La transplantation de microbiote fécal en pédiatrie

Traitement ancestral d’origine chinoise, la transplantation de microbiote fécal est-elle un traitement d’avenir ? Mise au point sur son utilisation actuelle en pédiatrie.

Dr Alexis Mosca (Gastropédiatre, Hôpital Robert-Debré, Paris)


Un ancien traitement remis au goût du jour

C’est en Chine, au IVe siècle, que l’on entend parler pour la première fois de transplantation de microbiote fécal (TMF), appelée alors la “soupe jaune”. Ce traitement était indiqué, d’après Ge Hong, en cas d’intoxication alimentaire grave ou de diarrhée sévère [1]. Ce traitement reste ensuite assez confidentiel, mais en 1958 est publié le premier cas de TMF dans le traitement d’une colite extra-membraneuse [2]. À partir de ce moment, les “case report” s’accumulent jusqu’à la réalisation d’une étude randomisée en double aveugle [3] qui montre de façon spectaculaire l’efficacité de la TMF pour le traitement de la colite récidivante à Clostridium difficile (CDI). Depuis 2014, ce traitement est présent dans les dernières recommandations européennes [4] et nordaméricaines [5] de prise en charge des CDI.

Récemment, il y a eu une multiplication des essais de TMF pour d’autres indications diverses, y compris les maladies inflammatoires intestinales (MICI), le syndrome de l’intestin irritable (IBS), le syndrome métabolique, les troubles neuro-développementaux, les maladies auto-immunes, les maladies allergiques, les maladies pulmonaires, la constipation et même la prévention du cancer colorectal [6]. À l’heure actuelle, la seule indication validée de TMF reste la CDI, après échec de 2 lignes thérapeutiques différentes.

La TMF en pédiatrie : mythe ou réalité ?

La CDI est un problème beaucoup moins fréquent en pédiatrie. Avant l’âge de 1 an, le Clostridium difficile est considéré comme non pathogène et, entre 2 et 3 ans, sa pathogénicité reste discutée [7]. En pratique, la problématique du Clostridium difficile concerne principalement les enfants souffrant de MICI [8].

  • Russell et al. ont rapporté en 2014 une guérison chez 9 enfants sur 10 avec une CDI, avec un suivi de 1 mois à 4 ans après TMF [9]. Ces résultats ont été ensuite confirmés par Kronman et al. [10].

Quelques expériences de TMF ont été rapportées dans les maladies inflammatoires intestinales.

  • Vandenplast et al. ont publié une expérience positive transitoire de TMF chez un enfant de 1 an ayant une “very early onset colitis” [11]. L’enfant a été asymptomatique et sevré de ses médicaments pour un an, mais a ensuite rechuté et nécessité une colectomie.
  • Les mêmes auteurs ont rapporté une expérience similaire de rémission transitoire chez un garçon de 3 ans qui a été quelques mois sans symptômes après deux administrations provenant d’un même donneur (une par voie duodénale et l’autre par voie colique) [12].
  • Une étude récente sur quatre patients (âgés de 13 à 16 ans), atteints de rectocolite hémorragique, a montré que la TMF n’avait amélioré aucun paramètre [13]. Cependant, ils avaient administré seulement 30 mL (10 g) de matière fécale par sonde naso-gastrique.

Compte tenu du large éventail de maladies qui sont associées à une dysbiose, les indications théoriques de TMF sont nombreuses, telles que les MICI, mais aussi d’autres maladies que les troubles gastro-intestinaux dans lesquelles le microbiote intestinal est perturbé, comme par exemple : les maladies cardiovasculaires, les maladies auto-immunes et des troubles métaboliques [14].

Pour l’heure, aucune donnée scientifique ne peut inciter à proposer la TMF dans ces indications et, à l’instar de l’adulte, la TMF ne peut être considérée chez l’enfant que dans le cadre de la CDI.

La TMF en pratique : pas de consensus, beaucoup de questions…

La TMF consiste à injecter des micro- organismes intestinaux (présents dans une suspension de selles de donneur sain) dans l’intestin d’un patient malade pour rétablir l’équilibre du microbiote intestinal. Des recommandations ont été écrites en France pour assurer le maximum de sécurité dans la sélection du donneur, la préparation et l’administration des selles.

L’ANSM a publié en 2014, puis actualisé en 2015 [15], des recommandations pour la préparation de selles dans le cadre de la recherche clinique.

Récemment, le Groupe français de transplantation fécale (GFTF) a publié des recommandations dans le cadre des soins courants, c’est-à-dire pour le traitement de la CDI [16].

Néanmoins, de nombreuses questions restent pour l’instant ouvertes. Tout d’abord sur le choix du donneur :

– Au-delà de la discussion sur l’exhaustivité des pathogènes à éliminer, l’âge (et le sexe) du donneur est-il à prendre en compte ?

– Faut-il préférer un don anonyme ou dirigé ?

– Faut-il exclure les donneurs ayant des antécédents de maladies connues pour être associées à une dysbiose comme l’obésité, les maladies auto-immunes ?

Ensuite les selles :

– Faut-il utiliser préférentiellement des selles fraîches (émises moins de 6 heures avant le transfert) ou bien des selles congelées [17] ?

Pour finir, le volume à administrer ainsi que la meilleure voie d’administration (par sonde naso-jéjunale, lavement, au cours d’une coloscopie) ne sont pas encore déterminés.

Des risques à prendre en compte

Jusqu’à présent, aucun effet indésirable grave à court terme n’a été rapporté, ce qui est probablement lié à la sélection méticuleuse préalable des donneurs.

La transmission d’agents infectieux inaperçus présents dans les selles du donneur reste un risque et pourrait se produire un jour. Après une TMF, les seuls effets indésirables notés semblent limités à des douleurs abdominales et des ballonnements transitoires. En revanche, pour l’instant aucune étude n’a été en mesure d’évaluer de possibles conséquences de la TMF à long terme [18].

Une observation de prise pondérale après TMF a été rapportée [19], et même si l’imputabilité de la TMF en elle-même paraît faible, la crainte de la transmission d’une pathologie liée à une dysbiose à travers une TMF reste présente.
Cela est d’autant plus vrai chez l’enfant, surtout avant l’âge de 2 ans, alors que le microbiote intestinal n’est pas stabilisé. En effet, alors qu’un microbiote de type adulte est résilient, chez l’enfant, des modifications brutales et précoces du microbiote pourraient avoir des conséquences néfastes à long terme.

Conclusion

À l’heure actuelle, la TMF est le seul traitement qui permet de restaurer un microbiote sain et diversifié en cas de dysbiose. Son efficacité en cas de CDI n’est plus à démontrer. En revanche, dans d’autres indications comme les maladies inflammatoires ou métaboliques dans lesquelles une correction de la dysbiose doit être constamment renouvelée, la TMF n’est pas encore un traitement bien établi. Des études portant sur les problèmes pratiques (selles fraîches/congelées, choix du donneur, etc.) doivent encore être menées avant qu’une réponse consensuelle et définitive ne puisse être apportée à ces questions.
Aujourd’hui, une réglementation rigoureuse, mais pas trop contraignante, est une priorité afin de minimiser le risque d’administration de suspension fécale à partir de donneurs non sélectionnés, à la maison, sans surveillance médicale. À l’heure actuelle, des formes plus “acceptables” de TMF sous forme de lyophilisats ou de gélules [20] sont en cours de développement, en attendant de trouver d’autres moyens de moduler efficacement le microbiote intestinal.

Références

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.


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