Histoire de l’allergie alimentaire

L’histoire des allergies nous indique que des personnages célèbres ou anonymes ont présenté des symptômes qui, a posteriori, pouvaient correspondre à une allergie alimentaire (AA). Plus scientifiquement, l’histoire de l’allergie alimentaire est en train de s’écrire, puisqu’elle a vraiment commencé à la fin du XIXe ou début du XXe siècle. Nos connaissances se sont étoffées depuis une trentaine d’années : l’allergologie est un sujet de plus en plus complexe, multidisciplinaire, touchant le médical autant que le social, et encore susceptible d’évolution importante.

 

Les précurseurs…

  • Il est impossible d’ignorer Hippocrate (circa 460 av. JC – circa 370 av. JC) (figure 1).

Il remarqua que tous les individus n’étaient pas égaux devant les fromages et que, si la majorité des sujets pouvait en consommer à volonté, quelques-uns ne les toléraient pas bien parce que leur organisme réagissait de façon différente1 (1).

 

 

  • Dans son ouvrage « King Richard III » (figure 2), l’humaniste et homme politique anglais, Saint Thomas-More ou Morus (1478–1535) a décrit l’accident que présenta le roi après qu’il eut dégusté une coupe de fraises que les Lords lui avaient offerte avant son couronnement (1483) (2, 3). Quelques heures après l’ingestion de ces fruits, Richard III (1452-1485) réunit les Lords, ouvrit sa chemise, et leur montra sa poitrine qui était couverte de boutons : il avait une urticaire !

 

 

Pour l’époque, l’hypothèse de loin la plus probable était celle d’un empoisonnement : c’est évidemment celle que Richard III devait retenir. L’histoire ne dit pas si le roi Richard avait une vraie allergie ou une “pseudo-allergie” à la fraise ! En fait, il est acquis qu’il se soit servi de cette allergie, qu’il connaissait, pour accuser Lord William Hastings (circa 1431-1483) et obtenir sa tête ! Cela ne lui porta pas chance, puisqu’il mourut au combat, tué en 1485 par Henri VII Tudor (1457-1509) à la bataille de Bosworth Field (5,6).

  • En 1586, Marcello Donati (1533-1607) décrivit le cas d’un jeune comte qui développait un angio-œdème chaque fois qu’il consommait des œufs (6, 7).
  • En 1698, dans son traité de l’asthme, Sir John Floyer (1649-1734) cite le cas d’un habitant du Comté de Warwick qui se croyait atteint d’asthme par allergie à des fruits consommés en Espagne (des fruits exotiques pour l’époque !), mais, dont les crises apparaissaient surtout pendant les périodes pluvieuses de l’année (8) (figure 3).

 

 

Au début du XXe siècle, les connaissances sur l’allergie alimentaire se précisent

Au début du XXe siècle, les descriptions vont se multiplier.

  • En 1905, Francis Hare, à Brisbane (Australie), publie un ouvrage en deux volumes (1 000 pages) intitulé « The Food Factor in Disease » qui attribue la migraine à des facteurs alimentaires et, par voie de conséquence, prône une exclusion alimentaire lorsqu’un aliment est incriminé.
    Il préconise même un régime excluant les graisses, les hydrates de carbone, la saccharine et les boissons alcooliques.
    En dehors de la migraine, ce régime était utilisé dans des situations aussi variées que l’asthme, la goutte, l’épilepsie, l’eczéma, l’hypertension, des troubles digestifs, etc.
  • Une diète d’exclusion de tous les additifs, des colorants et des salicylés (un millier de substances !) sera préconisée plus tard, en 1973, par Benjamin Feingold (9) dans le syndrome d’hyperactivité de l’enfant, mais ce régime est très controversé2 (10).
  • Les publications d’allergies aux aliments se multiplient en même temps que la physiopathologie de l’allergie se précise avec Charles Richet (1850-1935) et Von Pirquet (1874-1929).
  • En 1908, Alfred Schofield (11) a publié un cas d’angio-œdème et d’asthme chez un enfant de 8 ans traité avec succès par la désensibilisation. Ce résultat fut confirmé par Schloss (12), puis par Keston, Walters et Gardner (13).
    De fait, l’allergie alimentaire est mentionnée dans les grands traités d’allergologie du milieu du XXe siècle (14-16).
  • Bret Ratner (14) a surtout abordé l’anaphylaxie et la sensibilisation aux aliments chez l’animal d’expérience.
  • Dans le livre de Robert Cooke (15), le chapitre 28 (« Food allergy ») écrit par Robert Chobot compte six pages, mais l’auteur effectue plusieurs renvois au chapitre 14 (« Allergic dermatitis ») où de nombreux aliments sont cités et discutés comme facteurs favorisants ou déclenchant de l’eczéma : lait de vache, céréales, blanc d’œuf (etc.) (figure 4).

