Le développement de nouvelles allergies chez l’enfant

Hypothèses sur la physiopathologie de la marche atopique

La prévalence des maladies allergiques chez l’enfant ne cesse d’augmenter. Plusieurs études bien menées ont essayé de comprendre le rôle des facteurs influençant cette augmentation. Mais les résultats sont contradictoires. Nous avons encore 2 millions de patients asthmatiques en France, avec presque 2 000 décès par an. La marche atopique est la carrière de l’allergique qui débute au moment de la conception. Nous avons peut-être tous un terrain génétique nous prédisposant pour devenir allergique un jour, mais l’épigénétique et l’environnement jouent également un rôle important (1). Plusieurs équipes mondiales ont essayé de comprendre l’effet de la pauvreté, le fait d’habiter en ville ou à la campagne, le rôle de la migration dans les deux sens, le rôle de la pollution et le type d’alimentation (2).

L’équipe de Bruges a étudié l’effet de la prédisposition génétique (mutation de la filagrine) ainsi qu’une interaction avec l’environnement qui conduisent vers l’eczéma, qui rend à son tour la peau fragile pour l’entrée par ce biais de beaucoup d’allergènes. Le système immunitaire va accueillir ces corps étrangers et réagir en cascade inflammatoire, qui se terminera par la provocation des allergies alimentaires puis de rhinites et d’asthme (3-4). L’eczéma est donc probablement la porte d’entrée dans la marche atopique.

Les allergènes

Les moisissures et les acariens

Trop d’humidité ou de chaleur dans un logement favorisent la prolifération d’acariens (animaux microscopiques de la famille des araignées qui provoquent des problèmes respiratoires ou des troubles oculaires chez les personnes sensibles), de moisissures (champignons microscopiques) et de cafards (blattes) (5-7).

Le tabac

L’exposition prénatale au tabac et à la naissance augmente le risque de siffler chez le nouveau-né de 20 %. Le tabac est le premier polluant de l’air intérieur, pour le fumeur comme pour son entourage. Ouvrir la fenêtre pour écarter les risques n’est pas suffisant, car les rideaux, les tapis et la moquette absorbent les composants de la fumée qui sont ainsi encore émis une fois la fenêtre fermée.

La pollution

La pollution augmente l’inflammation des voies respiratoires et les exacerbations. Des études en épigénétique ont démontré que les particules fines (diesel) augmentent l’hyperméthylation (et donc perturbent l’expression) des gènes Foxp3, qui codent pour des marqueurs des lymphocytes T essentiels à l’acquisition de leurs propriétés régulatrices. (8-9).

Les composés organiques volatils (COV)

Les COV sont des produits toxiques qui s’évaporent dans l’air à température ambiante. Certains ont une forte odeur (peintures, laques, etc.), mais d’autres sont totalement inodores (mobiliers, produits de nettoyage ou d’hygiène, cosmétiques, etc.). Leurs effets sur la santé sont réels : irritations, nausées, maux de tête, troubles du système respiratoire. Dans cette longue liste, on trouve le benzène, le styrène, le toluène, le formaldéhyde, les éthers de glycol…

Le monoxyde de carbone

L’exposition au monoxyde de carbone est à l’origine d’irritations des muqueuses et peut provoquer des allergies, une gêne respiratoire, des cancers du rhinopharynx ou des leucémies, voire un décès en cas d’expositions longues et prolongées.

Les produits de la maison

Les produits censés assainir notre environnement figurent parmi les plus grands pollueurs de l’air intérieur et contiennent parfois des substances très toxiques. Les antimites, les antiparasitaires, les insecticides et les produits d’entretien du bois, les parfums d’intérieur, les bâtons d’encens, les bougies parfumées… Un bon nombre d’entre eux dégagent des substances toxiques comme l’hydroxy-citronelle et l’aldéhyde-cynamique. Toutes les classes d’additifs alimentaires sont concernées (colorants, antioxydants, révélateurs de goût, émulsifiants et stabilisants).

Ces produits posent un réel problème de diagnostic, car toutes les réactions allergéniques sont perturbées.

Facteurs de risque ou de prévention

L’obésité

Des études en méta-analyse ont prouvé une association épidémiologique entre asthme et obésité. Il faudrait essayer de développer une stratégie de santé publique et de prévention (10).

L’allaitement maternel

Le consensus actuel est d’encourager l’allaitement maternel pour tous les enfants durant les 4 à 6 premiers mois de vie, encore plus quand il y a des antécédents d’allergie chez les parents. Ceci sans preuve tangible sur la durée de l’allaitement maternel et la prévention du développement des maladies allergiques (impossible de faire des études randomisées) (11-12).

Si l’allaitement maternel n’est pas possible, les enfants à risque doivent recevoir un hydrolysat pendant les 4 premiers mois de vie. L’étude GINI a montré une efficacité sur la prévention de l’eczéma, mais peu d’effets protecteurs sur la rhinite allergique et l’asthme (13-15).

La diversification

Les études récentes ont démontré l’absence d’intérêt préventif allergique s’il y a retardement de la diversification après l’âge de 4 mois et un risque de choc anaphylactique si diversification après 6 mois (16-18).

