Le trouble de l’oralité alimentaire

« Manger : quand ce qui est évident pour les uns devient une difficulté pour certains enfants en nutrition artificielle ». Ces enfants, pour diverses raisons médicales, n’ont pas “appris à manger”, ont vécu des mois ou années sans utiliser leur bouche. Manger, pour eux, n’est pas un plaisir, c’est parfois une souffrance. Réinvestir la sphère bucco-lingua-faciale sera un long apprentissage.

Oralité alimentaire et verbale

Aujourd’hui, parler d’oralité renvoie à un concept incluant l’ensemble des comportements, fonctions et investissement de la sphère bucco-lingua-faciale. Par oralité, il faut ainsi entendre “oralité verbale” (troubles liés à l’expression orale) et “oralité alimentaire” que nous développons dans cet article.

Histoire d’une rencontre…

Un trouble de l’oralité peut se définir comme la rencontre entre une prématurité, une pathologie diagnostiquée précocement et une nutrition artificielle. La nutrition artificielle, parentérale ou entérale (par sonde nasogastrique ou par gastrostomie) est aussi débutée dans les premières semaines de vie du bébé.
Un trouble de l’oralité alimentaire est à différencier de l’anorexie psychogène du nourrisson ou du jeune enfant, et du trouble de la déglutition salivaire.
Souvent, cette rencontre rime non seulement avec une sphère oro-faciale sollicitée négativement (sonde de nutrition, d’intubation, d’aspiration, nausées, vomissements, fausses routes…), mais aussi avec une absence de sensation de faim, de rythme de repas, et surtout avec le manque de la dimension relationnelle et affective contenant le repas.

Quand parle-t-on de trouble de l’oralité alimentaire ?

Tous les sens à l’appel !

Cette petite phrase courte, si simple, souvent entendue, « Il ne mange pas », recouvre en fait une très longue histoire.
L’action de manger implique tous les sens : vue, toucher, odorat, goût. Dès la vue du biberon, de la cuillère, l’enfant s’agite, tourne la tête, ferme la bouche, pleure… Si le biberon ou la cuillère entre en contact avec les lèvres ou parvienne en bouche (souvent par surprise), l’enfant peut déclencher une nausée ou un vomissement. L’enfant va donc, très vite, apprendre à faire de cette zone orale, une zone hyper-défendue.
En effet, le toucher d’une zone orale bien définie exo- ou endo-buccale (joues, menton, lèvres, gencives, langue) peut entraîner à lui seul un refus, une nausée, voire un vomissement. Le toucher de textures alimentaires est anxiogène et peut friser l’écœurement (l’enfant veut immédiatement s’essuyer et la “patouille” fait horreur). Il en est de même pour le toucher de certaines textures non alimentaires (textures trop douces, comme le coton, les plumes…). Toutes stimulations tactiles non franches sont dérangeantes, et souvent source de déplaisir pour ces enfants.
Parfois, tout le corps de l’enfant peut être sur la défensive : bains et massages ne sont guère appréciés.

Quelques repères pour évaluer

« De mes pieds à ma bouche »

La morale de cette histoire – « Il ne mange pas » – pourrait être : « Avant de t’occuper de ma bouche, occupe-toi de tout mon corps ».
Cinq grandes étapes sont donc à parcourir afin d’avoir une vision détaillée de l’oralité de l’enfant présentant un trouble de l’oralité alimentaire :

  1. Après avoir pris en compte l’histoire de l’enfant, il est primordial de commencer par une évaluation globale de son comportement : l’enfant dans son corps (tonus, posture, mimiques, vocalises, langage), dans sa relation à l’autre, dans sa relation aux objets (investissement oral des objets). Cela prend peu de temps, mais une foule d’informations capitales est glanée.
  2. Cette évaluation du comportement est suivie d’une estimation du toucher des textures non alimentaires et alimentaires.
  3. Puis il est temps de se rapprocher de la bouche par une observation des praxies bucco-faciales (occlusion labiale, succion non nutritive, déglutition, respiration…).
  4. Pour finir, la sensibilité exo- et endo-buccale est appréciée grâce au toucher des joues, du menton, des lèvres, des gencives, de la langue, du palais. A chaque fois, il faut cibler ce qui est toléré, accepté, refusé par l’enfant, quelles sont ses limites.
  5. La dernière étape consiste en une description et/ou une observation du comportement alimentaire : le cadre, avec qui, comment (biberon, cuillère, doigt, autre), texture (liquide, lisse, mixé, morceaux…), durée, quantité, aspect relationnel.

La prise en charge

Bon sens et patience…

La prise en charge s’organise en deux temps : en dehors et pendant le repas.

En dehors du repas
L’objectif principal est d’aider à l’investissement positif de la zone orale, afin d’éviter l’installation d’une hypersensibilité orale.

