Le vécu du reflux…

Qu’il s’agisse d’un “faux reflux” – simple régurgitation du nourrisson étiquetée “reflux” -, d’un léger reflux ou d’un véritable RGO, ces troubles génèrent parfois des réactions inadaptées ou disproportionnées des parents. Le rôle du médecin est d’accompagner les parents devant ces troubles bénins, fréquents et parfois mal vécus.

 

Si la psychologie du “faux reflux” est souvent traitée, il ne faut pas oublier les aspects psychologiques du vrai reflux, ou du “vrai petit reflux”.

Quand tout va bien !

La “bonne mère”
Dans une situation dite normale, la “bonne mère” (ou le “bon père”) vit les désirs de son bébé comme une évidence et n’a pas de problèmes d’interprétation. Les parents apprennent naturellement et progressivement à faire des hypothèses variées devant les attitudes de leur enfant, à le connaître ; ils peuvent par exemple identifier 7 à 8 cris, allant d’une demande urgente du bébé à des pleurs plus banals (il a chaud, il a du mal à s’endormir…). Pour Winnicott (1), la mère, dans les premières semaines de la vie de son bébé, a naturellement une maladie, celle « de la sollicitude maternelle primaire » : elle anticipe en permanence ses besoins. La mère comme le père constituent, vis-à-vis de l’enfant, un système de “pare-excitation”, c’est-à-dire qu’ils le protègent des agressions ou des messages négatifs extérieurs comme intérieurs (le nourrisson ne sait pas les différencier) ; ils servent d’écran, atténuent les stimulations.

“Sa majesté le bébé”

Le bébé se sent le centre du monde et on le traite comme tel. La relation harmonieuse d’une mère avec son enfant lui renvoie une gratification. Si le bébé est gratifiant pour la mère, celle-ci assure une “fonction miroir” positive qui lui renvoie une bonne image de lui-même, nécessaire à la construction de son “narcissisme primaire” (estime de lui).

L’apprentissage de la frustration

Un peu plus tard, la mère attentive apprendra aussi à son enfant la frustration : ne pas répondre systématiquement, lui faire accepter l’éloignement. L’enfant construit alors l’image fantasmatique de la mère : il apprend à gérer l’absence en la fantasmant. Mélanie Klein (2) place les débuts de l’organisation de la pensée chez le tout-petit dans cette attente, cette frustration. Ainsi, le bébé qui tête son pouce pendant qu’on lui prépare son biberon, et se rendort, apprend à gérer lui-même l’attente : le pouce, momentanément pris pour le biberon, lui apporte un sentiment de satisfaction, il lui sert d’objet déclencheur de fantasmes qui fonctionne jusqu’à ce que la faim revienne, et les pleurs avec… Si cet apprentissage de la frustration n’est pas acquis, il pourra perdurer une angoisse de séparation dans la petite enfance.

Le faux reflux

Le nourrisson régurgite, mais les parents l’interprètent comme un “reflux”. Il est irritable, stressé. Le vécu des parents face à une régurgitation banale peut être démesuré lorsqu’ils ne sont par armés pour relativiser.
Ils vivent cela comme une catastrophe, se rejettent la faute, ils n’arrivent pas à nourrir ce bébé…

De multiples situations peuvent fragiliser les parents

Les situations rendant les parents “non armés pour relativiser” et risquant de troubler les relations parent-enfant sont multiples.

En voici quelques exemples :

  • La mère a vécu un accouchement difficile et/ou un blues du post-partum, ou elle est épuisée : la suspicion de reflux est mal vécue et peut même la plonger dans une dépression.
  • Elle a eu des moments difficiles durant la grossesse (un deuil, des doutes sur la santé de son enfant à naître à la suite d’une échographie par exemple…) : elle a pu transmettre un certain “stress” à son enfant à naître, et elle pourra réagir par un excès d’attention et de stimulation auprès de son nouveau-né.
  • Il existe des conflits au sein du couple, qui empêchent les parents d’ajuster ensemble leur comportement face à l’enfant.
  • Les membres de la famille ne gardent pas leur place. Les grands mères sèment le doute, ne génèrent pas de message positif… Lorsque les “bonnes fées-grands-mères” autour du berceau accueillent le bébé dans la joie, lui trouvant des points de ressemblance avec les membres des deux familles (elles “authentifient la pièce”), tout devrait bien se passer. Si ce processus d’identification met en avant des points négatifs, les interactions avec le bébé peuvent devenir difficiles…

