La chirurgie bariatrique de l’adolescent

L’augmentation de la fréquence des formes extrêmes d’obésité pose la question de la prise en charge de ces patients en raison du risque de comorbidités à court terme (syndrome d’apnées du sommeil, hypertension artérielle, diabète de type 2…). En effet, à ce jour, l’efficacité des prises en charge classiques reste décevante, de même que celle des traitements médicamenteux (1). La chirurgie bariatrique étant devenue le traitement de référence chez l’adulte obèse (2, 3), la question d’une telle prise en charge se pose maintenant en pédiatrie : peut-on aussi opérer les enfants et les adolescents obèses ? Si oui, quels sont actuellement les bons candidats et quelle est la bonne technique chirurgicale ?

Quelles sont les indications de la chirurgie bariatrique chez l’adolescent obèse ?

La chirurgie bariatrique semble envisageable chez l’adolescent en situation d’obésité extrême, même si les recommandations récentes de la Haute Autorité de Santé ne vont pas dans ce sens (4).

En effet, selon les recommandations américaines actuelles(5), pour être un candidat potentiel à ce type de traitement, il faut :
• avoir un IMC supérieur à 40 kg/m², avec au moins une comorbidité associée (syndrome d’apnées du sommeil modéré, hypertension artérielle, insulinorésistance, intolérance au glucose, dyslipidémie, altération de la qualité de vie) ;
• ou avoir un IMC supérieur à 35 kg/m² et une ou plusieurs comorbidités potentiellement sévères (diabète, syndrome d’apnées du sommeil sévère, pseudotumor cerebri, stéatose hépatique sévère).

Sont exclus les adolescents ayant (5) :
• un développement pubertaire inachevé ;
• une taille inférieure à 95 % de la taille attendue à l’âge adulte ;
• ceux incapables d’appréhender les risques liés à l’acte opératoire ou dont la compliance postopératoire au plan médical (suppléments nutritionnels et vitaminiques), diététique et familial risque d’être insuffisante ;
• et ceux présentant des troubles psychiatriques (dépression, anxiété, compulsions alimentaires) en dehors des périodes de traitement (5).

Quelles limites en pratique ?

Si les indications sont donc globalement clairement établies, nous sommes confrontés à des limites évidentes liées à cette classe d’âge.
En effet, l’adolescence est marquée par des modifications corporelles majeures (changements physiques liés à la puberté, accélération de la croissance staturo-pondérale, pic de masse osseuse) et par des préoccupations importantes autour de l’image du corps. Il s’agit aussi d’une période de découverte et de construction de l’identité (prise de distance par rapport au statut d’enfant avec besoin d’autonomie ; période de tests, d’expérimentations avec prises de risque potentielles – alcool, cannabis, sexualité… – et modifications des goûts – alimentaires, vestimentaires, musicaux, idéologiques… – ; incapacité à se projeter à long terme).

Enfin, l’impact psychologique d’une telle prise en charge dans cette classe d’âge est important à prendre en compte. En effet, quels que soient les bénéfices de l’intervention, les adolescents peuvent se sentir atteints par une angoisse envahissante et être perturbés dans leur intégrité corporelle. Au niveau psychologique, on doit donc envisager l’impact des gestes chirurgicaux sur « l’activité de penser des enfants » dans la mesure où une intervention chirurgicale est toujours vécue avec sidération comme une effraction sur le corps, accompagnée plus ou moins de douleur et de mutilation. Alors que, chez les plus jeunes, il existe toutes sortes de fantasmes de persécution, d’agression, de panique sur lesquelles la raison n’a plus de pouvoir, chez l’adolescent, ces fantasmes se déploient d’autant plus que la période qu’ils vivent représente un moment de grande vulnérabilité à la chirurgie.

Aussi, dès le début de la prise en charge et même en amont de l’acte chirurgical, il faut mettre l’accent sur la nécessité d’une évaluation rigoureuse de la personnalité de l’enfant et envisager un suivi régulier à long terme à la fois médical et psychologique (entretien individualisé et/ou groupes de parole) avant de prendre la décision d’une telle chirurgie.

Quelle technique chez l’adolescent ? quels résultats ?

Depuis les années 1990, plusieurs milliers d’adolescents ont bénéficié d’une chirurgie bariatrique, et cela dès l’âge de 13 ans pour certains d’entre eux, notamment aux Etats- Unis (6, 7). Les deux principales techniques utilisées en dehors de quelques montages chirurgicaux exceptionnels, sont, comme chez l’adulte (6, 7) :

la gastroplastie par anneau ajustable ;
• et le by-pass gastrique dit Roux-en-Y (6, 7).

