Le reflux gastro-oesophagien du nourrisson

Le reflux gastro-oesophagien (RGO) du nourrisson représente une cause fréquente de consultation médicale dans les premiers mois de la vie. Qu’il s’agisse de reflux non compliqué, dit physiologique (régurgitations), ou de reflux compliqué de manifestations digestives ou extra-digestives (ORL, respiratoires…), les symptômes sont souvent mal évalués par les parents et la prise en charge médicale parfois inadéquate.
Une étude observationnnelle récente (1) réalisée aux Etats-Unis auprès des pédiatres a montré une large inadéquation entre les pratiques et les recommandations des sociétés savantes. L’augmentation importante du nombre de prescriptions de prokinétiques et, plus récemment, d’inhibiteurs de la pompe à protons, dans la tranche d’âge de 1 mois à 1 an, traduit-t-elle une épidémie de RGO ou est-elle la traduction d’un phénomène culturel ou médical nouveau ? Cette mise au point vise à rappeler les données épidémiologiques, physiopathologiques et l’approche thérapeutique médicamenteuse et nutritionnelle du reflux gastro-oesophagien du nourrisson.

 

 

Les chiffres

La prévalence des régurgitations varie  de 18 % à 50 % de l’ensemble des nourrissons.
Le pic maximal de fréquence (67 %) est atteint vers l’âge de 3-4 mois, avec une diminution progressive dans la première année de vie, atteignant moins de 5 % de l’ensemble des nourrissons entre 13 et 14 mois (2, 3, 5). L’immaturité du système anti-reflux, associé à la nature liquide de l’alimentation, ainsi que des anomalies de la vidange gastrique sont autant de facteurs contribuant à l’importance du reflux chez le nourrisson. Cette immaturité anatomique témoigne de la prévalence plus importante du reflux chez les nouveau-nés prématurés et/ou hypotrophes. L’évolution du RGO du nourrisson est, dans la plupart des cas, favorable, avec une amélioration lors de l’acquisition de la marche en rapport avec une maturation physiologique de la barrière anti-reflux.

Histoire naturelle du RGO

Les travaux les plus importants concernant l’histoire naturelle du RGO chez le nourrisson sont ceux du Dr Nelson (suivi de 155 nourrissons pendant un an) (2) et ceux du Dr Martin (suivi longitudinal de 693nourrissons de la naissance à 9 ans) (4).
L’étude réalisée par l’équipe de Martin est très intéressante car elle démontre qu’à l’âge de 9 ans, 12 % des enfants de leur cohorte présentent au moins un symptôme de reflux.
Ceci témoigne du fait que le reflux, dans 1 cas sur 8, même après avoir disparu dans la première année de vie, est susceptible de se manifester de nouveau à l’adolescence.
Le facteur pronostique de reflux secondaire identifié dans cette étude était la durée prolongée du RGO (supérieur à 3 mois) pendant la première année de vie (RR = 2,3 ; IC 95 % : 1,3-4).
D’autres facteurs, tels le tabagisme passif et l’existence d’un RGO dans la famille, sont également reconnus comme facteurs de risque de reflux chez l’enfant et l’adolescent.
Cette prédisposition familiale fait intervenir la notion de susceptibilité génétique, mais, à ce jour, aucun gène n’est retrouvé de manière constante dans les études familiales.

L’approche diagnostique

Les vomissements ou les régurgitations sont, dans la majorité des cas, les symptômes qui amènent les parents à consulter.

L’évaluation initiale

  • Elle vise à préciser l’intensité et le retentissement du reflux. L’estimation précise des volumes est parfois difficile, les parents ayant toujours tendance à surestimer de 5 à 6 fois les quantités de lait extériorisé par le nourrisson.
  • La recherche de signaux d’alarme revêt une place particulière dans le bilan initial, ainsi que le suivi :
    – mauvaise croissance pondérale,
    – pleurs excessifs,
    – signes d’atteinte respiratoire,
    – toux chronique,
    – perturbation du sommeil,
    – hématémèse.
  • Le retentissement du reflux est également important à préciser et ce, d’autant plus qu’il y a souvent une intrication entre pleurs, régurgitations et stress parental. Ce retentissement permet de distinguer les nourrissons qui présentent un “reflux bien vécu”, connus de la littérature médicale sous le terme de happy spitters, de ceux qui présentent un “reflux mal vécu”, connus sous le terme de distressed infant.
  • Les modalités d’alimentation (type, quantités, modes de préparation et d’administration des biberons) et les conditions d’environnement (couchage, tabagisme passif) sont également importants à détailler.

