La stéatose hépatique

La stéatose hépatique correspond principalement à une complication hépatique de l’obésité (1). Cependant, d’autres maladies chroniques du foie s’accompagnent d’une stéatose ; leur diagnostic est important à réaliser. 
Nous développerons les complications hépatiques de l’obésité et aborderons ces autres pathologies chroniques dans le cadre des diagnostics différentiels.

L a stéatose hépatique correspond à une infiltration graisseuse du foie.
Les pathologies hépatiques de surcharge sont regroupées sous l’acronyme anglo-saxon NAFLD (nonalcoholic fatty liver diseases).
Elles comprennent :
la stéatose ;
la stéato-hépatite non alcoolique, ou NASH (non-alcoholic steatohepatitis) qui peut évoluer jusqu’à la cirrhose ; au stade de cirrhose, la surcharge graisseuse a souvent disparu.

L’épidémiologie des NAFLD

Compte tenu de “l’épidémie” mondiale d’obésité, les NAFLD sont principale cause de maladie chronique du foie chez les enfants et les adolescents dans les pays industrialisés. Dans une étude autopsique américaine portant sur 742 enfants âgés de 2 à 19 ans, la prévalence de la stéatose était de 9,6 % chez les personnes de poids normal et de 38 % chez les obèses (2).

La physiopathologie

L’insulinorésistance favorise une libération d’acides gras circulants et une lipogenèse de novo, qui entraînent une stéatose. Certains lipides ont une toxicité hépatique : diacylglycérol, céramide et cholestérol libre. Cette lipotoxicité induit une dysfonction mitochondriale et un stress du réticulum endoplasmique. La fibrose est secondaire aux interactions entre ces hépatocytes, qui souffrent et peuvent mourir par apoptose, et d’autres cellules du foie (cellules de Kupffer et cellules étoilées) (3). Comme dans d’autres pathologies, le rôle du microbiote est suspecté dans la NASH. Le recrutement de cellules inflammatoires au niveau du foie est favorisé par une augmentation du taux de médiateurs, les lipopolysaccharides (LPS), qui sont produits par certaines bactéries intestinales et qui passent dans la circulation portale (4).

Les circonstances de découverte

Les NAFLD sont plus fréquentes chez les enfants en surpoids ou obèses, âgés de plus de 10 ans.

D’autres facteurs de risque sont : le sexe masculin, l’origine hispanique (5). Mais le principal facteur de risque est la présence d’un syndrome métabolique ou d’un syndrome d’insulinorésistance. Il est défini, d’après l’ATP (Adult Treatment Panel) III, par la présence d’au moins 3 des 5 signes suivants :
• obésité abdominale ;
• triglycérides > 1,5 g/l ;
• cholestérol-HDL < 0,40 g/l chez l’homme et < 0,50 g/l chez la femme ;
• hypertension artérielle ;
• glycémie à jeun > 1,10 g/l.

Cliniquement, l’insulinorésistance peut être suspectée devant un terrain familial (obésité, NAFLD ou diabète de type 2) et/ou devant la présence d’un acanthosis nigricans.

Biologiquement, l’insulinorésistance est définie par un index HOMA-IR (homeostatic model assessment) > 2,5, qui est le rapport [glycémie à jeun (mmol/l) x insulinémie à jeun (UI/l) / 22,5]. La présence d’une obésité précoce et d’un syndrome d’apnée obstructive du sommeil est aussi un facteur de risque de NAFLD.

Les patients ayant une NAFLD sont asymptomatiques ou se plaignent de signes fonctionnels non spécifiques (douleurs abdominales, vomissements ou fatigue). Une hépatomégalie peut être présente mais difficilement palpable. L’acanthosis nigricans est présent chez 1/3 à 1/2 des NAFLD confirmées histologiquement.
L’obésité abdominale est mieux évaluée chez l’enfant par le tour de taille que par le rapport taille/hanche (5).