Certains auteurs discutent l’intérêt de la sleeve gastrectomy (8), mais les données dans la littérature sur l’effet à moyen et long termes restent limitées.
Chez l’adolescent opéré, une perte de poids significative est décrite pour les deux principaux types de chirurgie, avec une réduction d’environ 15 points d’IMC à 3 ans pour l’anneau et à 6 ans pour le by-pass.

Les complications possibles

Les complications décrites pour les deux techniques sont identiques à celles connues chez l’adulte, et aussi fréquentes (6, 9).
En cas d’anneau, quelques décès ont été décrits et les complications décrites sont essentiellement mécaniques= (dilatation de la poche…), conduisant souvent à des réinterventions (7).
Pour le by-pass, les complications sont tout aussi fréquentes. Si une malnutrition parfois sévère (malnutrition protéino-énergétique, Beri- Beri, neuropathie liée à une carence vitaminique) a été initialement décrite, cela n’est actuellement plus le cas en raison de la supplémentation vitaminique systématique des adolescents (7). En revanche, des complications digestives (sténose, saignement) sont rapportées. De même, ont été décrits 4 décès à court ou moyen termes.

Le recours aux interventions avec malabsorption comme le by-pass soulève le problème général des carences en micronutriments, et plus spécifiquement du retentissement potentiel sur la maturation osseuse et la croissance en fonction du stade de développement pubertaire. Il est donc indispensable de s’assurer en amont de la compliance de l’adolescent grâce à un suivi régulier d’au moins 6 mois avant la chirurgie.

Chirurgie versus approche médicale
Une seule étude prospective randomisée a évalué les effets d’une chirurgie par anneau ajustable comparée à une approche médicale dite “optimale” dans un groupe de 50 adolescents âgés de 14 à 18 ans, suivis pendant 2 ans (9). Dans le groupe chirurgie, la perte de poids a été de 36 kg, soit 12,7 points d’IMC, alors que dans le groupe médical, la perte de poids a été de 3 kg (1,3 point d’IMC). Environ 40 % des adolescents présentaient des anomalies métaboliques (hypertriglycéridémie, hypo- HDL-cholestérolémie…) au début de l’étude. Après deux ans, toutes les anomalies avaient régressé chez les adolescents du groupe chirurgie contre 22 % dans l’autre groupe. De même, leur qualité de vie était nettement améliorée. Il faut cependant noter qu’un jeune sur trois avait dû subir une réintervention pour des complications liées au boîtier ou à la tubulure ou en raison de la dilatation de la poche gastrique (9).

Quel effet sur les comorbidités ?

Peu de données sont disponibles sur l’effet de ces deux types de chirurgie sur les comorbidités comme le diabète ou le SAS chez l’adolescent (7).
En revanche, une amélioration nette de la qualité de vie est rapportée à court terme chez ces adolescents souffrant d’obésité sévère (7).

Anneau ou by-pass ?

Si le recours à l’anneau gastrique est défendu par certains, avec pour argument la réversibilité de la procédure et sa relative facilité d’exécution, d’autres privilégient le by-pass qui est actuellement tout aussi réversible, et avec une efficacité supérieure en termes de perte de poids, notamment à long terme, et une régression des morbidités associées dans l’expérience adulte. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’argument formel pour privilégier l’une ou l’autre de ces interventions. On peut cependant admettre, à l’instar de l’évolution de la chirurgie bariatrique chez l’adulte, que les meilleurs résultats à long terme du by-pass et la fréquence élevée des complications mécaniques liées à l’anneau rendent le by-pass préférable chez de jeunes individus souffrant d’obésité extrême, avec des IMC supérieurs à 50, voire 60 kg/m2, et ce d’autant plus s’il existe un diabète associé.

Conclusions

Selon notre expérience, tout adolescent obèse faisant la demande d’une chirurgie bariatrique doit être écouté et faire l’objet d’une évaluation complète avec prise en charge globale (médicale, psychologique et diététique) en amont, pendant au moins 6 mois, afin de les préparer, lui et sa famille, à cette éventualité. La discussion de la chirurgie bariatrique doit être effectuée au cas par cas par des équipes multidisciplinaires aguerries et expertes (médecins, chirurgiens, psychologues, anesthésistes, diététiciens), avec une collaboration étroite entre équipes adultes et pédiatriques.

Sachant que cette prise en charge est la seule à ce jour à avoir montré un effet bénéfique à long terme sur la perte de poids chez l’adulte (3), la chirurgie bariatrique est vouée à être discutée de plus en plus souvent dans la prise en charge des adolescents obèses.

Pour en savoir plus…


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