L’allergie aux protéines du lait de vache chez le nourrisson

L’allergie aux protéines du lait de vache (APLV) est probablement l’allergie alimentaire la mieux connue. Elle correspond à l’absence d’acquisition de la tolérance aux protéines du lait de vache par hypersensibilité immunologique ou non. Elle se révèle en général au cours de la première année de vie.

Définition

L’allergie au lait de vache est définie par une réaction adverse immunologique, qui peut être “IgEdépendante” (sensibilité de type immédiate) ou “non IgE-dépendante” (1). Les autres formes d’intolérance aux produits laitiers sont les intolérances au lactose, qui sont rares à cet âge de la vie.

Les chiffres

L’allergie aux protéines du lait de vache est la première allergie alimentaire à apparaître chez le nourrisson. Elle représente 8 à 12 % des allergies alimentaires du nourrisson (2).
Dans la population générale, l’incidence de l’allergie aux protéines du lait de vache varie de 0,1 à 7,5 %, selon les études (3). La prévalence cumulée de l’allergie aux protéines du lait de vache est plus élevée chez le nourrisson ; elle est estimée à 2,5 % chez les enfants âgés de moins de 2 ans (4).
Le risque de développer une APLV est augmenté de 20-35 % si l’un des parents est atopique, et de 40 à 60% si les deux parents le sont (5).

Quels sont les signes cliniques ?

L’allergie au lait a de nombreuses expressions cliniques. Certaines sont plus spécifiques du petit nourrisson. Il est classique d’énumérer (5) :

  • les signes digestifs (régurgitations, vomissements, diarrhée, constipation…), présents dans 50 à 60 % des cas ;
  • les signes cutanés (dermatite atopique, gonflement des lèvres ou des paupières, urticaire), également présents dans 50 à 60 % des cas ;
  • les signes respiratoires (rhinorrhée, toux chronique, sifflements), présents dans 20 à 30 % des cas ;
  • et les réactions anaphylactiques.

L’APLV est considérée comme sévère si les symptômes influent sur le développement de l’enfant (diarrhée ou vomissements chroniques, refus d’alimentation, anémie, hypoalbuminémie, entéropathie ou colite sévères) ou s’ils mettent en jeu le pronostic vital (réaction anaphylactique, œdème laryngé) (5).

En pratique, quand penser à une allergie au lait de vache ?

Il faut savoir penser à une allergie au lait de vache chez un nourrisson âgé de moins de un an qui ne grossit pas bien, dort mal, vomit beaucoup, ou est “irritable”.
Parfois, il s’agit d’un eczéma sévère qui ne disparaît pas malgré les traitements.
Il est plus facile de penser à une APLV lorsque les signes apparaissent rapidement, dans les minutes ou les heures suivant la consommation de lait ou de produits laitiers (vomissement ou diarrhée aigue, urticaire, œdème, malaise), mais elle peut se révéler plus tardivement, dans les semaines ou mois suivant le début de leur introduction (dermatite atopique, installation de troubles digestifs comme une diarrhée chronique, des coliques, un RGO…, ou de troubles respiratoires).
A noter également, l’APLV est possible lors d’un allaitement maternel, car toutes les protéines alimentaires, dont celles du lait de vache, passent dans le lait maternel.

 

Comment faire le diagnostic ? (5)

La meilleure des explorations comporte :

  • des tests cutanés (prick tests) d’allergie au lait de vache ;
  • un dosage des IgE spécifiques (lait, alpha-lactalbumine, bétalactoglobuline et caséine) ;
  • et les effets positifs d’un régime d’éviction des protéines du lait de vache mené pendant 2 semaines lorsque le nourrisson présente des signes respiratoires, ou 4 semaines lorsqu’il s’agit de symptômes digestifs ou cutanés.

Le suivi des concentrations des IgE spécifiques est important pour déterminer le pronostic de l’APLV. Une diminution dans le temps des taux d’IgE spécifiques est corrélée avec l’acquisition d’une tolérance. Ces tests sont parfois négatifs au moment des premiers symptômes et il faut savoir les répéter. Les résultats ne sont pas corrélés à la gravité des signes.

  • L’atopy patch test au lait de vache, commercialisé sous le nom de Diallertest®, est utile en seconde intention, en cas de négativité des autres tests cutanés (prick tests) et du dosage des IgE spécifiques.

Que faire en pratique de ville ?

  • Un test multi allergénique (Phadiatop Nourrisson® comportant le lait de vache) est très utile en première intention :
    – en cas de positivité, les explorations sont poursuivies par un dosage unitaire des IgE spécifiques pour les différentes protéines du lait de vache ;
    – en cas de négativité, d’une forte suspicion d’APLV, et en présence de signes retardés, le Diallertest® peut être utilisé.
  • L’étape suivante correspond à rechercher la disparition des symptômes sous régime d’éviction des PLV. En l’absence d’efficacité, à 2 semaines dans le cas où le nourrisson présente des signes respiratoires ou 4 semaines en cas de symptômes digestifs ou cutanés, les PLV seront réintroduites dans l’alimentation du nourrisson (5).

En cas de persistance des symptômes, un autre diagnostic doit être recherché : il faut alors savoir demander un avis spécialisé.

