La constipation du jeune nourrisson

La constipation concernerait 3 % des enfants, mais 25 % des consultants des gastropédiatres. Dans 17 à 40 % des cas, la constipation débute dans la première année [1]. La constipation du jeune nourrisson est particulière, car elle ne répond pas aux mêmes définitions que chez le plus grand enfant, elle connaît d’autres étiologies, dont certaines pathologies congénitales parfois graves. Les traitements sont différents, du fait des autorisations de mise sur le marché des médicaments.

Qu’entend-on par constipation ?

La définition officielle est donnée par les critères de Rome III [2], soit, chez l’enfant de moins de 4 ans, pendant au moins 1 mois, deux ou plus des critères suivants :

• 2 défécations par semaine ou moins ;

• 1 épisode ou plus d’incontinence par semaine après l’acquisition de la propreté ;

• une histoire de rétention fécale active ;

• une notion de selles dures difficiles à émettre ;

• un fécalome rectal ;

• des selles obstruant les toilettes.

Ces signes peuvent être associés à une irritabilité, un manque d’appétit.

Le problème est que chacun de ces six critères est potentiellement inadapté au jeune nourrisson :

• Il est banal d’avoir moins de deux défécations par semaine chez un enfant allaité exclusivement (constipation au lait maternel, voir ci-dessous).

• Le jeune nourrisson n’a pas acquis la propreté.

• Il ne sait pas encore se retenir activement.

• Les selles dures difficiles à émettre existent chez le nourrisson ; c’est le seul critère applicable.

• Un fécalome est exceptionnel chez le jeune nourrisson, il évoque d’emblée une constipation organique.

• Ce fécalome n’est jamais de taille à obstruer les toilettes chez le nourrisson !

Il faut donc plutôt retenir : selles dures difficiles à émettre.

Les critères de Rome évoquent par ailleurs la situation du nourrisson qui pousse pendant plus de 10 minutes avant d’émettre des selles normales, cela est appelé “dyschésie” et non constipation, et serait en rapport avec une immaturité passagère de la coordination de la défécation.

Quel diagnostic chez un nourrisson ?

Les hypothèses diagnostiques de la constipation du jeune nourrisson peuvent être traitées chronologiquement [3].

Les premières 24 heures

Durant les premières 24 heures, se révèlent les occlusions néonatales, qui sortent du propos de cet article : imperforation anale, atrésies, iléus méconial, péritonite méconiale…

Les premières 48 heures

Elles ont permis, chez 99 % des nouveau-nés, l’élimination du méconium, sauf s’ils l’ont émis lors d’une souffrance périnatale. Le retard à l’élimination du méconium peut orienter vers une constipation organique. L’émission dans les 48 heures n’élimine cependant pas un problème organique : 50 % des enfants atteints de maladie de Hirschsprung l’ont émis dans ce temps-là [1].

La première semaine

Elle permet un examen approfondi de l’enfant, et de juger de la quantité et de la qualité des selles.

• Certains nouveau-nés peuvent manifester, dès quelques jours de vie, une constipation fonctionnelle précoce, appelée “tendance à la constipation” ; on retrouve un facteur familial, l’examen est normal. Il n’existe pas de signes de constipation organique cette semainelà, comme par la suite (débâcle à l’introduction du thermomètre, subocclusion, retard de croissance). Le mécanisme de cette constipation est inconnu (réabsorption exagérée d’eau par le côlon, transit colique ralenti ayant les mêmes conséquences ?). Le risque est l’aggravation dès que l’enfant saura se retenir de crainte d’avoir mal en déféquant.

• Dans d’autres cas, il existe une anomalie clinique qui permet de prédire ou d’expliquer des troubles du transit précoces, comme une anomalie de l’examen neurologique général ou des membres inférieurs, une anomalie du rachis lombo-sacré (tache, touffe de poils, fossette), qui sont un point d’appel pour une anomalie médullaire sous-jacente et justifient une échographie du rachis dans le premier mois. L’anus doit être examiné avec soin [4] (figures 1 et 2).

 

 

Il existe des malformations anorectales évidentes : imperforation, fistule, sténose anales (l’anus doit admettre le petit doigt). Moins évidente est l’antéposition anale, sauf quand elle est majeure (“anus vulvaire” chez la fille). Chez le nouveau-né, la distance entre le scrotum ou la fourchette vulvaire et l’anus doit dépasser 12 mm. Un autre moyen d’identifier cette anomalie est de faire le rapport entre la distance anus-coccyx et la distance coccyx-organes génitaux. Ce rapport doit être supérieur à 0,34 chez la fille, 0,46 chez le garçon. Les troubles neurologiques se traduisent par une constipation progressive, les malformations anorectales, selon leur gravité, par des selles émises avec difficulté, de petit calibre, parfois rubanées et striées ou une constipation simple.

Le premier mois

• Dans le premier mois, survient la dyschésie, citée plus haut. C’est un diagnostic différentiel.

• Certains enfants allaités peuvent avoir des selles rares, le record publié étant

3 selles en 3 mois [5]. L’enfant est par ailleurs normal, sans ballonnement, vomissement ou trouble de croissance, les selles sont normales ou dures. Les parents doivent être rassurés.

