L’enquête LUNE

Les régurgitations du nourrisson sont fréquentes, plus de 50 % des nourrissons de moins de 6 mois régurgitent tous les jours [1]. Même si, dans 95 % des cas, elles disparaissent avant l’âge de 1 an, leur volume et leur fréquence peuvent perturber l’alimentation et le sommeil du tout-petit, et être source de stress pour les parents. On peut concevoir que la prescription exclusive du couchage en position dorsale puisse être une angoisse chez les mamans qui peuvent être soumises à des informations potentiellement contradictoires selon qu’elles émanent du corps médical, de l’entourage familial ou des médias. L’objectif de l’enquête LUNE (infLuence des régUrgitations sur la positioN de couchagE des nourrissons) était d’estimer si la fréquence et le volume des régurgitations pouvaient amener à modifier la position de couchage dorsale des nourrissons.

Rappel : une seule position de couchage, la position dorsale

Il semble exister un conflit de position. Ventrale, tête surélevée, elle limite les régurgitations [2] mais, selon les recommandations NASPGHAN/ ESPGHAN 2009 [3], c’est la position dorsale qui est préconisée actuellement pour limiter le risque de mort subite du nourrisson associé à la position ventrale [4].

La position ventrale réduit les régurgitations mais augmente l’incidence de mort subite

La position ventrale réduit les régurgitations et le reflux acide, surtout si elle est associée à une proclivité de 30° [2, 5]. Elle permet une diminution de l’exposition de l’oesophage au reflux acide en postprandial et de l’index de reflux lors de la pHmétrie (pourcentage de temps passé sous pH 4) [6]. Elle permet aussi de rassurer les parents sur le caractère bénin des régurgitations, du fait de la limitation des symptômes.

Mais le faible bénéfice clinique et la réassurance des parents doivent faire changer le conseil du couchage en position dorsale, du fait de l’augmentation du risque de mort subite du nourrisson en rapport avec le couchage ventral. C’est pourquoi les recommandations les plus récentes préconisent le sommeil en position couchée sur le dos [3]. Ainsi, depuis la préconisation du couchage sur le dos, l’incidence de la mort subite du nourrisson a en effet diminué de plus de 40 % [7].

La position sur le côté ne devrait pas être recommandée

Même si la position couchée latérale gauche diminue l’index de reflux, l’American Academy of Pediatrics [10] recommande de mettre les nourrissons sur le dos pour tous les moments de sommeil, et ne recommande pas la position sur le côté du fait de son caractère potentiellement instable qui peut faciliter un retournement ventral. Cette position bénéficie cependant de la faveur d’un grand nombre de mères. Il est important de leur expliquer que les mécanismes de blocage (oreiller, couverture roulée) ne sont pas suffisants et que les systèmes commercialisés ne respectent pas l’anatomie de l’enfant. Les dispositifs de maintien peuvent aussi s’avérer dangereux.

A noter : l’existence de coussins de positionnement de la tête vendus pour prévenir la plagiocéphalie (aplatissement de l’arrière de la tête du fait du couchage sur le dos) ; alors que celle-ci est habituellement réversible avec l’âge.

Vers l’âge de 4 mois, le nourrisson couché sur le dos peut se retourner de lui-même sur le ventre, se mettant alors dans la position à risque. Il est reconnu qu’un certain nombre de décès peuvent être rapportés à ces premiers retournements, l’enfant n’ayant pas encore suffisamment de tonus cervical pour dégager de luimême ses voies aériennes pour respirer. Ainsi, les campagnes classiques en faveur du couchage sur le dos encouragent, à cet âge charnière, la position ventrale pour le jeu pendant l’éveil, de façon à favoriser l’acquisition d’un bon tonus cervical, et d’alterner la position de la tête lors du coucher (posée sur le côté droit, puis gauche).

Conduite de l’étude LUNE

Cette étude observationnelle de type cas-témoins, transversale, prospective, a été conduite en France métropolitaine auprès d’un échantillon représentatif de pédiatres libéraux de février à juillet 2013. 493 pédiatres (âgés de 53 ± 9 ans ; femmes 54 %) ont inclus 2 693 nourrissons âgés de 3 semaines à 4 mois révolus, ayant une alimentation non diversifiée et répartis selon un ratio 1/1 : 1 347 nourrissons présentant des régurgitations postprandiales compatibles avec le diagnostic de RGO versus 1 346 nourrissons témoins indemnes de régurgitation.

Les résultats

Caractéristiques des nourrissons : des garçons plus souvent, et un confort perturbé

Les enfants inclus sont âgés en moyenne de 2,2 ± 0,9 mois, et ce sont des garçons dans 53 % des cas. Chez les nourrissons régurgiteurs, on a noté davantage de garçons (55 % versus 51 %), une prématurité plus élevée (6 % versus 3 %) et un poids de naissance plus faible, d’environ 90 g.

Un allaitement maternel moins fréquent en cas de régurgitations

34 % des enfants ayant des régurgitations sont allaités au sein, versus 51 % pour les témoins. Ils recevaient plus souvent des biberons de préparation infantile (71,6 % versus 52,3 % ; p < 0,0001), étaient moins souvent nourris à la demande que les témoins (91,6 % versus 70,0 % ; p = 0,0001), bien que le nombre moyen de repas par jour ne soit pas différent entre les deux groupes.

