Le syndrome de renutrition inappropriée

Ce syndrome regroupe aujourd’hui l’ensemble des manifestations cliniques et perturbations métaboliques très sévères, parfois mortelles, secondaires à la renutrition “sans assez de précaution” d’un patient fortement dénutri ou ayant subi un jeûne prolongé. L’anorexie mentale restrictive est une situation particulièrement à risque. La renutrition entérale ou orale doit être très contrôlée en termes d’apports et de tolérance clinique et biologique.

 

La description de ce phénomène date de la libération des camps de prisonniers après la seconde guerre mondiale, où la survenue de décès, dans un tableau de décompensation cardiaque, de convulsions, d’hypertension artérielle et d’oedèmes, fut rapportée quelques heures après la reprise de l’alimentation. Il faudra attendre les années 70 pour mieux comprendre l’origine de ces complications lors de la renutrition parentérale de situations de dénutrition sévère.

Chez quels patients ?

Les populations à risque sont donc celles souffrant de dénutrition chronique ou de jeûne prolongé plus que de situation de dénutrition aiguë. Même si les premiers cas étaient secondaires à une renutrition parentérale associant des apports énergétiques et hydroélectrolytiques excessifs, ils peuvent survenir au cours d’une réalimentation, y compris si celle-ci est prudente et progressive (1).

Chez l’enfant ce syndrome a été décrit au cours de la réalimentation orale du marasme comme du Kwashiorkor. En pédiatrie et dans les services de médecine de l’adolescent, l’anorexie mentale restrictive est une situation à risque de ce syndrome de renutrition inapproprié (Refeeding syndrome). Même si la renutrition parentérale au cours de l’anorexie est exceptionnelle et fortement à proscrire, la renutrition entérale contrôlée, ou a fortiori orale spontanée, doit toujours faire l’objet d’une attention particulière en cas de dénutrition, a fortiori sévère.
Elle nécessite un contrôle rigoureux des apports tant du point de vue quantitatif que qualitatif, tout en anticipant sur les capacités d’adaptation et de reprise anabolique d’un organisme éprouvé par la carence nutritionnelle.

Les manifestations cliniques

Elles sont multiples, et concernent tous les organes vitaux.
Elles sont secondaires en premier lieu à une hypophosphorémie aiguë parfois isolée, ou associée à d’autres désordres hydroélectrolytiques, métaboliques (2). L’ensemble de ces évènements trouve son origine dans la dénutrition et dans l’incapacité d’adaptation à la renutrition.

L’hypophosphorémie

Quasi constante, elle est la conséquence la plus fréquente et la plus grave (3). Ses conséquences cliniques sont résumées dans le tableau 1. Elle peut apparaître malgré une phosphorémie initiale normale et en cas de supplémentation insuffisante. Elle est secondaire à la perte d’eau et de minéraux liée à l’activation de processus de lipolyse et protéolyse, pour fournir en substrats la néoglucogenèse, alors que l’organime est en situation d’épuisement des réserves de glycogène. Au cours de la renutrition, et surtout en cas d’apports glucidiques excessifs, l’augmentation de sécrétion d’insuline fait rentrer le phosphore dans les cellules, et augmente sa filtration glomérulaire. La sollicitation du stock de phosphore (ainsi déplété) par la relance de la machinerie cellulaire au cours de la renutrition aboutit alors à un déficit énergétique cellulaire majeur par carence en ATP et 2,3-diphosphoglycérate.

L’hypokaliémie et l’hypomagnésémie

Elles sont liées à la déplétion en potassium et en magnésium selon le même procédé que le phosphore. De même, le phénomène de renutrition est associé à une utilisation cellulaire en potassium et magnésium dépassant les réserves amoindries par la situation de dénutrition chronique. Les conséquences cliniques sont résumées dans les tableaux 2 et 3.

L’insuffisance cardiaque

Outre son origine hypophosphorémique, elle est secondaire à la diminution de la masse musculaire du myocarde, la bradycardie liée à la dénutrition et aux troubles de la fonction myocardique. L’excès de renutrition a pour conséquences le dépassement des capacités d’adaptation du coeur, responsable d’une insuffisance cardiaque avec l’apparition fréquente d’oedèmes, et l’aggravation des troubles de conduction (allongement du QT) et du rythme favorisés par les anomalies hydroélectrolytiques (4).

La rétention hydrosodée

La rétention hydrosodée par diminution de l’excrétion hydrosodée est responsable d’une prise de poids initiale excessive par la présence d’eau au niveau extra-cellulaire (5). Elle est associée à une charge trop importante en hydrates de carbone. Celle ci est secondaire à un hyperaldostéronisme secondaire, à la moindre efficacité de la pompe à sodium, et à l’augmentation de sécrétion d’insuline compensatrice de la charge en glucose.

