Faut-il changer les courbes de croissance des enfants ?


Analyse de l’étude française : Scherdel P, Botton J, Rolland-Cachera MF et al. Should the WHO growth charts be used in France ? PLoS ONE 2015 ; 10 : e0120806.


Si les courbes de croissance sont utiles, voire indispensables, au suivi de croissance des enfants, encore faut-il qu’elles soient adaptées à la population mesurée. Une étude française publiée dans PLoS ONE a comparé les courbes officielles utilisées en France et celles proposées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les courbes actuellement utilisées en France pour le suivi du développement des enfants ont été élaborées et validées en 1979 [1]. Ces courbes ont été créées à partir des données de 588 enfants nés en région parisienne, au milieu des années 1950.

Les courbes de 0 à 5 ans de l’OMS ont, elles, été remises à jour en 2006 avec des données d’enfants nés entre 1997 et 2003 dans six pays différents (Brésil, États-Unis, Ghana, Inde, Norvège et Oman) [2]. Ces enfants appartenaient à un environnement socioéconomique favorable et avaient été allaités plusieurs mois, tel que l’OMS le recommande. Les courbes de 5 à 19 ans de l’OMS ont été élaborées à partir de mesures d’enfants nord-américains nés dans les années 1960 et 1970. L’OMS recommande l’utilisation de ces courbes pour le suivi actuel de la croissance des enfants. Les auteurs de l’étude ont comparé les mesures de plus de 27 000 enfants français aux courbes de référence françaises et aux mesures de l’OMS afin de vérifier quelles courbes sont les plus proches de la population actuelle.

Population étudiée

Les chercheurs ont recueilli les données d’enfants français inclus dans 12 études réalisées sur la population française entre 1981 et 2007. Au total, 82 151 mesures de poids et tailles de 27 287 enfants (de la naissance à 18 ans) ont été analysées. Divers paramètres ont été étudiés comme l’allaitement maternel ou l’indice de masse corporelle (IMC).

Comparaison des courbes de croissance de la naissance à 5 ans

L’étude des courbes des Z-scores moyens de la taille, du poids et de l’IMC, permettent de comparer le développement des enfants français étudiés par rapport aux références françaises de 1979 et de l’OMS.

Le Z-score d’un individu représente son écart par rapport à la moyenne de la population étudiée (valeurs françaises de 1979 ou OMS) en termes de poids, taille et IMC. Un Z-score positif (respectivement négatif) implique que l’individu est au-dessus (respectivement en dessous) de la moyenne. Les références françaises de 1979 sous-estiment le poids et la taille des enfants de l’étude dès une semaine (déviation positive), alors que les références de l’OMS sont plus proches de la réalité à partir de 6 mois puisque la courbe oscille autour de 0, chez les filles comme chez les garçons. En revanche, les références françaises de 1979 surestiment les IMC des enfants étudiés à partir de 6 mois, alors que l’OMS les sous-estime, mais reste plus proche des valeurs de la population étudiée à partir de 2 ans (Z-score moyen proche de 0).

▶ Les résultats indiquent que les enfants nés entre les années 1980 et les années 2000 sont donc en moyenne plus grands et plus lourds que leurs aïeuls. Les courbes de références françaises de 1979 sont donc moins réalistes que celles de l’OMS pour suivre le développement des enfants qui naissent.

Comparaison des courbes de croissance de 5 à 18 ans

La comparaison des données sur les enfants de 5 à 18 ans indique également que les références françaises de 1979 sous-estiment la taille, le poids et l’IMC des enfants par rapport aux références de l’OMS, en particulier pour le poids où le Z-score moyen est supérieur à 0,5. Les courbes basées sur les références de l’OMS sont plus proches de la population étudiée et donc plus réalistes.

▶ Les résultats indiquent que les enfants français ont un développement plus proche des courbes de croissance de l’OMS que des références françaises, sans doute obsolètes.

L’influence de l’allaitement maternel

Aucune différence majeure n’a été observée dans le développement des enfants ayant été ou non allaités, quelle que soit la référence choisie.

La discutable définition du surpoids et de l’obésité

Les auteurs ont également comparé les notions de surpoids et d’obésité. Ils estiment qu’il est important de définir un consensus pour ces définitions afin de pouvoir affiner les comparaisons internationales.

Les courbes de croissance : un outil de dépistage des retards de croissance ?

Les auteurs de l’étude s’interrogent sur la possibilité que les courbes de croissance de l’OMS soient plus efficaces pour détecter les retards ou les anomalies de croissance, même s’ils insistent pour dire que les courbes ne sont qu’un outil parmi d’autres pour le suivi du développement des enfants.

Forces et faiblesse de l’étude

Les auteurs reconnaissent que les données utilisées pour l’étude ne sont pas représentatives de tous les enfants français et que les informations sur les caractéristiques sociodémographiques étaient absentes de l’analyse. Toutefois, la taille de l’échantillon et les données couvrent une grande partie du territoire français et suggèrent que l’interprétation est proche de la réalité du pays. L’avantage des données recueillies à partir des carnets de santé est qu’elles sont au plus proche de l’objectif principal de l’étude, qui était d’étudier les données de la pratique clinique.

Forces et faiblesses des courbes de croissance de l’OMS

Les courbes de croissance de l’OMS sont représentatives (car basées sur six pays représentatifs de la population mondiale) et permettent des comparaisons internationales dans le cas d’une croissance saine.

Les auteurs indiquent 3 limites à ces courbes :

  • l’utilisation de deux groupes distincts de populations (avant et après 5 ans),
  • un modèle de croissance avec maturation plus précoce,
  • la difficulté de définir les termes surpoids et obésité de façon générale.

Conclusion

Les chercheurs concluent que les données des courbes de croissance de l’OMS sont plus proches de la croissance des enfants français nés récemment, à partir de 6 mois et jusqu’à 18 ans, que celles des courbes françaises de 1979, et donc plus appropriées. Cependant, les données de références des courbes françaises semblent plus adaptées de la naissance à 6 mois. L’allaitement plus faible en France que la moyenne mondiale ne semble pas expliquer ces différences. Pour autant, les auteurs n’incitent pas à généraliser l’utilisation systématique des courbes de l’OMS sans la réalisation d’une étude qui permettrait de mesurer l’impact d’un tel changement dans la pratique clinique des pédiatres et médecins généralistes.


Références

1. Courbes françaises (via Inserm) http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/108/?sequence=18
2. Courbes OMS www.who.int/childgrowth/standards/fr/


 


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