Un inconfort en rapport avec l’importance des régurgitations

Les symptômes associés, en particulier les pleurs, les réveils, les difficultés d’endormissement, sont d’autant plus souvent rapportés par les parents que les régurgitations sont fréquentes et importantes.

Le diagnostic

L’importance des régurgitations a été quantifiée par la codification de Vandenplas, qui attribue un score de 0 à 6 évaluant à la fois la fréquence et le volume des régurgitations.

Chez les 1 347 nourrissons présentant des régurgitations, la fréquence et l’intensité des symptômes étaient le plus souvent modérées (score de Vandenplas 2,3 ± 1,1 en moyenne sur une échelle de 0 à 6) :

• 22,1 % avaient un score de Vandenplas de 1 (< 5 régurgitations d’un volume ≤ 1 cuillère à café par jour) ;

• 47,1 % avaient un score de 2 (> 5 régurgitations d’un volume > 1 cuillère à café par jour) ;

• 30,8 % avaient un score supérieur ou égal à 3 (> 5 régurgitations par jour, d’environ la moitié de la nourriture ingérée à la suite d’au moins la moitié des repas, ou plus).

Le diagnostic de RGO compliqué a été porté dans 30 % des cas. Il est d’autant plus fréquent que les régurgitations sont importantes (p < 0,0001).

Un niveau d’inquiétude plus élevé chez les parents des bébés qui régurgitent : ils s’informent

Les parents des nourrissons qui régurgitent ont un niveau d’inquiétude plus élevé que ceux d’enfants qui ne régurgitent pas (4,8 ± 2,3 vs 1,8 ± 2,0 sur une échelle verbale de 0 à 10 ; p < 0,0001). Il est corrélé à l’importance et la fréquence des régurgitations : plus les régurgitations sont fréquentes et importantes, plus les parents sont inquiets.

Les parents se sont informés par euxmêmes sur la meilleure position à adopter. 79 % des parents de nourrissons qui régurgitent se sont posé des questions sur la position de couchage et son influence sur les régurgitations.

86 % d’entre eux ont recherché des informations :

• auprès de leur pédiatre pour 80 % ;

• auprès d’une puéricultrice ou d’une sage-femme pour 28 % ;

• sur internet pour 36 % ; • dans leur cercle familial pour 28 % ;

• chez leurs amis pour 23 %. Les informations recueillies étaient cohérentes, et elles ont été appliquées par 90 % des parents.

La position de couchage dorsale adoptée majoritairement

A la maternité (figure 1)

La position dorsale est fortement conseillée.

• 80 % des parents (2 166 parents) ont reçu des conseils de couchage dès la maternité.

• 96 % des parents ont eu le conseil de coucher le bébé exclusivement sur le dos au cours des nuits.

• Dans 30 % des cas, ils ont eu en plus le conseil de surélever la tête du nourrisson.

 

Au domicile (figure 2)

Avant la consultation, selon l’interrogatoire de la maman :

• Le décubitus dorsal est adopté par 86 % des mamans pour les siestes et la nuit, chez les régurgiteurs comme chez les témoins.

 

• Ceux qui régurgitent sont plus fréquemment couchés en position proclive (tête surélevée) (51 % versus 28 % ; p < 0,0001).

• La position ventrale était adoptée par 2 % pour les cas et les témoins.

• Pour 60 % des parents, la position dorsale est justifiée pour prévenir la mort subite du nourrisson.

Chez leurs pédiatres

Les pédiatres ont évoqué l’importance de la position de couchage du nourrisson avec 95 % des parents des enfants qui régurgitaient. Une modification de position avait été proposée pour 48 %. La position conseillée était généralement la position en décubitus dorsal proclive (avec surélévation de la tête) dans 70 % des cas.

D’autres conseils ont été donnés (figure3) :

 

• attente du rôt postprandial avant le couchage (77 %) ;

• utilisation d’un lait épaissi (72 %) ;

• prise du repas dans un environnement calme (69 %) et en position semi-assise (64 %) ;

• fractionnement des repas (47 %) ;

• utilisation de tétines/biberons adaptés (39 %).

La prescription de traitements médicamenteux a été négligeable.

Conclusion

L’étude LUNE a montré que les parents des nourrissons qui régurgitent adoptent la position recommandée en décubitus dorsal pour diminuer le risque de mort subite du nourrisson bien que la position de couchage proclive en décubitus ventral ait montré une certaine efficacité sur la réduction des symptômes. La diversité des sources d’information n’entraîne pas de confusion dans l’esprit des parents, et le message concernant l’intérêt du décubitus dorsal n’est pas altéré. Pour les parents, la prévention de la mort subite du nourrisson par le couchage en position dorsale prévaut sur les régurgitations et leur importance.

L’étude LUNE note que le conseil de couchage des pédiatres vis-à-vis des enfants qui régurgitent est de placer l’enfant en position dorsale proclive (70 %), bien que cette position n’ait pas fait preuve de sa supériorité. Peut-être ce conseil est-il donné pour réduire l’anxiété des parents ?

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