 

 

Comme on le voit, la controverse sur le rôle des allergènes alimentaires au cours de la dermatite atopique ne date pas d’hier !

Des ouvrages spécifiques sur l’allergie alimentaire seront publiés à cette époque :

  • celui d’Albert Rowe (17) en 1931 ;
  • et ceux de Vaughan (18, 19) en 1932 et 1941 ;
  • et nous devons aussi à Jérôme Glaser (16) le premier traité d’allergologie pédiatrique (figure 5). Glaser y envisage l’allergie alimentaire de façon beaucoup plus détaillée que les autres auteurs, reconnaissant en particulier l’anaphylaxie alimentaire et les décès par allergie à l’œuf de poule et au lait de vache.

Un chapitre entier est consacré aux régimes d’exclusion (chapitre 63) que Rinkel (20) devait reprendre et populariser dans les années 1960-1970. On y trouve aussi un paragraphe sur l’hypersensibilité au lait de femme où le cas d’un nouveau-né est rapporté : ce nourrisson avait présenté des symptômes d’anaphylaxie chaque fois que sa mère lui avait mis une goutte de son lait sur la langue !

 

Histoire contemporaine : une explosion des allergies à l’arachide et aux fruits à coque !

L’histoire actuelle de l’allergie alimentaire est marquée par l’explosion des cas d’allergies à l’arachide, puis des fruits à coque.

C’est vers 1800 que les premières plantations d’arachide ont été effectuées en Caroline du Sud. L’origine du beurre d’arachide semble remonter à 18903. Les premières publications d’allergie à la cacahuète dateraient de 1920 (21).

Les recherches sur l’allergie à l’arachide ont commencé autour de 1980, rendues indispensables par l’apparition d’une véritable épidémie d’allergie à la l’arachide (22, 23). Elle s’est poursuivie jusqu’à ces dernières années puisque, entre 1997 et 2008 la prévalence de l’allergie à l’arachide est passée de 0,4 % à 1,4 % (multiplication par 3,5) tandis que celle des fruits à coque passait de 0,2 % à 1,1 % pendant la même période (multiplication par 5,5) (24).

La rapidité des communications, la mondialisation du commerce, l’internationalisation des repas, constituent autant de facteurs expliquant cette évolution.

L’histoire des allergies alimentaires s’écrira maintenant au quotidien.

 

1. L’aphorisme de Lucrèce (Titus Lucretius Carus, 98-54 av. JC) est celui qui convient le mieux : « nourriture pour la plupart, poison violent pour d’autres »
2. De très nombreux sites préconisent des régimes d’exclusion dans des situations autres que le syndrome d’hyperactivité de l’enfant, comme l’autisme (exclusions alimentaires) mais il n’existe aucune preuve du rôle de l’allergie alimentaire au cours de ces affections.
3. Selon le US National Peanut Board, le beurre d’arachide a fait sa première apparition dans le monde à l’exposition universelle de Saint-Louis, grâce à C.H. Summer. Aux États-Unis et au Canada, le beurre d’arachide est un aliment de base. 89 % des ménages américains et canadiens en consomment. Le tiers de la récolte d’arachide du pays sert à la fabrication de beurre d’arachide. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Beurre_d’arachide (consulté à 14 février 2011)

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