Des états hyperosmolaires

Cependant, des états hyperosmolaires peuvent aussi être observés en cas de dépassement des capacités d’insulinosecrétion compensatrices de l’apport de glucose, ou par défaut d’utilisation suffisante du glucose par les cellules. L’hyperglycémie secondaire entraîne une polyurie avec déshydratation, une hypersomolarité avec trouble de la conscience et une hypovolémie responsable d’une insuffisance rénale fonctionnelle.

Une hypoglycémie

Si l’hyperglycémie est fréquente, des manifestations d’hypoglycémie peuvent se rencontrer. Elle sont secondaires à l’épuisement du stock de glycogène par la dénutrition et à l’hypersensibilité à l’insuline. Sa correction est parfois difficile car tout apport de glucose sera responsable d’une sécrétion d’insuline en réponse.

Des troubles hépatiques

Au niveau hépatique, si des signes de cytolyse ou d’insuffisance hépatocelullaire débutantes sont fréquents dans les états de dénutrition sévère ; ils seront à craindre aussi au moment de la renutrition. Il est donc indispensable de faire attention à ne pas dépasser les capacités métaboliques et d’adapter la renutrition.

Préventions et recommandations thérapeutiques

Compte tenu de son évolution parfois fatale, sa prévention est la règle dans des situations à risque.
La gravité de la dénutrition doit être établie et la démarche de renutrition orale ou entérale progressive, contrôlée, surveillée et adaptée à la tolérance et aux résultats biologiques.

Il est à noter la grande différence de réponse interindividuelle compliquant la réalisation d’un protocole (6).

Evaluer la tolérance de la renutrition

Parmi les recommandations et selon les perturbations du bilan initial, il est d’usage, au cours des premiers jours, d’évaluer la tolérance de la renutrition d’une charge calorique ne dépassant pas 10 à 15 Kcal/kg/j sans dépasser 500 Kcal par jour.
Cette quantité calorique correspond à un volume de 500 ml d’un soluté de nutrition isocalorique (1 ml = 1 Kcal) limitant au départ le risque d’inflation hydrique. Son administration sera continue au départ pour répondre aux impératifs énergétiques et à la tolérance digestive.
En cas de grande perturbation un débit de renutrition de quelques cc par heure peut être nécessaire au début de la prise en charge.

Les apports nutritionnels à contrôler

  •  Les apports glucosés ne dépasseront pas 1 à 2 g/kg/j pour atteindre, au-delà d’une semaine de renutrition bien tolérée, 3 à 4 g/kg/j.
  • L’apport protéique doit être ajusté et adapté à la fonction rénale.
  • Les apports hydrosodés sont plus difficiles à chiffrer. Ils commencent par 15 à 20 ml/kg/jour en cas d’inflation hydrosodée jusqu’à 40 ml/kg/j en cas de bonne tolérance.
  • Les apports potassiques conseillés sont de 4 mEq/g d’azote apporté, mais seront surtout adaptés à la kaliémie, à l’évolution des ondes T sur l’ECG et aux pertes urinaires (6).
  • Les besoins en magnésium sont habituellement couverts par un apport de 10 mmol/j.
  • Un apport systématique de vitamines et d’oligoéléments est indispensable dès le début de la renutrition. Cinq cents à 1 g de vitamine B1 sont conseillés, de même que 25 à 50 mg de folates au cours des premiers jours de renutrition.
  • L’apport de phosphore est obligatoire. Avec du Phosphoneuros® per os la posologie sera de l’ordre de 50 gouttes 2 à 3 fois par jour pour prévenir une hypophosphorémie, à 100 gouttes, voire 200 gouttes 3 fois par jour en cas d’hypophosphorémie sévère (< 0,30 mmol/l). Avec du Phocytan® à diluer administré par voie parentérale, en intraveineux lent, avec une ampoule renouvelable 6 heures plus tard et à une posologie adaptée à la fonction rénale. En cas d’hypophosphorémie sévère persistante il peut parfois être nécessaire de diminuer, voire de stopper la renutrition le temps de sa correction.

En conclusion

La renutrition entérale des situations de dénutrition chronique et sévère, ou orale des formes moins sévères, doit être contrôlée en terme d’apport et de tolérance clinique (poids, oedèmes, tension artérielle, fréquence cardiaque, ECG) et biologique (phosphorémie, ionogramme sanguin, fonction rénale, transaminases) répétée, surtout au cours de la première semaine, puis régulièrement à chaque étape d’augmentation des apports caloriques.
L’hypokaliémie et l’hypophosphorémie sont quasi constantes, même si des valeurs biologiques normales n’excluent pas une déplétion intracellulaire. Ce risque doit donc être prévenu par l’administration préventive quotidienne de phosphore et de potassium pendant toute la phase de renutrition, et adapté par une surveillance biologique.

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