• Il faut rester vigilant sur les constipations organiques sans anomalie clinique du dos ou du périnée. La maladie de Hirschsprung se révèle habituellement par une occlusion néonatale. Dans les formes courtes, il s’agit parfois d’une constipation d’allure organique, avec débâcles, subocclusions et retard de croissance. Le pseudo-Hirschsprung, ou “pseudo obstruction intestinale chronique”, Figure 1 – Antéposition de l’anus, donne les mêmes symptômes, sans obstacle identifiable. Il s’agit de neuropathies ou myopathies intestinales. Citons également les troubles ioniques (hypercalcémie), l’hypothyroïdie et toutes autres causes de constipations secondaires.

Au sevrage

Il faut signaler que certaines constipations organiques peuvent se révéler avec les signes déjà décrits, masqués dans une certaine mesure par un effet laxatif et prokinétique du lait maternel.

Le sevrage est aussi le moment de l’introduction des laits artificiels. Certains composés de ces laits peuvent interagir, comme les lipides et le calcium, d’autres ont la réputation de favoriser une constipation, comme la caséine et certains amidons. Il est fréquent qu’une phase d’adaptation au changement de régime s’accompagne d’une constipation peu sévère. Une constipation sévère, surtout si elle est associée à un eczéma ou des antécédents d’allergie, peut faire évoquer une allergie aux protéines du lait de vache dans une forme atypique.

Plus tard…

Plus tard, mais nous sortons du cadre du jeune nourrisson, la grande cause de constipation est l’éducation à la propreté, puis l’école.

En résumé, les signes d’alerte orientant vers une constipation organique sont repris dans le tableau 1.

 

Quels examens complémentaires ?

Nous n’insisterons pas sur les occlusions néonatales ou les constipations secondaires.

• Il n’est pas recommandé de rechercher une hypothyroïdie ou une hypercalcémie en l’absence de signes d’appel[ 1].

La suspicion de maladie de Hirschsprung – ou “pseudo” – justifie une rectomanométrie et une biopsie rectale profonde.

Une malformation ano-rectale doit être explorée, et des malformations associées recherchées (VACTERL…). En cas de lésion en regard du sacrum, une échographie est indiquée, ou une IRM au-delà de 1 mois.

Le diagnostic de constipation est clinique. La radiographie d’abdomen n’a aucune place.

• La “tendance à la constipation” n’appelle aucun examen complémentaire d’emblée. Si elle est sévère ou rebelle, une manométrie recherchera une rarissime forme ultra courte de maladie de Hirschsprung.

• Bien sûr, pas d’exploration d’une dyschésie ou d’une “constipation” au lait maternel.

• En cas de suspicion d’APLV, le régime est un test diagnostique. Un patch test positif peut apporter un argument supplémentaire.

Quelle prise en charge ?

Nous n’aborderons que les constipations fonctionnelles, même si le traitement laxatif peut être prescrit comme première mesure dans certains cas comme les sténoses anales ou les anomalies neurologiques.

• La dyschésie et la constipation au lait maternel n’appellent que des conseils et une réassurance. Les manoeuvres endo-anales sont à écarter dans les deux cas.

• La tendance à la constipation ou la constipation passagère peut être traitée par conseils diététiques, et éventuellement laxatifs, surtout si l’enfant émet des selles dures, avec des douleurs et risque d’apprendre à se retenir.

• La constipation du sevrage relève dans un premier temps de conseils diététiques, puis de laxatifs en cas d’échec.

• La suspicion d’APLV justifie la prescription d’un hydrolysat.

• Enfin, il est important d’accompagner les parents pour l’éducation à la propreté, afin par exemple qu’elle ne soit ni trop précoce ni trop insistante.

La prise en charge diététique

Elle peut suffire ou précéder le recours à des laxatifs.

• Les composants des préparations infantiles supposés lutter contre la constipation sont les lipides structurés, le lactose, les protéines solubles ou hydrolysées, la caroube. L’effet inverse serait obtenu avec les triglycérides standard, la caséine, les amidons. Le choix d’une préparation peut donc tenir compte de ces éléments pour un changement de préparation [6].

• En cas de suspicion d’APLV, une prescription d’hydrolysat est logique.

• Dans le cadre de la diversification, on insiste sur les fruits et légumes, la ration hydrique, sans excès ou contrainte.

• En cas de constipation au lait maternel, certains conseillent d’augmenter la ration hydrique de la mère. L’APLV par l’intermédiaire du lait maternel est exceptionnelle, à évoquer éventuellement devant des signes d’allergie pour prescrire un régime sans PLV chez la mère.

• Une eau fortement minéralisée riche en magnésium est souvent utilisée pour lutter contrer la constipation du nourrisson. Elle diverge de façon majeure, sur plusieurs de ses composés, des recommandations de l’AFSSA sur les eaux sûres pour les nourrissons. Elle est déconseillée, comme cela figure sur l’étiquette [7].

Les traitements laxatifs

Les traitements recommandés sont en pratique au nombre de deux [1] :

Le lactulose et le lactitol ont l’AMM avant 6 mois.

Le PEG est plus efficace, utilisable en principe au-delà de 6 mois à la dose de 0,4 g/kg/j, adaptée à la réponse clinique.

Le traitement peut être prolongé si nécessaire, afin d’éviter l’aggravation inéluctable d’une constipation fonctionnelle si l’enfant prend l’habitude de se retenir du fait de douleurs à la défécation.

Les pré- et probiotiques n’ont pas fait la preuve de leur efficacité [1].

Pour en savoir plus


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