L’allaitement maternel

La supériorité du lait maternel sur les préparations lactées est admise de tous. L’amélioration récente et encourageante des statistiques concernant l’allaitement maternel en France ne doit pas cacher l’ampleur du travail qui reste à accomplir par les professionnels de santé, pour que toutes les femmes qui souhaitent allaiter leur enfant dans notre pays – près de 80 % selon les enquêtes – puissent le faire, pendant la durée de leur choix.

UN ENVIRONNEMENT DÉFAVORABLE À L’ALLAITEMENT : QUELQUES EXEMPLES

Faire connaître les 10 recommandations de l’OMS

Les 10 recommandations de l’OMS, destinées à permettre un bon démarrage de l’allaitement maternel, et l’initiative “Hôpital ami des bébés”, lancée par l’Unicef en 1991 pour promouvoir les maternités qui remplissent ces 10 conditions, sont totalement inconnues du grand public et peu connues des professionnels de santé (encadré ci-contre). Seules six maternités françaises ont reçu ce label. Les professionnels de santé, en particulier les médecins, ne sont pas assez formés. Les étudiants en médecine n’ont au plus qu’une à deux heures d’enseignement sur ce thème, dont l’intitulé exact est “Allaitement maternel et complications” !

Informer la mère, ne pas la culpabiliser

L’allaitement maternel n’est pourtant pas un mode d’alimentation comparable au biberon : il lui est largement supérieur et, surtout, c’est le mode naturel d’alimentation du jeune enfant, dans la continuité de la grossesse. La décision d’allaiter appartient bien sûr aux parents, sous réserve qu’ils soient pleinement informés des bénéfices de l’allaitement maternel. Le souci, tout à fait légitime, de ne pas culpabiliser les mères qui ne veulent pas allaiter ne justifie pas pour autant l’absence d’information de celles qui envisagent d’allaiter. L’information ne doit pas être trop médicalisée.
Le message doit s’articuler autour de deux axes :

  1.  le lait maternel est le meilleur ;
  2. le geste de l’allaitement est valorisant pour la mère et lui procure un véritable plaisir de rencontre avec le bébé, partagé avec celui-ci.

Une connotation négative en France

La France sort d’une période pendant laquelle l’émancipation de la femme donnait à l’allaitement maternel une connotation d’extrême servitude, alors que, dans les pays du Nord, les mouvements féministes revendiquaient au contraire l’amélioration des conditions de l’allaitement maternel.
Il en a résulté des discours négatifs et des idées reçues, qui renforcent l’émergence de nombreuses peurs chez les mères:

  • abîmer son corps,
  • être envahie par un bébé exigeant,
  • ne pas être “à la hauteur”.

QUELS SONT LES BÉNÉFICES DE L’ALLAITEMENT MATERNEL ?

Ces bénéfices concernent aussi la mère. La perte de poids est plus rapide dans les 6 premiers mois du post-partum. Le risque de cancer de l’ovaire et de cancer du sein est diminué avant la ménopause, alors que la prévalence de l’ostéoporose est réduite après la ménopause. L’influence éventuelle du mode d’alimentation pendant la petite enfance sur l’état de santé et l’apparition de maladies plus tard dans la vie, en particulier à l’âge adulte, est très difficile à démontrer. Pour des raisons éthiques évidentes, il n’est pas question d’envisager des études randomisées comparant l’allaitement maternel et l’alimentation avec un lait artificiel, ce qui induit des biais de recrutement et des variables de confusion : en France, les femmes qui allaitent sont plus volontiers issues de milieux socio-culturels plus favorisés et plus à l’écoute des recommandations de santé.

Il n’y a pas de “mauvais lait”

La composition et la quantité de lait produite au cours de l’allaitement maternel ne sont pas influencées par l’état nutritionnel de la mère, sauf en cas de dénutrition extrême. Toutes les femmes peuvent donc avoir une quantité suffisante de lait si elles sont en confiance.

Les effets sur la croissance de l’enfant

L’allaitement maternel exclusif permet une croissance normale jusqu’à l’âge de 6 mois. A condition d’être complété par la diversification alimentaire à partir de l’âge de 6 mois, il peut être poursuivi, selon les recommandations de l’OMS, jusqu’à l’âge de 2 ans, et davantage sous réserve du souhait du couple mère-enfant.

