L’allaitement maternel exclusif…

L’impact des biberons donnés de façon très occasionnelle et/ou imprévue pendant la période d’allaitement peut jouer un rôle sur le développement des allergies aux protéines de lait de vache. La littérature rappelle l’importance, en cas d’allaitement normalement exclusif, de donner un hydrolysat plutôt qu’un lait infantile à base de protéine de lait de vache et de le faire de manière organisée, voire récurrente le cas échéant, dans le but de réduire l’apparition d’allergie aux protéines de lait de vache (APLV).

 

L’étude Elfe : l’allaitement en France

L’étude Elfe a suivi plus de 18 000 enfants nés en 2011 dans 320 maternités françaises sélectionnées de manière aléatoire. Parmi les 70 % de mères ayant initié un allaitement, la médiane de la durée totale d’allaitement était de 17 semaines et celle de l’allaitement prédominant était de 7 semaines (Fig. 1).

Figure 1 – Prévalence de l’allaitement de la naissance à 12 mois (étude Elfe 2011) (n = 17 567) (1).

La prévalence chutait de 69,7 % à la naissance à 53,8 % à 1 mois, tandis que la prévalence de l’allaitement prédominant passait de 59,5 % à la naissance à 43,2 % à 1 mois. Seuls 19 % des enfants recevaient encore du lait maternel à 6 mois, 9,9 % de manière prédominante.

À 1 an, 5,3 % des nourrissons étaient toujours allaités, 2,9 % de façon prédominante. L’étude conclut que les limites à l’allaitement prolongé sont associées à la fois à la situation familiale, à la situation vis-à-vis de l’emploi, à des facteurs liés à l’éducation et à la culture (1).

Face à ce constat, des études se sont intéressées à l’impact des biberons donnés ponctuellement dans le cadre de l’allaitement exclusif.

Cas clinique et recommandations

La maman de Noé, âgé de 6 semaines, consulte, car elle a l’impression de ne plus avoir assez de lait : son fil tète mal, lâche le sein…

 

a. Les médicaments : mésusage et effets secondaires

Pendant longtemps, certains prokinétiques ont été prescrits hors autorisation de mise sur le marché pour stimuler la lactation. Des doses importantes étaient utilisées (cinq ou six comprimés par jour pendant 5 jours) afin de solliciter les effets secondaires connus de ces médicaments (la galactorrhée), avec des risques pour l’enfant et la mère. Depuis le retrait du métoclopramide, interdit de prescription depuis 2012 chez les enfants, et le déremboursement de la dompéridone chez l’enfant en mars 2017, ces médicaments sont moins prescrits dans cette indication chez la mère allaitante.

b. La bière : de la théorie à la réalité

Si le pouvoir galactogène de la bière est réputé (Fig. 2), il est réel, en théorie :

Figure 2 – Campagne publicitaire de 1910 vantant les qualités nourrissantes de la bière.

Contrairement aux autres alcools, elle augmente modérément la sécrétion de prolactine. Mais les patients testés étaient des hommes sains et des femmes qui ne donnaient pas le sein !

En réalité, les enfants tètent moins : ils consomment moins de lait chez une mère « alcoolisée » que chez une mère qui n’a pas consommé de bière. Les mères ne peuvent pas mesurer la quantité tétée et pensent que leurs seins sont plus remplis grâce à l’ingestion de bière. Mais dans les faits, les seins, moins sollicités, sont plus engorgés, d’où l’impression de montées laiteuses. Les pesées permettent d’évaluer à 20 % le manque à boire pour les nourrissons. L’analyse en vidéo (2) montre des enfants moins goulus sur le sein quand ils absorbent du lait « alcoolisé ».

La bière alcoolisée n’a pas d’effet bénéfique pour la lactation et les risques sont supérieurs aux effets bénéfiques attendus.

c. La position au sein : la priorité

C’est bien entendu la bonne réponse. Les difficultés d’allaitement sont généralement liées à une mauvaise position du bébé lors de la mise au sein. Il est indispensable de rappeler aux mères les bases pour favoriser le bon déroulement de la tétée (Fig. 3) :


Figure 3 – Position idéale de mise au sein du nourrisson (3).

  • les lèvres du bébé sont retroussées sur l’aréole,
  • le mamelon est en font de bouche,
  • la langue recouvre la gencive inférieure et masse par reptation le dessous de l’aréole,
  • le nez et le menton sont en contact avec le sein.

En cas de mauvaise position, les conséquences sont doubles avec une sous-alimentation de l’enfant d’une part, et d’autre part des douleurs pour la mère au niveau des mamelons (Fig. 4).


Figure 4 – Conséquences d’une mauvaise position d’allaitement.

d. Le biberon de complément : une réalité en maternité

Depuis longtemps, le concept du « biberon dangereux » (dangerous bottle) est connu : il s’agit du recours au biberon de lait infantile qui pourrait augmenter le risque d’allergie aux protéines de lait de vache (le « dangerous »). Dans de nombreuses maternités, quand la mère dort ou est fatiguée, que son bébé pleure, il reçoit un biberon de lait infantile. Cet usage du biberon pour des raisons uniquement pratiques est un mésusage. Mais les conséquences potentielles sur le terrain allergique de l’enfant n’ont pas été démontrées (4). Une étude épidémiologique est actuellement en cours au sein du CLAN interpédiatrique de l’APHP.

 

Conclusion

Le tableau 1 résume les différentes études randomisées et contrôlées sur le risque d’allergie aux protéines de lait de vache chez des nourrissons allaités, mais nécessitant un complément transitoire (au lait infantile standard, maternel pasteurisé ou à hydrolysats poussés).

L’étude de Saarinen indique que lorsqu’un biberon doit être donné ponctuellement au cours d’un allaitement exclusif, il est préférable qu’il s’agisse d’un hydrolysat plutôt que d’un lait infantile standard (Fig. 5) (5).


Figure 5 – Schéma d’allaitement maternel.

Le taux d’allergie aux protéines de lait de vache est ainsi diminué. L’étude indique également que l’allaitement maternel exclusif n’élimine pas totalement le risque d’APLV.

 

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts en relation avec cet article.

  1. Wagner S, Kersuzan C, Gojard S et al. Duree de l’allaitement en France selon les caracteristiques des parents et de la naissance. Resultats de l’etude longitudinale francaise Elfe, 2011. BEH 2015 ; 29 : 522-32.
  2. Mennella JA, Beauchamp GK. Effects of beer on brest-fed infants. JAMA 1993 ; 269 : 1637-8.
  3. Annelies Bon. Borstvoeding: het belang van goed aanleggen. Borstvoeding. https://www. borstvoeding.com/artikelen/kindjeaandeborst/ kraamtijd/borstvoeding-het-belang-van-goedaanleggen. html
  4. De Jong MH, Scharp-van der Linden VRM, Aalberse RC et al. Randomised controlled trial of brief neonatal exposure to cows’ milk on the development of atopy. Arch Dis Child 1998 ; 79 : 126-30.
  5. Saarinen KM, Juntunen-Backman K, Jarvenpaa AL et al. Supplementary feeding in maternity hospitals and the risk of cow’s milk allergy: a prospective study of 6209 infants. J Allergy Clin Immunol 1999 ; 104 : 457-61.

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