Les parents ont alors du mal à “se laisser aller” à identifier les besoins de leur bébé. Ils restent bloqués au : “bébé régurgite” ; ils ont du mal à faire d’autres hypothèses, ils sont en difficulté de parentalité…
Le psychanalyste Bion (3) disait que le bébé nous envoie des messages dans tous les sens. Les parents exercent une fonction qu’il appelle “alpha” ; elle consiste à prendre ces messages et à les “remétaboliser”, avant de les lui renvoyer sous une forme positive. Dans le cas de la régurgitation mal vécue, cette “digestion” n’a pas eu lieu, le bébé n’est pas sécurisé par ce que les parents lui renvoient. Cela ajoute du stress. Si les parents agissent de façon inadéquate, l’enfant peut devenir épuisant.

Attention au diagnostic trop hâtif de reflux

La banale régurgitation, amplifiée par l’angoisse des parents, est décrite au médecin comme un vrai reflux. Les parents sont à tout prix à la recherche d’un diagnostic : il leur est impossible d’émettre des hypothèses qui pourraient les remettre en cause. “Il a un reflux, donc il est malade”, est parfois plus confortable.
Ceci peut conduire à un diagnostic un peu hâtif de reflux, avec le risque d’une escalade de changements de lait – pouvant se renouveler 3, 4, 5 fois… -, qui ne résout rien, voire même qui amplifie le problème. Le risque est de passer à côté de troubles interactionnels précoces, de figer le bébé dans une étiquette de “bébé malade” alors qu’il ne l’est pas du tout, d’aboutir parfois à une dépression du nourrisson avec une possible somatisation, ou alors de fabriquer un bébé excité en demande d’aide, qui pourra développer une véritable pathologie de l’estime de soi car on ne le comprend pas…
Le médecin doit refuser un diagnostic facile. Il est vrai que la consultation est alors un peu plus longue : il lui faut observer le bébé, voir comment la mère interagit avec lui, comment se situe le père, s’il arrive à prendre sa place. Ceci permet d’évaluer une mauvaise interprétation des parents.
Lorsque le médecin a un doute, il doit d’abord temporiser avant de prescrire un changement de lait, écouter les parents, rassurer, et, si cela ne marche pas, savoir passer la main. Une autre erreur serait de minimiser, de dire aux parents « Cela n’est rien, cela va s’arranger », de ne rien faire devant ce bébé incompréhensible et ces parents en difficulté. Si l’on ne fait rien, une véritable spirale peut se mettre en place : le bébé devient vite épuisant, il n’est plus gratifiant, il peut même devenir persécuteur à leurs yeux. La mère, les parents, d’abord dans une sollicitude extrême et même paniqués, risquent de ne plus se situer dans ce système de sollicitude dont le bébé a tellement besoin dans les premiers mois de sa vie pour construire son autonomie.

Le vrai petit reflux

Il existe une situation intermédiaire, le petit reflux, pris en charge en tant que tel, mais qui peut induire des réactions analogues à celles du faux reflux. Il ne faut alors pas passer à côté de cette difficulté de la relation parent-enfant.
Lorsque l’on traite un reflux, même modéré, sans aider les parents à gérer cette situation, on risque d’amplifier leur réaction et par là même le reflux lui-même. Il existe probablement chez les bébés des terrains favorisant un reflux qui peut alors être révélé par une situation de stress.