Le test de provocation orale (TPO)

C’est le test de référence pour le diagnostic (5).
Il reproduit l’histoire clinique en administrant des quantités croissantes de lait jusqu’à la dose habituellement consommée, sous couvert d’une surveillance rigoureuse.
Le TPO est impérativement réalisé dans des structures hospitalières aptes à prendre en charge des réactions allergiques graves, avec un personnel médical et non médical hautement spécialisé.
Le test de provocation par voie orale, parfois appelé “réintroduction”, est effectué après 6 mois d’exclusion des protéines du lait de vache.
Les objectifs du test de provocation par voie orale et de la réintroduction sont en fait différents. Le test de provocation par voie orale authentifie l’allergie aux protéines du lait de vache et la réintroduction démontre la tolérance aux protéines du lait de vache. Selon les études, seulement 8 à 30 % des cas d’allergie aux protéines du lait de vache soupçonnées par la clinique et/ou la biologie sont confirmées par le test de provocation par voie orale (1, 5).

Quelle prise en charge ?

Régime d’éviction + préparation de substitution

La prise en charge d’une APLV prouvée (5) repose sur le régime d’éviction:

  • du lait,
  • des dérivés et autres protéines de lait d’origine animale.

La croissance des nourrissons âgés de moins de un an est assurée par l’utilisation d’une préparation thérapeutique de substitution qui a démontré sa bonne tolérance par au moins 90 % (intervalle de confiance de 95 %) des nourrissons APLV (6). Ces critères sont validés pour certains hydrolysats extensifs de protéines (HeP) basés sur des protéines solubles, la caséine, ou d’autres sources protéiques et pour les formules à base d’acides aminés de synthèse (AAS) (Tableau 1). De même, l’AAS est préconisé en cas d’allergie aux hydrolysats de protéines (à évoquer en cas de persistance des symptômes sous hydrolysats poussés) ou d’allergies multiples. Le coût de l’acide aminé de synthèse est à mettre en balance avec celui des hospitalisations, des explorations, et de la morbidité secondaire au retard de prise en charge (2).

 

Dans les formes sévères

Les formes sévères d’APLV justifient un avis spécialisé et une substitution d’emblée par un AAS.
Certaines de ces réactions sévères (5) impliquent une prise en charge en urgence ou en service spécialisé : diarrhées ou vomissements importants, anémie, hypoalbuminémie, entéropathies ou colites sévères, dermite exsudative, dermite atopique, laryngoedème, obstruction bronchique, choc anaphylactique.

Attention aux autres laits d’origine animale et aux laits végétaux

Les laits de chèvre, de brebis, d’ânesse, de jument, ainsi que les boissons à base de riz, d’amande, de quinoa, de châtaigne, de noisette… ne doivent pas être utilisés. Ils sont aussi allergisants que le lait de vache. Ils sont aussi inadaptés à la croissance des nourrissons et peuvent entraîner des carences.
Les formules à base de soja sont déconseillées avant l’âge de 6 mois. Au-delà de cet âge, elles peuvent être utilisées en l’absence d’alternative (exemple du nourrisson refusant l’hydrolysat).

Allaitement : le “gold standard”

L’allaitement exclusif pendant au moins les quatre premiers mois de vie avec éviction des protéines de lait de vache et des aliments réputés allergéniques de l’alimentation de la mère est le gold standard pour prévenir d’APLV.
En cas d’alimentation mixte, la poursuite de l’allaitement maternel est possible en réalisant le régime d’éviction chez la mère allaitante.

L’évolution

L’allergie au lait de vache est surtout présente dans les premières années de vie. Elle persiste rarement tout au long de la vie. Il est classique de dire que 90 % des allergies au lait de vache sont guéries avant l’âge de 15 ans. Néanmoins, ces enfants pourront développer d’autres manifestations atopiques. Classiquement, les allergiques au lait de vache développeront d’autres allergies alimentaires (18 % des cas), un asthme (41 % des cas) et une rhinite allergique (31 % des cas) (4).
Les formes non IgE-dépendantes ont un meilleur pronostic et sont plus rarement associés au développement d’autres manifestations atopiques (6). Mais il faut savoir que certains nourrissons peuvent présenter une évolution d’une forme non IgE-dépendante vers une forme IgE-dépendante, avec un risque de développer des manifestations allergiques à distance.
Le suivi d’un nourrisson allergique aux protéines du lait de vache comporte tous les 6 mois un test de réintroduction jusqu’à la guérison, en fonction de l’histoire clinique et de l’évolution des IgE spécifiques. Un suivi est également indispensable pour dépister le développement d’autres allergies respiratoires ou alimentaires.

À retenir

  • L’allergie aux protéines du lait de vache est la première allergie alimentaire à apparaître chez le nourrisson.
  • Les symptômes digestifs et l’eczéma sont fréquents chez le nourrisson.
  • Néanmoins, le diagnostic est difficile et les tests d’allergie ne sont pas toujours positifs dès que le diagnostic est évoqué. Les tests d’allergie sont à adapter aux symptômes.
  • Le pronostic est globalement bon et la guérison est obtenue chez 90 % des enfants avant l’âge de 15 ans.
  • Le traitement repose, quelle que soit la forme immunologique, sur une exclusion de toutes les protéines bovines et un remplacement assuré par les hydrolysats extensifs de protéines. Les laits d’autres espèces animales sont contre-indiqués en cas d’allergie prouvée au lait de vache ; prudence également avec les laits végétaux.

 

Pour en savoir plus


Publié

dans

par