La supplémentation en pré et probiotiques

Des études ont prouvé que le risque allergique est plus élevé chez les enfants qui sont nés par césarienne (flore intestinale défavorable). Des essais avec supplémentation menés chez des enfants à haut risque ont montré un effet bénéfique sur l’eczéma sévère (biais de sélection). D’autres études utilisant des probiotiques en prénatal ont conclu à un effet bénéfique sur la prévention de l’eczéma et la diminution des IgE totales, mais pas sur le sifflement ou l’asthme (19-21).

Les autres supplémentations

Des études ont démontré que le manque de vitamine C pourrait provoquer une augmentation de l’eczéma et de l’asthme du nourrisson (à 1 an), et le manque de vitamine A, D et E pendant la grossesse pourrait être associé à l’augmentation de sifflement chez le nourrisson, avec risque d’asthme plus tard (22-23).

Les virus et les vaccins

Le virus respiratoire syncytial (VRS) pourrait provoquer une hyperréactivité bronchique et se transformer en asthme plus tard, d’où l’intérêt d’utiliser le palivizumab (Synagis®) chez l’enfant prématuré avec dysplasie bronchopulmonaire, sans oublier d’évaluer l’impact du terrain génétique familial (24-25).

Le rhinovirus augmente le risque de survenue d’asthme, avec une synergie entre ces infections et le terrain allergique, augmentant les exacerbations d’asthme, d’où l’intérêt d’un vaccin anti-rhinovirus à développer (26-29).

Concernant la grippe : aucun intérêt du vaccin anti-grippal dans la prévention primaire de l’asthme, mais intérêt prouvé dans la prévention secondaire des exacerbations d’asthme (27).

Les infections bactériennes

Des études rétrospectives ont démontré un risque plus élevé de développer un asthme chez les enfants qui ont reçu des antibiotiques tôt dans leur vie intra ou extra-utérine, et cela à cause de la perturbation de la colonisation bactérienne générale (30).

Prise en charge

Les médicaments

Les corticoïdes inhalés lors des infections virales chez les asthmatiques sont bénéfiques et le traitement intranasal a montré une efficacité sur l’hyperréactivité bronchique mais pas sur la prévention d’asthme. De même, il n’existe pas d’effets protecteurs des anti-H1 dans le développement de l’asthme (31).

Les émollients ont un rôle dans la reconstruction de la barrière cutanée pour éviter que la peau soit une porte d’entrée pour d’autres allergènes et accélérer la marche atopique vers l’asthme et les allergies alimentaires multiples, avec un effet synergique en cas d’association avec les corticoïdes locaux.

Les nouveaux traitements comme les anticorps monoclonaux anti-IgE diminuent le risque des exacerbations d’asthme allergique, mais ce traitement est cher et nécessite des injections mensuelles. Il a un effet rémanent après l’arrêt du traitement en réduisant le remodelage définitif des bronches. Cependant, ces nouveaux traitements n’ont pas de rôle dans la prévention primaire (32).

L’immunothérapie spécifique

La désensibilisation a fait ses preuves dans l’amélioration des symptômes allergiques (prévention tertiaire).

Des études sont en cours concernant son recours dans la prévention primaire de l’asthme chez les jeunes enfants (33-34).

L’immunothérapie spécifique sublinguale et l’immunothérapie spécifique sous-cutanée sont efficaces dans l’amélioration des symptômes des allergies respiratoires. C’est le seul traitement qui pourrait changer l’histoire naturelle des allergies respiratoires.

Les stratégies de prévention

Objectif : éducation générale de santé et du bien-être comme interdire simplement le tabac pendant la grossesse et à la naissance.

Prévention primaire

La prévention primaire doit être faite pour les bébés à haut risque (avoir un parent ou les deux avec un terrain allergique) avec :

  • la prévention anténatale : actions chez la femme enceinte atopique ;
  • la prévention post-natale : limiter le taux d’exposition aux allergènes, rappeler le rôle des infections virales et du tabagisme passif.

Prévention secondaire

La prévention secondaire après l’apparition des premiers signes de sensibilisation (eczéma, wheezing…) est utile pour diminuer le passage vers une rhinite allergique ou de l’asthme.

Prévention tertiaire

Assainissement de l’environnement, réduction des acariens : literie (housses), lavages à 60 °C, pas de peluches dans le lit, utilisation des aspirateurs à filtre HEPA (piégeant les particules de toute petite taille) et contrôle des températures (19-20°), du taux d’humidité et réduction des allergènes d’origine animale.

Conclusion

La marche atopique est la succession de plusieurs maladies allergiques dans l’enfance, débutant par un eczéma, suivi par des allergies alimentaires et, enfin, par des allergies respiratoires allant de la rhinite à l’asthme allergique. Pour éviter le passage d’une rhinite allergique à un asthme allergique, une désensibilisation est préconisée.

Tous les enfants allergiques n’entrent pas dans la marche atopique. Mais tout nourrisson qui présente une allergie précoce et/ou sévère et/ou plusieurs allergies doit bénéficier d’une prise en charge spécialisée.

On a longtemps pensé que l’eczéma était la traduction d’une allergie alimentaire. En fait, c’est tout l’inverse. C’est parce que la peau présente des déficiences qu’une allergie alimentaire va pouvoir s’installer.

Éviter la marche allergique, c’est aussi empêcher le passage d’une seule allergie à plusieurs allergies, car cela va souvent de pair avec la sévérité de l’évolution.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.


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