Le vrai reflux

L’alimentation est essentielle dans les premières relations mère/enfant. C’est une preuve pour la mère qu’elle est adaptée à son enfant et que l’enfant est adapté à elle ; cela apparaît comme évident, naturel. Bien nourrir son enfant, c’est être une “bonne mère” ou un “bon père”, cela fait partie des modes de gratification importants : ce que je lui donne est bon, je remplis bien ma fonction, je réponds à ses besoins primaires.
Dans une situation de reflux réel, souvent la mère se sent en tort, culpabilise. Elle pense qu’elle nourrit mal son bébé, ou que son lait est mauvais si elle allaite… Il en est de même pour le père qui donne le biberon. Le reflux provoque une remise en cause de la capacité des parents à bien nourrir leur enfant, « Je mets des heures à le nourrir, il vomit, il n’a rien pris », « Je ne le sécurise pas »… Certaines mères disent même « C’est comme si il ME vomissait » ! Et le reflux survient souvent au moment du coucher, de la séparation… Tout reflux va remettre en cause la capacité des parents à bien nourrir leur enfant, mais tous les parents ne sont pas égaux devant cette situation.
Certains ont une résilience de bonne qualité et vont savoir relativiser, gérer le reflux qui ne sera qu’un épiphénomène dans la vie du bébé, il ne sera pas étiqueté “malade”. D’autres parents sont moins armés et vont faire une théorie de la maladie : « S’il a un reflux, c’est de ma faute »…
Un bébé qui a un reflux non traité est agité, stressé, il a mal ; les parents ne vont pas supporter ce qui se passe, être blessés dans leur narcissisme, dans leur parentalité, ils vont être découragés et vont à leur tour stresser le bébé et amplifier le symptôme reflux. Ils vont aussi avoir une angoisse d’attente, une anxiété d’anticipation du reflux, voire développer une vraie dépression, qui peut parfois souligner des blessures anciennes inconscientes – « Ma mère m’avait dit de ne pas l’allaiter ; je ne l’ai pas écoutée, voilà le résultat, elle avait raison ! » -, la réalité du reflux vient appuyer un fantasme. Le père va être désarmé, toute la famille ne pense plus qu’à ça, ne parle plus que de ça et de son traitement. Le bébé est résumé au reflux.
La mère, déprimée par l’état de son enfant, lui renvoie une mauvaise image ne permettant pas à son narcissisme primaire de se construire normalement. Alors qu’il est nécessaire que la vision du monde soit la plus positive possible, de rétablir la situation de “sa majesté le bébé”. Tout cela peut entraîner un risque de dépression identifiable par la somatisation ou l’excitation du nourrisson. On note à ce moment là des pathologies de l’estime de soi chez ces enfants.

Ne pas oublier le reflux… mais aussi le vécu des parents
Le reflux doit être bien pris en compte et traité. Dans le cas contraire, le bébé se retrouve dans une situation d’insécurité qu’il ne peut pas gérer seul. Il est inquiet, ce que fait son entourage est inefficace. Le reflux est une agression et les parents n’offrent plus ce système protecteur de “pare-excitation” dont parle Winnicott. Si cela dure, l’impact sur le nourrisson n’est pas anodin, cela peut altérer la construction de sa personnalité autour de la sécurité.
Lorsque le reflux s’installe, les parents perçoivent leur enfant comme malade et lui renvoient une image d’enfant fragile. L’enfant se construit avec cette image de fragilité et la mère l’entretient par sa peur et son besoin de le satisfaire. Or, il est important pour un enfant de ne pas être sans arrêt satisfait par sa mère, il a besoin d’être frustré pour initier sa pensée, pour devenir autonome, comme l’a montré Klein (2). Il est essentiel, si l’on traite le reflux du bébé, de voir aussi comment les parents le vivent. Il est important de bien dialoguer avec eux et d’observer les interactions avec le bébé, de les déculpabiliser, de leur apprendre à relativiser. Un accompagnement psychologique peut être nécessaire lorsque les parents ne sont par armés.

Le nourrisson « fatiguant

A quoi reconnaît-on un nourrisson “fatiguant” ?

  • Il n’est jamais calme, il ne se détend pas, même lorsqu’il prend son biberon ou sa tétée.
  • Il est irritable, stressé.
  • Il est difficilement consolable.
  • Il est inquiet.
  • Il est tendu, on n’arrive pas “à le contenir”.
  • Il est hyper-attentif, se montre très réactif à certaines situations telles que la séparation.

Conclusion

  • Toute symptomatologie du bébé doit faire évaluer la qualité des interactions enfant/ parents. En présence d’un vrai reflux, il faut évaluer son retentissement sur le vécu parental.
  • Quel que soit le type de reflux, le traitement devra être accompagné par une attention psychologique particulière. Il est important de relativiser sans banaliser et d’avoir le réflexe de réorienter le couple parents/enfant vers des structures spécialisées (PMI, unités du jeune enfant, pédopsychiatre, psychologue) lorsqu’on se sent dépassé, si la situation dure.
  • Et enfin, il faut se garder de mettre trop vite une étiquette de reflux. S’il ne s’agit pas d’un vrai reflux mais qu’il existe une véritable obsession, il ne faut pas hésiter à adresser les parents à un spécialiste.

 

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