidémiologie, physiopathologie et facteurs de risque

La maladie de Crohn, décrite en 1932 par Crohn, Ginzburg et Oppenheimer, est une affection chronique et récidivante atteignant tous les segments du tube intestinal, de la bouche à l’anus. Depuis une cinquantaine d’années, l’incidence de la maladie de Crohn est en augmentation chez l’enfant. Cette augmentation rapide de l’incidence du Crohn pédiatrique serait en lien avec des facteurs environnementaux tels les infections, l’alimentation, et les facteurs liés aux individus, tels la flore intestinale. La modification de la flore intestinale serait un élément clé dans les processus inflammatoires à l’origine de la maladie. Le retard du diagnostic est préoccupant, la maladie pouvant avoir des répercussions sur la croissance. La prise en charge est basée sur la nutrition entérale et les traitements médicamenteux (corticoïdes, immunosuppresseurs et biothérapies).

Epidémiologie

Incidence et prévalence

Depuis une cinquantaine d’années l’incidence de la maladie de Crohn (MC) est en augmentation dans plusieurs parties du globe à la fois chez l’adulte et chez l’enfant.

  • A l’échelle mondiale, on retrouve des zones d’incidence très élevée (10 à 15/100 000) essentiellement dans les pays industrialisés, des zones géographiques de faible incidence (< 1/100 000) dans les pays du sud (notamment en Afrique Noire) et des régions où l’incidence est faible mais en augmentation (1 à 3/100 000), particulièrement en Asie (Corée du Sud, Chine, Japon, Inde…). La prévalence de la MC pédiatrique atteint au maximum, dans les zones les plus élevées, 20 pour 100 000 enfants.
  • En France, les données d’incidence tirées du registre EPIMAD (registre en population générale couvrant quatre départements français : Nord, Pasde- Calais, Somme, Seine-Maritime) ont été publiées pour la période de 1988 à 1999. Dans cette cohorte, l’incidence moyenne annuelle de la MC était de 6,4/100 000 (2). Dans la tranche d’âge de moins 17 ans, le taux d’incidence annuel sur la même période était de 2,3/100 000 (3). Dans un travail récent réalisé en Franche- Comté sur une période de 10 ans (2000-2010), nous avons retrouvé un taux d’incidence de 1,8 pour 100 000 chez l’enfant de moins de 15 ans (4).
  • Globalement, dans toutes les régions du monde, l’incidence pédiatrique de la MC est plus faible que chez l’adulte. Dix à 25 % des cas de MC surviennent à l’âge pédiatrique. Une étude internationale résume de façon détaillée les données mondiales à partir de 139 études réalisées dans 32 pays. L’incidence variait largement entre les pays allant de 0,15 à 13,9/100 000 (5). Dans près des 2/3 des études incluses dans cette revue systématique, les auteurs constataient une tendance significative à l’augmentation de l’incidence de la MC pédiatrique au fil des ans (figure 1).

 

  • Au Canada, région où l’incidence est la plus élevée dans le monde, l’incidence de la MC a augmenté en Ontario de 9,5/100 000 en 1994 à 11,4/100 000 en 2005. Cette augmentation était statistiquement plus marquée dans la tranche d’âge 5-9 ans (7,6 % par an ; p < 10-3) (6). D’autres études ont également analysé l’augmentation de l’incidence par tranche d’âge (tableau 1).

 

Cette augmentation rapide de l’incidence de la MC pédiatrique serait en lien avec des facteurs environnementaux tels les infections, l’alimentation, et les facteurs liés aux individus, tels la flore intestinale.

  • Sex-ratioDe façon reproductive, dans plusieurs études, la prédominance masculine de la maladie s’observe pour toutes les tranches d’âge. Le sex-ratio H/F varie entre 1,2 et 1,4.
  • Quelles perspectives pour les 50 ans à venir ?Si l’on réalise des projections avec une poursuite de l’augmentation de l’incidence pour les 50 ans à venir, l’incidence pédiatrique pourrait atteindre plus de 20/100 000, sauf si l’on constate une stabilisation, comme cela est déjà noté chez l’adulte.

