Les allergies alimentaires du petit enfant

Au cours du VIe Congrès francophone d’allergologie (Paris, Palais des Congrès), l’actualité a porté sur de nombreux thèmes, en particulier sur les allergies alimentaires. Si quelques nouveaux allergènes sont apparus, les préoccupations des spécialistes se sont surtout portées sur le diagnostic et la prise en charge des allergies aux aliments, angoissantes et source d’altération de la qualité de vie des enfants et de leurs familles.

Les symptômes, le diagnostic

  • Angio-oedème isolé révélateur d’une allergie aux protéines du lait de vache (APLV)

Flammarion et al. (1) ont rapporté cinq cas d’angio-oedème isolé révélateur d’une APLV. Agés en moyenne de 52 jours (extrêmes : 45 à 76 jours), les nourrissons avaient été vus aux urgences pédiatriques pour un angio- oedème des extrémités, isolé, sans éruption, sans symptômes respiratoires, en dehors de tout syndrome infectieux. Quatre d’entre eux avaient été alimentés au sein. Le cinquième recevait un hydrolysat de caséine en raison d’une sub-occlusion néonatale. Leur sevrage étant commencé, ils recevaient des protéines de lait de vache (PLV) depuis 6 à 7 jours.

Tous avaient des IgE sériques spécifiques dirigées contre la bêtalactoglobuline entre 2,72 et 25,5 kU/l (en moyenne 9,57 kU/l), l’un d’eux avait des IgE anti-lactalbumine (0,79 kU/l), et un autre des IgE anti-caséïne (10,3 kU/l). Après 24 heures d’éviction des PLV, les oedèmes ont régressé, puis disparu.

Ce tableau clinique assez inhabituel doit être ajouté à la liste des symptômes plus classiques de l’APLV IgEdépendante : urticaire généralisée, bronchospasme, vomissements, douleurs abdominales, diarrhée, anaphylaxie, menace de mort subite ou mort subite, etc.

  • Nouveautés au cours de l’allergie à l’œuf

La prévalence alléguée de l’allergie à l’œuf de poule va jusqu’à 7 %, mais elle chute à 1,7 % si l’on ne tient compte que des tests de provocation par voie orale (TPO) positifs. Les symptômes sont ceux de l’allergie IgE-dépendante, mais il existe aussi des formes retardées aux mécanismes mixtes, IgE et non IgE-dépendants (dermatite atopique, œsophagite allergique à éosinophiles, gastro-entérite allergique à éosinophiles, entérocolite) (2).

L’allergénicité de l’œuf est variable selon sa présentation. Elle est diminuée par la cuisson. Il existe des allergies uniquement à l’œuf cru, à l’œuf mal cuit, parfois à l’œuf cru et cuit.

Le blanc, principale source d’allergènes, comporte 23 glycoprotéines différentes, les allergènes majeurs étant l’ovomucoïde (Gal d 1), l’ovalbumine (Gal d 2), l’ovotransferrine (Gal d 3) et le lysozyme (Gal d 4). L’ovomucoïde (10 % du contenu protéique) est un allergène important, car il est thermostable et résiste à la digestion : il comporte 186 acides aminés configurés en 3 régions parallèles (Gal d 1.1, Gal d 1.2. et Gal d 1.3.).

Le jaune comporte aussi des allergènes potentiels, mais ils sont encore mal étudiés.

Soupçonné par la clinique, le diagnostic d’AA à l’œuf ne peut être confirmé que par le TPO (2). Les tests cutanés ont une excellente sensibilité et valeur prédictive négative. Par contre, leur spécificité et valeur prédictive positive sont mauvaises. En d’autres termes, ils permettent d’exclure une AA à l’œuf s’ils sont négatifs, mais, en cas de positivité, ils ne permettent pas de l’affirmer.

Des espoirs ont été fournis par la détermination de valeurs seuil des IgE spécifiques (IgEs) ou au-dessus desquelles (cut-off) le TPO a de grandes chances d’être positif (3). En fait, ces valeurs varient entre 1,2 kU/l et 12,6 kU/l (c’est-à-dire dans une proportion de 1 à 10) pour une valeur prédictive positive de 95 %. Ces disparités sont dues aux caractéristiques de la population étudiée, à l’âge des enfants et au degré de sensibilisation. Toutefois, l’association de la taille de la papule produite par le prick test et de la valeur des IgEs améliorerait le diagnostic (4). Enfin, l’augmentation des IgEs est corrélée à la gravité des symptômes cliniques au cours des TPO (5).

Important : le dosage des IgG4 anti-œuf est inutile pour le diagnostic et la surveillance de l’évolution. Le dosage des IgE contre l’ovomucoïde est d’une grande importance pour le diagnostic et la surveillance : des valeurs élevées sont associées à une AA à l’œuf cru et cuit, alors que des valeurs basses sont associées à une tolérance à l’œuf cuit (6).