Prévention des infections : le principal bénéfice

La prévention des infections est de loin le principal bénéfice-santé de l’allaitement maternel, en particulier dans les pays en développement. L’allaitement maternel est associé à un risque plus faible d’otite moyenne aiguë et de diarrhée aiguë d’origine infectieuse, sous réserve d’une durée de l’allaitement maternel d’au moins 3 mois. Cet effet protecteur est présent non seulement dans les pays en développement, mais aussi dans les pays industrialisés.

Allergie : prévention chez les enfants à risque

L’effet préventif de l’allaitement maternel vis-à-vis de l’allergie n’est retrouvé que pour la dermatite atopique chez les enfants à risque d’allergie (ayant un parent du premier degré – père, mère, frère ou sœur – allergique), ce qui représente près de 30 % de la population des nouveau-nés.
Ce rôle protecteur est transitoire, et ne s’exerce que si l’allaitement maternel est exclusif et prolongé durant au moins quatre mois.

Une prévention du surpoids

L’allaitement maternel est associé à une moindre prévalence du surpoids et de l’obésité, avec une réduction du risque de l’ordre de 20 à 25 % pendant l’enfance et l’adolescence, par rapport aux enfants non allaités, et l’intensité de cet effet protecteur est corrélée à la durée de l’allaitement. La poursuite de cet effet bénéfique à l’âge adulte n’a pas été démontrée.

Effets sur la tension artérielle et le taux de cholestérol

Les enfants allaités par leur mère ont, à l’âge adulte, une pression artérielle et une cholestérolémie légèrement plus basses que ceux des enfants non allaités.
Plusieurs méta-analyses ont montré une diminution moyenne de la pression artérielle (PA) systolique de 1,4 mmHg (IC 95 % : – 2,2 à – 0,6 mmHg). La baisse de la PA diastolique est plus faible, mais néanmoins significative (- 0,5 mmHg ; IC 95 % : – 0,9 à – 0,04 mmHg).
Chez le nourrisson, la cholestérolémie est plus élevée chez les enfants qui ont été allaités (différence moyenne = 0,64 mmol/l ; IC 95 % : 0,5 à 0,79 mmol/l), alors qu’à l’âge adulte, la cholestérolémie est plus basse en cas d’allaitement maternel (différence moyenne = – 0,18mmol/l ; IC 95%: – 0,30 à – 0,06 mmol/l). Tout se passe comme si les apports élevés de cholestérol à la période initiale de la vie constituaient un stimulus nutritionnel qui enclencherait une programmation de la régulation de l’activité de l’HMG-CoA réductase ou des récepteurs du LDL-cholestérol, persistant à long terme.
Cependant, il n’a pas été démontré que ces effets favorables sur la pression artérielle et la cholestérolémie influencent de façon bénéfique la morbidité et la mortalité cardiovasculaires à l’âge adulte.

Les autres bénéfices possibles

  • L’effet protecteur possible de l’allaitement maternel dans la prévention du diabète de type 1 reste l’objet de débat. S’il existe, cet effet a d’autant plus de chances de se manifester qu’il s’agit d’enfants ayant un très fort risque génétique de diabète, par leur appartenance à un groupe HLA à haut risque.
  • Le risque de maladie cœliaque est réduit de moitié chez les enfants qui sont allaités au moment de l’introduction du gluten, mais il est impossible d’affirmer s’il s’agit d’une réelle protection au long cours et non d’un simple retard de l’apparition des symptômes.
  • Les données concernant l’effet protecteur contre les leucémies, les cancers et les maladies inflammatoires du tube digestif sont controversées.

Des effets cognitifs, directs ou indirects

Quelles qu’en soient les raisons, psycho-affectives, nutritionnelles ou environnementales, l’allaitement maternel est associé à un bénéfice sur le plan cognitif, certes modeste – quelques points de quotient de développement – mais il serait dommage de ne pas en faire bénéficier l’enfant, d’autant qu’il persiste à l’âge adulte.

Y A-T-IL DES CONTRE-INDICATIONS À L’ALLAITEMENT MATERNEL ?

Les contre-indications de l’allaitement maternel sont en fait très rares :

  • infection par le virus du VIH ;
  • maladie cardiovasculaire ou respiratoire sévère ;
  • hémopathie ou cancer en cours de traitement chez la mère ;
  • galactosémie chez l’enfant.

L’institution d’un traitement médicamenteux est une cause fréquente d’arrêt abusif de l’allaitement chez la mère. Malgré le passage quasi constant dans le lait des médicaments consommés par la mère, très peu d’entre eux sont incompatibles avec la poursuite de l’allaitement : antimitotiques, immunosuppresseurs, dérivés de l’ergotamine, iode radioactif, lithium, amphétamines, antithyroïdiens de synthèse et drogues hallucinogènes.