Les données physiopathologiques

  • La microflore intestinaleTous les mammifères naissent avec un tube digestif stérile. Chez l’homme, une microflore dite “adulte” s’acquiert en 2 à 6 ans. L’implantation de cette microflore “adulte” dépend de facteurs d’hôte et de l’environnement. La microflore intestinale humaine est composée de plus de 400 espèces bactériennes différentes. Elle joue un rôle important dans la genèse de la maladie de Crohn. En effet, la présence d’une microflore intestinale est nécessaire à l’expression des modèles de colites expérimentales chez l’animal. Par ailleurs, les atteintes inflammatoires les plus fréquentes dans la MC – iléon, côlon – correspondent aux régions où les concentrations bactériennes sont les plus élevées (1011 à 1012 bactéries/g de selle). La microflore des patients atteints de MC est différente de celle des sujets normaux (7, 8). Plusieurs travaux ont montré que, chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), il existait une proportion de la microflore composée de bactéries différentes de celles habituellement rencontrées chez l’homme. On retrouve ainsi un faible nombre de firmicutes, bactéroïdes, lachnospiracées et un pourcentage élevé d’actinobactéries, d’alpha, bêta et gamma-protéobactéries, d’entérocoques, de clostridies et d’Escherichia coli (9-11). La dysbiose observée dans la maladie de Crohn serait ainsi un élément clé dans la séquence inflammatoire.Il reste néanmoins une incertitude quant à la détermination des facteurs entraînant cette dysbiose. Il est admis que l’antibiothérapie modifie la composition de la flore. Une étude pédiatrique a démontré en l’occurrence que l’antibiothérapie périnatale serait un facteur de risque de survenue de MICI (12).D’autres facteurs tels l’alimentation et les infections digestives pourraient également interagir avec cette flore.
  • La barrière épithélialeL’épithélium intestinal se situe à l’interface entre le microbiote intestinal et le système lymphoïde gastro-intestinal. Les cellules épithéliales de la muqueuse intestinale agissent comme un filtre barrant l’entrée de bactéries et d’antigènes dans la circulation sanguine. L’intégrité de la barrière intestinale dépend de la nature des jonctions intercellulaires et des jonctions serrées, éléments clés dans la solidité muqueuse. Dans les MICI, il existe une augmentation de la perméabilité de l’espace paracellulaire et un défaut de régulation des jonctions serrées (13). Ces anomalies peuvent représenter un défaut primaire ou secondaire à l’inflammation. D’autres mécanismes de défense sont représentés par les cellules de Paneth et les cellules caliciformes. Les cellules de Paneth sécrètent des peptides antimicrobiens tels les alpha-défensines, et les cellules caliciformes régulent la production de mucus, facteur essentiel dans la réparation épithéliale et la régulation de l’inflammation. Le mucus intestinal en recouvrant l’épithélium, limite le contact entre les bactéries pathogènes et les cellules épithéliales.
  • La cascade inflammatoire des MICIEn situation saine, les lymphocytes T helper (Th1, Th2 et Th17) et les cellules régulatrices Treg sécrètent des cytokines caractéristiques. La régulation entre les cellules T helper et les cellules Treg doit être continuellement ajustée afin de maintenir l’homéostasie du système immunitaire intestinal. En situation pathologique, l’augmentation de la perméabilité intestinale, les anomalies de la mucosécrétion, l’augmentation de l’adhérence bactérienne sur les cellules épithéliales intestinales induisent un passage intracellulaire de bactéries et d’antigènes. Il s’ensuit un ensemble de perturbations inflammatoires conduisant une augmentation du nombre de lymphocytes T CD4 et à la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF alpha, interleukine-6, interleukine-12, interleukine-23) (14). Dans la MC, il existe une augmentation de la production au sein de la muqueuse de l’interleukine-17 par les cellules Th17, et de l’interféron g et du TNF-a par les cellules Thl (15). La voie de l’interleukine-23 apparaît comme essentiel dans cette cascade inflammatoire. Cette cytokine revêt une action fondamentale pour le fonctionnement des cellules Th17.

 

 

Les facteurs de risque

  • La génétiquePlusieurs dizaines de gènes de susceptibilité ont été identifiés ces dernières années. Leur rôle semble assez important dans la genèse de la MC. Ces différents gènes ont des fonctions et des mécanismes d’actions très variés : rôle dans l’immunité innée, l’autophagie, l’intégrité de la barrière épithéliale, la différenciation des lymphocytes TH17, l’apoptose des cellules T, l’immunité adaptative, etc. (16, 17). L’interaction de ces gènes entre eux, ainsi qu’avec le milieu intestinal et les facteurs environnementaux, est toujours en cours d’investigation. Les antécédents familiaux de MICI sont constamment retrouvés comme facteurs de risque de MC chez l’enfant. Toutes séries confondues, le risque de survenue de MC chez l’enfant est élevé lorsqu’on a un ou deux parents atteints.
  • L’environnementDe nombreuses études des facteurs d’environnement ont été réalisées dans les MICI à la fois chez l’adulte et chez l’enfant, avec des populations et des méthodologies très différentes.Plusieurs facteurs de risque ont été incriminés dans la genèse des MICI. Ces facteurs incluent l’alimentation (micro- ou macronutriments), le tabac, les médicaments (contraceptifs oraux, aspirine et AINS), les métaux (fer et aluminium), les microparticules, la pollution atmosphérique, etc. Au final, on dispose de nombreuses données, mais il y a peu d’études prospectives dans ce domaine. Les critères de causalité d’Austin Bradford Hill1 ne sont pas souvent vérifiés pour tous ces facteurs.Le tableau 2 reprend de façon synthétique les résultats concernant la plupart des différents facteurs de risque de MC selon les données actualisées de la littérature.

Références


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