L’histoire clinique et un examen clinique suffisent à faire poser le diagnostic de RGO physiologique chez un nourrisson floride. Cela justifie simplement des mesures de réassurance, des mesures hygiéno-diététiques et de guidance parentale.
Selon une récente publication (5), le diagnostic de régurgitations physiologiques est posé si les critères suivants sont retrouvés chez un nourrisson âgé de plus de 3 semaines, bien portant par ailleurs :

  • au moins 2 régurgitations/j, pendant 3 semaines au minimum ;
  • en l’absence de :
    – nausées,
    – hématémèse,
    – apnée,
    – stagnation/retard de la croissance,
    – dysphagie/fausses routes,
    – posture anormale.

Quand demander des examens complémentaires ?

Dans les autres cas, l’existence de signaux d’alerte peut pousser à la réalisation d’examens complémentaires qui sont décrits ci après, avec leurs indications.

La pH-métrie œsophagienne des 24 heures

Cet examen peu invasif permet de quantifier les épisodes de reflux acides et leur intensité. Il permet de mesurer :

  • l’index de reflux,
  • le nombre de reflux prolongés,
  • la clairance œsophagienne,
  • et la corrélation éventuelle avec des symptômes cliniques.

L’intérêt de cet examen réside dans la mise en évidence de reflux acides non extériorisés. A l’inverse, les reflux alcalins ou à pH neutre ne sont pas détectables.

La fibroscopie œsogastroduodénale

Cet examen invasif permet de rechercher :

  • une œsophagite macroscopique,
  • ou microscopique.

Il peut également mettre en évidence des malformations anatomiques, telles une hernie hiatale ou une sténose œsophagienne.
La fibroscopie œsogastroduodénale est réalisée chez le nourrisson avec ou sans sédation, selon les équipes.

Le transit œsogastroduodénal

Cet examen, qui est très souvent abusivement prescrit, est un mauvais outil diagnostique de reflux (dans une étude réalisée par le groupe nord-américain de gastropédiatrie, il représentait 45 % des examens prescrits en première intention dans l’exploration du RGO chez le nourrisson). Les faibles sensibilités et spécificité, ainsi que le caractère irradiant (49 à 83 cGy/cm2) font réserver cet examen à la recherche de malformation anatomique dans le bilan de vomissements et dans le bilan préopératoire d’un reflux sévère.
Il n’est donc pas utile pour poser le diagnostic de RGO, comme c’est souvent prescrit.

L’échographie œsophagienne et la manométrie œsophagienne

Elles représentent des examens marginaux dans l’exploration du reflux et ne sont pas utiles pour poser le diagnostic de RGO chez le nourrisson.

Les différentes approches thérapeutiques

Plusieurs lignes de traitement sont disponibles dans l’arsenal thérapeutique du RGO compliqué. L’importance des mesures de posture et des modifications diététiques est soulignée par le Dr Bocquet dans l’article sur les conseils de nutrition et de puériculture (page 15).

Les traitements médicamenteux ont différents sites d’action :

  • certains agissent sur la vidange gastrique;
  • d’autres renforcent le tonus du sphincter inférieur de l’œsophage ;
  • et d’autres enfin interviennent sur l’acidité gastrique, soit en tamponnant l’acidité, soit en bloquant la production en amont.

