La croissance de l’enfant allaité

L’évaluation de la croissance est un indicateur important de l’état de santé de l’enfant. L’établissement d’une courbe de croissance est un temps indispensable de la consultation pédiatrique. Les courbes utilisées doivent avoir été établies d’après des références valides.

 

Une courbe de croissance spécifique

Il y a plusieurs décennies, une étude de Dewey (1) a montré que les enfants allaités, les filles particulièrement, prenaient moins rapidement de poids que ceux nourris au lait industriel, à partir de l’âge de 4 mois, avec une différence de 650 g à l’âge de 12 mois.

A partir de ce constat, l’OMS a entrepris, de 1997 à 2003, une étude internationale (2-3) sur la croissance des enfants allaités exclusivement 4 mois au moins, diversifiés à 6 mois avec poursuite de l’allaitement au moins jusqu’à l’âge de 1 an, dans des conditions socio-économiques favorables. De nouvelles courbes ont ainsi été publiées (consultables sur le site : www.who.int/childgrowth/en).

L’allaitement maternel étant le mode de nutrition de référence, les courbes OMS doivent servir à évaluer la croissance de tous les enfants qu’ils soient allaités ou non. Leur usage est recommandé par l’Association Internationale de Pédiatrie.

Cette étude a mis en évidence, pour les enfants allaités comparativement aux enfants non allaités :

  • une prise de poids plus rapide les 3 premiers mois : la 1re déviation standard des courbes actuelles des carnets de santé correspond approximativement (différence de 0,8 DS entre les 2 types de courbes) à la moyenne des courbes de l’OMS ;
  • une prise de poids ralentie à partir de l’âge 3-6 mois jusqu’à 2 ans, ils paraissent ainsi “décrocher” des courbes des carnets de santé à partir du 2e trimestre de vie.

Quel que soit le site géographique et l’ethnie, dans les conditions de vie favorables et (comme décrit ci-dessus) avec une nutrition optimale, tous les enfants ont des profils de croissance similaires, indiquant ainsi que les conditions environnementales telles que la nutrition sont des facteurs prépondérants dans la croissance de l’enfant.

Au-delà de la différence de cinétique de la croissance, l’étude de la composition corporelle montre que les enfants non-allaités accumulent plus de masse grasse que les enfants allaités (4).

 

Pourquoi cette différence ?

  • Les courbes de références françaises ont été établies sur une population d’enfants majoritairement nourris au lait industriel, suivis de 1953 à 1979.
  • L’enfant nourri au sein régule de lui-même ses apports (il lâche le sein quand il est rassasié), alors qu’avec le biberon les parents ont souvent tendance, sans même sans rendre compte, à suralimenter leur enfant (5).

 

Quelles conséquences pour la surveillance de la croissance ?

Quelques exemples…

 

Cas clinique 1

La mère de Moïse déclare : « mon enfant grossit trop vite, on m’a conseillé de réduire le nombre de tétées… ».
Moïse qui a un poids de naissance de 3 kg, a pris 1,2 kg par mois entre 1 et 3 mois ; à 4 mois il pèse 7,1 kg, ce qui le situe à +1DS sur les courbes du carnet de santé (figure 1a). Cette prise de poids a été jugée excessive.

 

Commentaire

Transposé sur la courbe de l’OMS, le poids progresse sans excès sur la moyenne (figure 1b).

Une réduction de la fréquence des tétées n’est jamais indiquée : la sécrétion lactée répondant à la loi de l’offre et de la demande (plus le bébé tète, plus il y a de lait) toute réduction de la fréquence des tétées entraînera une baisse de la sécrétion lactée (6).

 

Cas clinique 2

La maman d’Ilies, 8 mois, regrette : « on m’a demandé de remplacer mon allaitement par du lait industriel car, mon lait n’étant pas assez nourrissant, mon fils ne grossit plus assez vite ».
Ilies présente en effet un infléchissement progressif de la courbe de poids de +1 DS vers -1 DS depuis l’âge de 5 mois et demi (figure 2a).

 

Commentaire

Transposée sur la courbe de l’OMS (figure 2b), la progression du poids se fait régulièrement sur le canal -1 DS ; l’enfant étant en parfaite santé et ayant été convenablement diversifié, il n’y a rien d’autre à faire que de soutenir la mère dans son projet d’allaitement “long”.

Il n’existe pas de lait maternel “peu nourrissant”.

 

Quand un bébé allaité a des difficultés à grossir

Cependant, un bébé allaité peut avoir des difficultés à grossir. Comment optimiser la prise de poids grâce à l’allaitement ? (Les difficultés de prise de poids du 1er mois de vie ne seront pas envisagées ici).