  • En pratique

Le diagnostic de NAFLD est suspecté chez un enfant :
obèse ;
présentant une perturbation des tests fonctionnels hépatiques (ASAT, ALAT et/ ou GGT) et/ou une hyperéchogénicité hépatique. Dans une étude américaine qui portait sur 2 450 adolescents âgés de 12 à 18 ans, 6 % des enfants en surpoids et 10 % des obèses avaient une élévation de l’ALAT (6).

Cette élévation des transaminases est le plus souvent modérée : < 1,5 fois la limite supérieure de la normale. Mais les tests fonctionnels hépatiques ont une mauvaise sensibilité puisque les transaminases peuvent être normales chez ces patients. Des taux élevés de la GGT, de même qu’un ratio ALAT > ASAT,  seraient des marqueurs de fibrose plus avancée dans les NAFLD.
A l’inverse, comme chez tout enfant, une élévation plus marquée des transaminases peut se voir lors de pathologies infectieuses aiguës et justifie un contrôle 3 à 6 mois après. Dans une étude comprenant 425 enfants ayant une élévation des transaminases, l’évolution se faisait vers une normalisation en moins de 6 mois dans 60 % des cas et, dans presque la moitié des élévations persistantes, un diagnostic de NASH était retenu (7).
Un dosage des enzymes musculaires (CPK) permet d’éliminer une cause musculaire et non hépatique à cette élévation des transaminases. L’élévation isolée, persistante et modérée des ASAT peut correspondre à une macrotransaminasémie.

La conduite à tenir devant une perturbation hépatique chez un enfant obèse est résumée dans la figure 1.

 

Figure 1– Algorithme devant une perturbation hépatique chez un enfant obèse.

Diagnostics différentiels : que faut-il rechercher ?

Le bilan sanguin comprend :
• un bilan hépatique (ASAT, ALAT, GGT, bilirubine totale et directe, phosphatases alcalines) ;
• une numération formule sanguine et plaquettes ;
• une évaluation de la tolérance glucidique et de l’insulinorésistance (glycémie et insulinémie à jeun avec calcul de l’index HOMA-IR, voire hyperglycémie provoquée par voie orale et HbA1c) ;
• un bilan lipidique (cholestérol total, HDL-cholestérol, LDL-cholestérol, triglycérides, apolipoprotéines A1 et B, lipoprotéine a) ;
• et un bilan thyroïdien (5). D’autres examens ont pour objectif d’éliminer les principales autres causes de stéatose hépatique (5) :
• cuprémie, céruléoplasmine et cuivre libre plasmatique (maladie de Wilson) ;
• IgA totales et IgA anti-transglutaminase (maladie coeliaque) ;
• test de la sueur (mucoviscidose) ;
• électrophorèse des protides (déficit en a1-antitrypsine) ;
• auto-anticorps des hépatites autoimmunes de l’enfant ;
• sérologie hépatite C ;
• lactate et glycémie à jeun et après repas, ammoniémie, acide urique, acides gras libres et profil en acylcarnitine plasmatique, et éventuellement chromatographie des acides aminés plasmatiques et urinaires, chromatographie des acides organiques urinaires (maladies héréditaires du métabolisme). D’autres explorations pourront être réalisées en fonction du contexte clinique.

Chez l’enfant, de nombreuses maladies métaboliques sont à évoquer devant une stéatose hépatique :
• galactosémie ;
• fructosémie ;
• glycogénose hépatique ;
• anomalies de la b-oxydation des acides gras ;
• maladies peroxysomales ;
• abêtalipoprotéinémie ;
• hypo-bêtalipoprotéinémie ;
• hyperhomocystéinémie ;
• tyrosinémie, acidémie organique ;
• cytopathie mitochondriale ;
• syndrome de Berardinelli-Seip ;
• syndrome de Dorfman-Chanarin…

Des causes toxiques et médicamenteuses sont également à rechercher.

La confirmation du diagnostic

  • Les explorations

Il est important de rappeler que l’échographie recherche un aspect hyperéchogène du parenchyme hépatique en comparaison au parenchyme rénal, évocateur de stéatose (figure 2).

Figure 2– Stéatose hépatique à l’échographie.