Le traitement médicamenteux

Les médicaments prokinétiques

  • Dompéridone

Une méta-analyse, réalisée en 2005 (7), a permis d’identifier quatre études randomisées versus placebo parmi lesquelles deux études anciennes (1979) de faibles effectifs prouvant une efficacité du dompéridone chez les enfants plus grands (âge médian de 9 mois et 4 ans, respectivement). A l’inverse, les deux plus récentes études (1992 et 1994) ne montraient pas d’effet bénéfique. Cette molécule, largement prescrite en France, repose donc son indication sur très peu de preuves cliniques, comme en démontre la modeste efficacité en pratique quotidienne. Des effets secondaires à type de syndrome extrapyramidal, crise oculogyre, allongement du QT ont également été rapportés.
Ceci justifie donc de bien peser le bénéfice efficacité-tolérance avant sa prescription, trop souvent systématique devant des reflux parfois bénins.

  • Métoclopramide

Le peu d’études validant son efficacité et surtout ses effets secondaires multiples et parfois sérieux (syndrome extrapyramidal, méthémoglobinémie…) font que cette molécule n’est plus utilisée en pratique dans le RGO du nourrisson.

  • Cisapride

Largement prescrit il y a quelques années, le cisapride est réservé, depuis 5 ans, au traitement du RGO pathologique prouvé, après échec des autres traitements chez le nourrisson et l’enfant jusqu’à 36 mois. La posologie maximale est de 0,8 mg/kg/j répartis en 3 ou 4 prises. La prescription initiale est hospitalière, de même que la délivrance du produit qui se fait en pharmacie hospitalière.
Le bilan préthérapeutique vise à rechercher un allongement congénital du QT ou une hypokaliémie. La liste des associations médicamenteuses à éviter (médicaments métabolisés par le cytochrome P450) est à noter dans le carnet de santé ainsi que sur la carte de traitement remise aux parents.

Les pansements digestifs

L’alginate de sodium et le diméthicone sont couramment utilisés en France, sans qu’il y ait de preuve scientifique de leur efficacité.
Le mécanisme d’action supposé de l’alginate de sodium serait un tamponnement de l’activité gastrique et la mise en place d’un film protecteur sur la muqueuse œsophagienne. Leur usage en post-prandial immédiat ne semble pas logique, car c’est la période où l’acidité gastrique est tamponnée au maximum par l’alimentation lactée du nourrisson.
Le diméthicone a une indication dans les météorismes et ballonnements abdominaux ; sa prescription ne semble donc pas logique dans la prise en charge du RGO.

Les anti-H2

Les anti-H2 agissent sur la sécrétion acide en inhibant les récepteurs à l’histamine des cellules gastriques pariétales. Ils se sont montrés efficaces, dans plusieurs études pédiatriques, sur la baisse de la durée du pH acide de l’œsophage et sur la cicatrisation de l’œsophagite.
L’efficacité de ces molécules diminue avec le temps par un mécanisme de tachyphylaxie (6 semaines en moyenne).

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)

Ils représentent la classe thérapeutique la plus efficace dans la neutralisation de l’acidité gastrique, par action sur la pompe à protons. Leur effet maximal est atteint lorsqu’ils sont administrés à jeun (30 minutes avant le repas).
Même si actuellement, en France, l’oméprazole ne dispose que d’une AMM chez l’enfant âgé de plus de 1 an, des études cliniques récentes sont disponibles pour les autres molécules (lansoprazole, ésoméprazole) et des études de pharmacocinétique et de tolérance ont été également réalisées chez les enfants en dessous de 1 an.
L’efficacité de ces molécules ne devrait pas faire généraliser – à tort – leur prescription, sans avoir en mémoire les multiples effets secondaires possibles (gynécomastie, diarrhée, augmentation du risque d’infection respiratoire, néphropathie interstitielle).
La prescription au long cours des IPP chez le nourrisson ne devrait pas être systématique sans preuve d’un reflux sévère documenté.

Le traitement chirurgical

La nécessité de recourir à un geste de chirurgie anti-reflux est une éventualité rare chez le nourrisson. Ce geste, non dénué de complications, est réservé aux situations de reflux sévères, avec complications respiratoires ou malaises graves pouvant faire craindre le risque de mort subite.
Dans la plupart des cas, il s’agit de situations de malformations congénitales digestives ou neurologiques. Ces enfants représentent une population assez sélective de nourrissons vomisseurs.