L’utilité des biopuces (microarray) permettant de détecter de façon semi-quantitative les IgE dirigées contre 103 allergènes (ImmunoCAP ISAC) dans 20 microlitres de sang capillaire est encore à l’étude. Cet examen n’est pas remboursé.

Il existe donc de nombreux profils d’allergie alimentaire à l’œuf et, par conséquent, des évolutions différentes que le clinicien aimerait bien prévoir (voir ci-dessous). Le test de référence reste le TPO.

  • Intérêt des allergènes moléculaires pour le diagnostic de l’allergie à l’arachide

Arnaud et Just, Paris (7) ont dosé les IgEs dirigées contre les allergènes moléculaires Ara h 1, Ara h 2 et Ara h 3 chez 62 enfants sensibilisés à l’arachide (20 % de réactions sévères) et ayant bénéficié d’un TPO. 33 TPO furent négatifs et 29 positifs.

Les conclusions ont été les suivantes :

• la positivité des IgEs dirigées contre les 3 allergènes moléculaires majeurs de l’arachide prédit un TPO positif (spécificité 96,2 %, sensibilité 42 %, valeur prédictive positive 99,6 %, valeur prédictive négative 7,1 %) ; inversement, la négativité de ces 3 dosages prédit un TPO négatif ;

• l’allergie à l’arachide est également vraisemblable en cas de positivité des IgEs Ara h 2 supérieures à 2,83 kU/l ; leur valeur est corrélée à la gravité de l’allergie ;

• dans ces cas, le TPO n’est pas nécessaire, sauf si l’on souhaite rechercher le seuil réactogène (7).

Toutefois, dans un cas récent, un enfant ayant une AA à l’arachide authentique était sensibilisé à rAra h 9 (8,7 kU/l) et non aux trois allergènes de recombinaison Ara h 1, Ara h 2 et Ara h 3, ce qui est le cas pour 95 % des allergiques à l’arachide en France (8). Le fait que l’enfant soit originaire d’Espagne explique ce profil de sensibilisation qui est particulièrement fréquent dans ce pays (8).

L’approche moléculaire est importante pour le diagnostic allergologique, mais elle ne donne pas des résultats indiscutables. Il faut l’interpréter en fonction de chaque cas et de l’environnement.

Évolution et prédiction de l’évolution

  • Prédiction de la guérison de l’allergie aux protéines du lait de vache (PLV)

L’APLV tend à disparaître avec l’âge (plus de 90 % sont guéris avant l’âge de 5 ans). Le TPO permet de confirmer ou non l’acquisition de la tolérance. L’étude de Payot et al., Lyon (9) a porté rétrospectivement sur 184 nourrissons ayant présenté une APLV au moment du sevrage.

138 enfants (75 %) ont acquis la tolérance aux PLV après leur première épreuve de réintroduction, entre 12 et 24 mois, ce qui correspond aux données de la littérature. L’exploration allergologique était statistiquement différente en fonction du résultat du TPO. La papule induite par le prick test était à 2,1 mm (succès) vs. 5,1 mm (échec) (p = 0,0004). Les IgE dirigées contre le lait étaient à 1,9 kU/l (succès) vs. 10,9 kU/l (échec) (p = 0,0008), et les IgE contre la caséine à 1 kU/l (succès) vs. 15,5 kU/l (échec) (p = 0,0004).

Les résultats des prick tests et des IgE permettent donc de prévoir l’acquisition de la tolérance au lait de vache évaluée par le TPO. Si cette étude n’a pas pu fixer des valeurs seuil pour décider la réalisation d’un TPO, elle a cependant permis d’établir des courbes de probabilité de succès selon le diamètre de la papule du prick test et la valeur des IgE.

  • Prédiction de la guérison de l’allergie à l’œuf

On estime que 40 à 70 % des allergiques à l’œuf guérissent à l’âge de 3-4 ans. Quelques éléments de prédiction sont donnés plus haut (2).

Un protocole d’étude multicentrique va être mis en place (10). Il étudiera les profils de sensibilisation/allergie de cette AA hétérogène. En dehors des 4 allergènes majeurs (ovalbumine, ovotransferrine, ovomucoïde, lyzozyme), d’autres protéines du blanc d’œuf (ovomucine, avidine) ainsi que les fractions du jaune d’œuf (lipovitellines/HDL, phosphovitines/LDL, livétines) seront étudiées dans une cohorte d’enfants, ainsi que les réactions de ces derniers à ces allergènes (10).

Immunothérapie orale au cours des allergies alimentaires

L’éviction ne permettant pas d’acquérir la tolérance immunitaire aux aliments, plusieurs groupes ont mis en place des protocoles d’induction de tolérance1 que M. Morisset (Nancy) analyse dans une excellente mise au point (11).

  • Allergie aux protéines du lait de vache

L’induction de tolérance orale aux PLV permet une guérison complète chez 80 % des enfants avant l’âge de 4 ans. Une tolérance partielle, cependant suffisante pour protéger le patient contre des ingestions accidentelles, est obtenue dans 85 à 90 % des cas (11).