 

Cas clinique 3

Wissem, 4 mois, présente une stagnation pondérale complète depuis 2 mois (figure 3a et b), constatée par son médecin traitant lors d’une vaccination.
L’allaitement était jusqu’à l’âge de 2 mois parfaitement efficace (prise de poids de 2,4 kg les 2 premiers mois de vie). Wissem fait environ 4 à 5 tétées courtes dans la journée, il lâche facilement le sein. C’est un bébé très éveillé qui se laisse divertir par tout ce qui se passe autour de lui. C’est l’été, il reçoit des biberons d’eau entre les tétées car sa mère craint qu’il ne se déshydrate. Elle a réussi à supprimer les tétées de nuits en l’installant dans sa propre chambre, alors que jusqu’à l’âge de 2 mois, il dormait dans la chambre parentale…
Le médecin consulté préconise l’introduction de biberon de lait industriel. Le projet maternel était de continuer l’allaitement aussi longtemps que possible.

 

Commentaire

La stagnation pondérale est très probablement en rapport avec une insuffisance secondaire de lactation par baisse de stimulation par l’enfant. Plusieurs facteurs sont intriqués :

  • diminution de la fréquence des tétées : au début du 2e trimestre, il est très fréquent que l’enfant, attiré par le monde extérieur, écourte les tétées, voire “oublie” de téter la journée (“grève des tétées”) ;
  • l’enfant rattrape souvent ce “manque” à gagner en maintenant ou augmentant les tétées nocturnes : ici, la mère a choisi d’éloigner l’enfant la nuit si bien qu’au bout de quelques nuits de pleurs, l’enfant s’est résigné à ne plus téter la nuit.

Contrairement aux attentes des mères et des professionnels de santé, la fréquence des tétées ne diminue que très lentement avec l’âge : la médiane des fréquences des tétées dans l’étude de l’OMS (2) est respectivement à 3 mois, 6 mois et 12 mois de 10, 9 et 5 tétées par 24 h ; à 6 mois seulement 2 % des enfants allaités ne tètent pas la nuit (7). L’apport énergétique assuré par les tétées nocturnes est loin d’être négligeable puisqu’il représente environ 20 % des apports énergétiques pour l’âge (8). Une fréquence des tétées soutenue est encore nécessaire au-delà des trois premiers mois pour assurer une croissance correcte.

Chez Wissem, de plus, l’administration d’eau, au biberon, a probablement contribué à diminuer le nombre de tétées (réplétion de l’estomac, succion au biberon favorisant le désintérêt de l’enfant pour le sein…) ; l’allaitement suffit à lui seul à couvrir les besoins hydriques du nourrisson, sous réserve que l’accès au sein ne soit pas limité.

 

 

Ce qu’il faut conseiller à la mère de Wissem

  • Supprimer les biberons d’eau, ne pas introduire de biberons de lait industriel (ceux-ci, incitant le bébé à se détourner du sein, aggraveraient l’insuffisance de lactation aboutissant rapidement au sevrage non souhaitable et non souhaité, ici, par la mère) ;
  • intensifier la fréquence des tétées : le jour favoriser les tétées dans un lieu calme sans distraction, favoriser la proximité mère-enfant et le contact corporel (portage dans la journée, partage de la chambre des parents la nuit).

Ces conseils seront bien sûr précédés d’un interrogatoire et d’un examen clinique précis visant à éliminer une pathologie sous-jacente et de l’observation d’une ou plusieurs tétées afin d’optimiser éventuellement la prise du sein et l’efficacité du bébé. Ces mesures simples ont effectivement assuré la reprise pondérale (figure 3 a et b). L’insuffisance de lactation est souvent due à une conduite inadéquate de l’allaitement et est réversible (plus ou moins facilement), quel que soit l’âge de l’enfant.

 

Influence de la nutrition précoce sur la santé ultérieure

L’épigénétique nous apprend que des facteurs environnementaux, en particulier nutritionnels peuvent influencer l’expression des gènes surtout quand l’exposition intervient dans des “fenêtres de développement” (vie intra-utérine, 1res semaines de vie…) (9).

Ainsi, des études épidémiologiques permettent de constater chez les sujets ayant été allaités, un moindre risque de syndrome métabolique à l’âge adulte grâce à :

  • un profil lipidique plus favorable (10) : l’importante teneur en cholestérol du lait maternel induirait une programmation nutritionnelle réduisant la synthèse endogène du cholestérol à l’âge adulte ;
  • un niveau de pression artérielle légèrement moins élevé (11).

L’allaitement est associé à un moindre risque d’obésité dans l’enfance (12) et de diabète de type 2. L’effet bénéfique sur la santé se fait d’autant plus sentir que l’allaitement est exclusif (sans complément de lait industriel) et prolongé (effet dose-réponse).

Les avantages ci-dessus, même d’amplitude faible, contribuent à diminuer le risque cardiovasculaire tout comme l’activité physique et les mesures nutritionnelles recommandées chez l’adulte…

L’allaitement comporte donc un fort enjeu de santé publique : son initiation et son maintien dans la durée doivent être encouragés par des professionnels de santé correctement formés sur ce thème.

 

Pour en savoir plus…


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