Les perspectives

Les espoirs futurs sont tournés vers la possibilité de nouveaux prokinétiques plus efficaces et dénués d’effets secondaires car, chez certains nourrissons, la neutralisation du reflux par les antisécrétoires ne supprime aucunement leur remontée dans l’œsophage.
Ceci a été clairement démontré par des études utilisant l’impédancemétrie œsophagienne de longue durée, qui permet de mettre en évidence des reflux non acides et à pH neutre. Cette technique n’est pour l’heure pas utilisée en routine dans le bilan de reflux gastro-œsophagien du nourrisson.

A retenir

  • La fréquence du RGO ne semble pas augmenter au fil des ans, mais c’est la tolérance des parents et soignants qui a diminué, au fil des générations, face au symptôme “régurgitation”.
  • Minimiser les actes agressifs chez le nourrisson, ainsi que l’utilisation abusive des traitements, semble être une attitude raisonnable à rappeler.
  • Rassurer les parents, surveiller la croissance, conseiller des mesures hygiéno-diététiques, rechercher les signaux d’alarme sont des gestes suffisants pour la majorité des nourrissons.
  • Réévaluer régulièrement l’intérêt de poursuivre au long cours les traitements médicamenteux est essentiel pour tous les autres.

En pratique

Les tableaux cliniques sont variés et l’arsenal diagnostique et thérapeutique riche.
En pratique, comment prendre en charge au mieux ces nourrissons régurgiteurs ? Voici quelques vignettes cliniques.

REFLUX GASTRO-OESOPHAGIEN NON COMPLIQUÉ

Réassurance parentale, bavoir, mesures de posture et de correction diététique (éviter suralimentation, prescription de formules lactées épaissies) et patience !
Voir l’article détaillant les conseils diététiques et de puériculture en page 15.

RÉGURGITATIONS, IRRITABILITÉ, TROUBLES DU SOMMEIL

Le rôle du reflux dans les manifestations d’inconfort du nourrisson a été difficilement démontré dans les études cliniques.
Dans cette situation, outre les mesures de posture et de correction diététique (éviter suralimentation, prescription de formules lactées épaissies), deux approches peuvent être appliquées en pratique :

  • explorations diagnostiques (pH-métrie ou fibroscopie en fonction de la présentation clinique), puis traitement en fonction des résultats ;
  • traitement empirique par anti-H2 et/ou épreuve d’hydrolysats poussés aux protéines du lait de vache dans l’hypothèse d’une allergie aux protéines de lait de vache (APLV).

En pratique, les deux attitudes se valent, mais il convient de savoir, dans tous les cas, ne pas prolonger inutilement un traitement qui ne semble pas efficace et réévaluer la situation clinique en conséquence.

REFLUX COMPLIQUÉ DE MANIFESTATIONS DIGESTIVES

(mauvaise croissance pondérale, hématémèse, difficultés alimentaires, etc.)
Dans cette situation, la recherche d’une oesophagite est la règle.
L’indication actuelle des IPP chez le nourrisson de moins de 1 an est le traitement curatif de l’oesophagite.
Les effets secondaires décrits dans cet article pouvant être sévères, cela justifie dans ce cas de réaliser une exploration endoscopique pour confirmer le diagnostic et ne pas méconnaître d’autres causes possibles, telle une allergie aux protéines du lait de vache.
Dans cette optique, un régime d’épreuve par hydrolysats poussés de protéines du lait de vache pendant 2 semaines peut également être instauré comme préalable à la réalisation de l’endoscopie.

REFLUX COMPLIQUÉS DE MANIFESTATIONS ORL OU RESPIRATOIRES

La pH-métrie oesophagienne permet de rechercher l’imputabilité du reflux dans les symptômes présentés.
Dans cette situation, devant l’absence actuelle de prokinétiques efficaces, les IPP sont souvent utilisés hors AMM ; il convient alors de réévaluer régulièrement l’intérêt de leur utilisation au long cours.

 

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