Ce n’est pas un examen permettant d’évaluer la fibrose. Par ailleurs, la sensibilité n’est pas très bonne lorsque le pourcentage de stéatose est < 30 %. Cependant, il est possible pour des opérateurs avertis de différencier une stéatose minime (hyperéchogénicité discrète et diffuse), modérée (hyperéchogénicité plus marquée et altération de la visualisation du diaphragme et des limites de la veine porte) et sévère (hyperéchogénicité plus marquée et mauvaise ou absence de visualisation du diaphragme, de la veine porte et de la partie postérieure du lobe droit).

L’IRM est un bon examen, encore plutôt utilisé dans cette indication dans des protocoles de recherche qu’en pratique courante.

  • Les examens sanguins et ionographiques

Différents examens sanguins ou ionographiques permettent une évaluation non invasive de la fibrose comme le Fibroscan®, l’ARFI®, le Fibrotest ®, le Fibromètre®, le NAFLD fibrosis index, l’ELF (European liver fibrosis) index.
D’autres scores évaluent la stéatose et l’inflammation comme le Stéatotest, le Nash Test ou le FibroMax Test. Mais ces tests ne sont pas validés pour être utilisés en pratique clinique chez l’enfant (5).

  • La biopsie hépatique

La confirmation du diagnostic repose donc sur la biopsie hépatique. La valeur prédictive de NASH sans biopsie hépatique n’est que de 56 %. Mais il n’existe pas de recommandations claires pour son indication. Elle peut parfois être utile pour exclure une autre hépatopathie chronique, pour évaluer le risque de progression vers la cirrhose, ou dans le cadre de protocoles de recherche (5). Les NAFLD peuvent évoluer jusqu’à la cirrhose dans 3 à 4 % des cas chez l’enfant.
La fibrose est plus marquée chez des enfants plus jeunes, ayant des GGT plus élevées et une insulinorésistance plus marquée (8). Il existe un score histologique, le NAFLD activity score (NAS), qui permet d’éliminer (NAS < 3) ou d’orienter fortement (NAS ≥ 5) vers une NASH (9). Il est basé sur l’évaluation de la stéatose (notée de 0 à 3), de l’inflammation lobulaire (notée de 0 à 3) et de la ballonisation hépatocellulaire (notée de 0 à 2).
Chez l’enfant, deux types histologiques de NASHont été décrits (8) :

le type 1 associant stéatose, ballonisation hépatocytaire et fibrose péri-sinusoïdale ;
• et le type 2 associant stéatose, inflammation portale et fibrose portale.

La NASH de type 2 est moins fréquente, mais il s’agit du sous-type ayant une fibrose plus avancée.

Le traitement

Actuellement, aucun traitement médicamenteux n’a un niveau de preuve suffisant chez l’enfant ayant une NAFLD. Ces traitements ont pour but d’améliorer l’insulinorésistance, de diminuer la lipotoxicité et le stress oxydant (10).
Il s’agit :
• d’anti-oxydants (acide ursodésoxycholique, vitamine E, bétaïne) ;
• de médicaments diminuant l’insulinorésistance (metformine, thiazolinediones) ;
• voire d’une supplémentation en acides gras anti-inflammatoires (acide docohexaénoïque [DHA]).

Par contre, un traitement hypoglycémiant ou hypolipidémiant peut être nécessaire selon les résultats biologiques.
Seule une correction progressive de l’obésité est efficace, grâce à une prise en charge hygiéno-diététique.
Les principes sont une perte pondérale, très progressive et modérée, et un exercice physique régulier. Il faut conseiller de restreindre les sucres rapides et les acides gras saturés et de favoriser les acides gras polyinsaturés et les fibres.

Conclusion

Les pathologies hépatiques de surcharge en graisses sont les pathologies hépatiques les plus fréquentes. Cependant, il est important de rechercher les diagnostics différentiels car le diagnostic de NAFLD est un diagnostic d’élimination. Dans des circonstances atypiques ou en cas de suspicion de maladie hépatique avancée, une biopsie hépatique peut être indiquée.

Pour en savoir plus…


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