  • Il suffit de proposer à l’enfant des tétines (différencier la tétine non nutritive, ou “tétine doudou”, de la tétine nutritive), des hochets de dentition, des jouets à mâcher, des brosses à dents pour bébé.
  • Lorsque l’hypersensibilité orale est présente, des massages (joues, menton, lèvres, gencives, langue, palais) sont initialisés par un professionnel, et repris au quotidien par les parents.
  • Par le jeu, la sensibilité tactile (coton, plume, balle à picots, balle en mousse, pâte à modeler, peinture…) et les différentes praxies bucco-faciales (mimiques, bruits de bouche, jeu de souffle, bulles, jeu de croquer) sont travaillées.
  • Ce menu ne serait pas complet sans le “jouer à manger”, en effet avant de “manger pour de vrai”, l’enfant va prendre du plaisir à “manger pour de faux”, en jouant à la dînette, en donnant à manger aux poupées, en se régalant d’une cuillère vide.

Pendant le repas
L’objectif est d’amener l’enfant à “manger du bout des lèvres jusqu’à pleine bouche”, un long chemin requérant beaucoup de patience, tout en respectant compétences et rythme de l’enfant.

  • Lors du repas, l’enfant est bien éveillé, confortable dans une posture adaptée (veiller au bon positionnement de la tête : ni trop en avant, ni trop en arrière).
  • Il peut s’alimenter au biberon, à la cuillère (préférer une cuillère en plastique et tenir compte de la taille de la bouche du bébé dans le choix de la cuillère, de la tétine). Certains ne connaissent jamais le plaisir du biberon, seule la cuillère est tolérée, d’autres goûtent très longtemps aux joies du biberon.
  • Des techniques alternatives, comme la tasse pour les prématurés, la paille, le doigt sont utilisées.
  • Très souvent, au départ, le repas se résume à déposer un peu de nourriture (lait ou autre) sur le bord des lèvres, la langue décide ou non de venir chercher. En parallèle, la tétine du biberon ou la cuillère vide sont apprivoisées, en allant du bord des lèvres jusqu’à pleine bouche. Puis, peu à peu, tétine ou cuillère sont associées à la nourriture, en respectant toujours le même parcours. Initier sans jamais forcer est indispensable et relève du grand art. Cette période de “goût copain ”est une aide précieuse ; en effet, présenter à chaque repas le même goût est source de réassurance pour l’enfant.
  • La régularité est à privilégier à la quantité ; quand manger à pleine bouche avec régularité et plaisir s’installent, alors seulement les quantités augmentent peu à peu.

Cette prise en charge du trouble de l’oralité ne doit se faire à aucun moment dans un esprit de rééducation. Elle doit toujours se réaliser dans le respect total de l’histoire de l’enfant, de ses capacités, de son rythme et de ses compétences du moment.

À qui s’adresser ?

Ce trouble de l’oralité est à la frontière de nombreuses professions : pédiatre, psychologue, orthophoniste, psychomotricienne, kinésithérapeute, éducatrice, ergothérapeute. Les équipes soignantes prenant en charge ces enfants doivent apprendre à travailler de manière pluridisciplinaire.
Au retour à domicile, les parents ont besoin d’être accompagnés dans cette prise en charge au long cours, notamment par le médecin traitant ou le pédiatre ; l’essentiel sera pour lui, et pour les parents, de trouver le bon interlocuteur suffisamment sensibilisé, informé et formé. L’association “Group Miam-Miam” propose des outils et un annuaire de professionnels de santé référents qui ont l’expertise de cette prise en charge des troubles de l’oralité (voir coordonnées ci-dessous).

Les origines du trouble de l’oralité alimentaire

  • Prématurité et/ou une pathologie organique
  • Nutrition artificielle
  • Sphère oro-faciale sollicitée négativement
  • Absence de sensation de faim et de rythme de repas

Comment évaluer un trouble de l’oralité ?

  • Anamnèse
  • Evaluation du comportement de l’enfant : tonus, posture, mimiques, vocalises, relation à l’autre
  • Exploration orale des objets
  • Evaluation du toucher des textures non alimentaires et alimentaires
  • Evaluation des praxies bucco-faciales
  • Evaluation de la sensibilité exo et endobuccale
  • Evaluation du comportement alimentaire

Pour en savoir plus

Association Groupe Miam Miam Groupe de travail de parents-soignants sur les troubles de l’oralité alimentaire
Pour obtenir des informations ou contacter l’association, se connecter au site Internet : www.groupe-miam-miam.fr
Cliquez dans le menu sur « Nos contacts ». Vous accédez aux coordonnées des différents responsables régionaux.
Ils vous aideront au sein de vos régions dans la recherche de professionnels qualifiés.

Premier “Oralité café”
Le 1er “Oralité Café” est organisé à Paris, le 18 octobre 2008 (pour plus d’informations: www.groupemiam-miam.fr).


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