QUELLE SUPPLÉMENTATION POUR L’ENFANT ALLAITÉ ?

Le lait de femme est pauvre en vitamines D et K, et la flore intestinale de l’enfant allaité est peu apte à synthétiser de la vitamine K. Une supplémentation de l’enfant est nécessaire en vitamine D (800 à 1 000 UI/jour) et vitamine K (2 mg/semaine tant que l’allaitement maternel est exclusif).

LES GRANDES LIGNES D’ACTION

La mobilisation des maternités est essentielle pour améliorer la mise en route de l’allaitement et préparer le retour à domicile, en relation étroite avec les médecins de famille, les organisations de soutien à l’allaitement et les services de PMI.
Les professionnels de santé qui interviennent après la sortie de maternité doivent aussi se mobiliser, et donc d’abord se former. Il est totalement inutile de souligner l’intérêt de l’allaitement maternel s’il est présenté dans le même temps comme une simple, voire banale, alternative au biberon, si les contre-indications abusives persistent et si la mise en route de l’allaitement maternel ne fait pas l’objet d’une attention toute particulière. Malheureusement, il est encore plus simple pour beaucoup de professionnels de santé d’arrêter abusivement l’allaitement maternel que de chercher le conseil adéquat pour permettre à la mère de le poursuivre.
Dans ce cadre, les associations de soutien à l’allaitement contribuent très largement au succès de l’allaitement après le retour à la maison. Il est fondamental de reconnaître le travail de soutien de ces associations, de les aider dans leur fonctionnement quotidien et ne pas hésiter à avoir recours à leur expertise, y compris quand on est un professionnel de santé, ce qui n’est pas si facile…

LES CHIFFRES

EN FRANCE :

Le taux d’allaitement maternel à la sortie de la maternité n’était que de 60 % en 2005, avec de fortes disparités régionales.

A L’ÉTRANGER :

  • Ce taux est de plus de 90 % au Danemark, en Finlande, Norvège, Suède et Suisse
  • 85 % en Allemagne
  • 75 % en Italie
  • et 70 % au Royaume-Uni.

L’INITIATIVE “HÔPITAUX AMIS DES BÉBÉS”

Lancée en 1991 par l’OMS et l’UNICEF.

Pour permettre un démarrage satisfaisant de l’allaitement, les établissements hospitaliers sont invités à suivre dix conditions :

  1. Adopter une politique d’allaitement maternel formulée par écrit.
  2. Donner à tous les membres du personnel soignant les compétences nécessaires pour mettre en œuvre cette politique.
  3. Informer toutes les femmes enceintes des avantages de l’allaitement maternel.
  4. Aider les mères à commencer d’allaiter dans la demi-heure suivant la naissance.
  5. Indiquer aux mères comment pratiquer l’allaitement au sein.
  6. Ne donner aux nouveau-nés aucun aliment ou aucune boisson autre que le lait maternel, sauf indication médicale.
  7. Laisser l’enfant avec sa mère 24 heures par jour.
  8. Encourager l’allaitement au sein à la demande de l’enfant.
  9. Ne donner aux enfants nourris au sein aucune tétine artificielle ou sucette.
  10. Encourager la constitution d’associations de soutien à l’allaitement maternel et leur adresser les mères dès leur sortie de l’hôpital ou de la clinique.

De plus, les hôpitaux ne doivent pas distribuer gratuitement des préparations pour nourrissons aux familles.

À RETENIR

  • L’allaitement maternel est une pratique intime, une pratique culturelle à replacer dans l’histoire de notre société.
    C’est un droit fondamental à protéger et développer.
  • La promotion de l’allaitement maternel, qui est un objectif spécifique du programme national nutrition-santé (PNNS) lancé en 2001, est aussi une priorité de santé publique, le but recherché étant une meilleure santé de la mère et de l’enfant. Il serait dommage que de nombreux nourrissons et leurs mères continuent à en être privés en raison du manque d’informations, de conseils et de soutien.
  • Un “frémissement” en faveur de l’allaitement maternel est palpable depuis quelques années dans notre pays. Le but est que 100 % des femmes qui souhaitent concrétiser un projet d’allaitement puissent effectivement y parvenir pendant la durée de leur choix.
    C’est en tout cas notre devoir de professionnel de santé de les informer des avantages de ce projet, et de les soutenir sans relâche si elles le décident.

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