  • Allergie à l’œuf

• Deux protocoles, américain (20 patients) et japonais (6 patients) comportent une phase rush à l’hôpital, puis une période de maintenance (11). Dans le premier, les doses étaient croissantes jusqu’à 200 mg puis, à domicile, par paliers de 15 jours, les patients arrivaient à consommer 300 mg de protéines d’œuf dans 75 % des cas. Dans le second, au cours de la phase rush, les sujets consommaient de l’œuf cru toutes les 30 minutes jusqu’à 1 g, le relai étant pris avec de l’œuf cuit. Au bout d’une hospitalisation de 9 à 18 jours, ils arrivaient à consommer 60 g d’œuf cuit.

• D. de Boissieu, Paris (12) a analysé 6 protocoles de réintroduction de l’œuf (12). Les âges sont très variés (6 mois à 55 ans), ainsi que la présentation des aliments, la technique de l’essai (2 randomisés et 4 ouverts), la dernière dose (300 mg de poudre d’œuf lyophilisé à 1 œuf dur), la dose de maintenance est très variable, la durée des protocoles va de 4 à 24 mois. Les indications restent donc à préciser car certains enfants acquièrent spontanément la tolérance .

• Hoppé et al., Angers (13) ont effectué une induction de tolérance à l’œuf chez 11 enfants, 5 garçons et 6 filles, âgés en moyenne de 9,2 ans, selon une progression individuelle d’après la détermination du seuil de réactivité au cours d’un TPO (13). Par sécurité, la première dose à domicile était le 1/10e de la dose atteinte au cours du TPO. Les doses quotidiennes, à domicile, correspondaient à des boudoirs puis à des portions de « gâteau-maison » jusqu’à un gâteau entier. 7 enfants sur 11 (64 %) ont pu consommer de l’œuf sans limitation au bout de 3,4 mois, 2 tolèrent un demi œuf, et 2 ont abandonné le protocole (refus ou vomissement des premières doses).

L’élargissement du régime avec consommation de biscuits très cuits est une première étape dans son acquisition (12).

  • Allergie à l’arachide

L’immunothérapie orale à l’arachide est possible, à condition d’être effectuée de façon très progressive et pendant une longue période, avec une prise de risque acceptable.

Dans une étude américaine le choc anaphylactique et l’asthme sévère ou non contrôlé sont exclus du protocole. Par contre, dans une autre (14) portant sur des patients atteints d’anaphylaxie (ceux qui auraient le plus besoin d’être traités !), l’immunothérapie orale a échoué. Moneret-Vautrin (15) utilise un protocole par voie sublinguale où l’augmentation des doses est très progressive.

Ces études restent encore trop disparates et il faudrait développer de grands protocoles contrôlés, multicentriques.

  • Omalizumab au cours des allergies alimentaires sévères

Un cas d’AA sévère au lait de vache avec échec d’une induction de tolérance par voie sublinguale a été traité par omalizumab (16). Cette AA avait débuté au cours des premiers mois de vie et plusieurs tentatives d’induction de tolérance furent infructueuses. A l’âge de 10 ans, la récidive des accidents anaphylactiques et le risque d’asthme fatal firent entreprendre une immunothérapie sublinguale sous omalizumab. Après 5 mois de traitement le TPO au lait était négatif pour 320 ml ce qui a permis de reprendre l’immunothérapie sublinguale au lait sous omalizumab. Actuellement, l’enfant consomme 8 ml de lait quotidiennement, sans risquer une anaphylaxie par ingestion d’aliments contaminés par les PLV.

Cette technique, intéressante, ne s’adresse qu’aux AA sévères, réfractaires à l’induction de tolérance, et mettant en jeu le pronostic vital.

  • Vaccination et allergie à l’œuf : une campagne d’information auprès des médecins est indispensable

E. Bidat (Boulogne) a produit une excellente revue critique (17). Chez l’allergique à l’œuf, les vaccins ROR, grippe, fièvre jaune, rage, encéphalite à tiques font peur aux patients et aux médecins, qui les contre-indiquent trop souvent dans cette population. Les mentions légales de ces vaccins renforcent l’opinion des médecins sur leurs dangers. Pourtant, les accidents allergiques de ces vaccinations sont exceptionnels chez les allergiques à l’œuf. Les rares réactions ne sont probablement pas en rapport avec l’allergie à l’œuf mais avec la gélatine ou la néomycine que certains contiennent. Les vaccins actuels contiennent des quantités infimes de protéines d’œuf ou n’en contiennent pas (ROR, rage). Depuis longtemps, il est démontré que le contenu en ovalbumine de la majorité des vaccins actuels (moins de 1,2 μg/ml, souvent nettement moins) ne déclenchait pas de réaction chez les allergiques.

Une campagne d’information des médecins est indispensable pour éviter des coûts de santé inutiles. Cet article de Bidat est à lire et à relire

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