Les ancêtres du biberon d’aujourd’hui

De l’allaitement au biberon, nous avons raconté au travers de la collection Dufour (1) son développement au cours de l’Antiquité et du Moyen-Age, pour arriver à la version moderne de cet ustensile si précieux.

 

Dès la fin du XVIe s. apparaît le biberon bouteille, proche du sein maternel. En forme de flacon, il permet d’obtenir le lait par succion. Jusqu’au XVIIIe s., ce récipient affirme sa suprématie, quelle que soit la variété des formes et des matériaux.

Les matériaux

Le biberon de bois

Bon marché, plutôt utilisé par les familles peu fortunées, il est cylindrique et mesure environ 15 cm (figure 1). Généralement en hêtre et en buis, bois fragiles, bien peu sont parvenus jusqu’à nous ; la peinture nous confirme leur essor (2).

 

Le biberon en étain

Son utilisation remonte aux XVIIe et XVIIIe s. En forme de bouteille piriforme (15 cm pour 150 ml), il a un corps bulbeux sur piédouche, surmonté d’un col étroit terminé par un bec formant tétine (figure 2), habituellement, seule la tétine se dévisse, permettant le remplissage et un nettoyage approximatif. Son utilisation au moment du sevrage de l’enfant est attestée dans l’ouvrage de Pirre-Augustin Salmon (3). D’autres, plus élaborés disposent d’un pas de vis séparant le récipient en deux, rendant l’entretien plus efficace. La tétine n’est pas toujours percée que d’un seul trou (4) ; l’exemplaire le plus récent de Fécamp possède un bec scié autour duquel est noué un “drapeau” de tissu, procédé utilisé au XIXe s. avec les premiers biberons de verre. Le modèle de biberon de la figure 3 est le même que celui cité par les Archives départementales de Seine-Maritime dans une expérience d’allaitement artificiel en 1763-64 à l’Hôpital général de Rouen pour diminuer la mortalité des enfants en nourrice (5). Ces ustensiles n’eurent pas les résultats escomptés : sur 149 enfants placés en nourrice entre 1762 et 1763, on dénombre 125 décès et, sur 132 enfants hospitalisés entre 1763 et 1764, 115. Ils sont cependant utilisés jusqu’au début du XXe s., même si, dès la fin du XVIIIe s.apparaissent leurs jumeaux en fer blanc : la forme s’apparente à des ustensiles de cuisine et ils sont munis d’éponge (figure 4).

Le biberon en faïence

En forme de gourde (figure 5), puis de pot avec une anse pour la préhension et un bec verseur (figure 6). Ces poteries sont utilisées jusqu’au début du XXe s.en Bretagne comme pod-brommek (pot-mamelle) (figure 7), en faïence de Quimper ou terre vernissée. Dufour précise qu’en « Bretagne on retrouve encore des guttules modernes qui, légèrement modifiées sont la reproduction de celles de la période gallo-romaine retrouvées dans le pays de Caux » (6).

Le biberon de verre

Baldini, en 1780, conçoit un modèle avec embout en métal doré formé de deux capsules hémisphériques s’emboîtant pour former une cavité recevant une petite éponge dont l’enfant suçait la partie externe ( figure 8 ) (7). Généralement en verre soufflé (de 200 à 300 ml), il a des formes variables (figure 9) : cornue d’expérience, conique, avec manchon de remplissage, petite bouteille. Le bec est en verre percé d’un orifice, avec pas de vis en étain destiné à accueillir un bec formant tétine, ou un simple rebord débordant où est noué un drapeau. Ces fioles continuent à être utilisées dans le pays de Caux jusqu’au XIXe s. Des gourdes espagnoles, des “Porrons” figurent dans la collection (figure 10) : utilisées pour boire à la régalade, elles ont été utilisées comme biberon chez un enfant qui sait déjà boire.

Évolution des formes

Le biberon limonade

A la fin du XVIIIe s. il s’aplatit, s’allonge et prend le nom de “limande” (figure 11). Il est en verre soufflé (environ 25 cm et 250 ml), la tétine et le corps ne font qu’une pièce, l’orifice de remplissage médiodorsal permet de moduler le débit à l’aide du pouce. A l’extrémité du bec sont fixés une éponge ou un drapeau pour adoucir le contact des gencives du bébé. Cette forme perdure jusqu’au début du XXe s. Progressivement, le bec est remplacé par un large goulot sur lequel un pas de vis permet d’adapter un bec en verre ou porcelaine, ou un bouchon, prolongés par une tétine en os ou ivoire pour les premiers modèles, en caoutchouc plus tardivement (figure 12).Certains ont un goulot sur lequel s’adapte un bouchon de verre percé équipé d’un long tube (figure 13).

 

Le biberon sabot

Le goulot,toujours de grande largeur, se relève et la forme du biberon est proche d’un sabot (figure 14). Créé en 1899, le “parfait nourricier” est le chef de file de ces biberons sabots modernes. La régulation du débit se fait au moyen d’un bouchon valve, à l’opposé du goulot muni d’une tétine en caoutchouc. Facilement nettoyable, il bénéficiera de l’interdiction du biberon à tube (voir plus loin) mais il est progressivement abandonné car difficile à ranger dans les stérilisateurs. Celui des établissements Leplanquais, le “biberon du docteur Constantin” (figure 15) connut une diffusion importante car seul reconnu par la Société protectrice de l’enfance et autorisé dans les crèches de Paris, d’où son nom de “biberon des crèches”. Parmi les concurrents, on note les noms de Robert, l’incomparable nourricier Grandjean, le biberon Baudart.

 

La saga du biberon à tube

Au début du XIXe s., en pleine période du biberon limande, apparaît le biberon à pis de vache, puis à tube. Le “biberon de la veuve Breton”, déposé en 1824, comporte 2 innovations : un bouchon en buis obturant le goulot destiné à recevoir une tétine de vache, un trou capillaire dans le corps du biberon pour réguler le débit d’air. Ces inventions bénéficient d’une récompense de 500 Francs pour le « service (…) rendu à l’humanité par le perfectionnement des mamans artificielles » (ordonnance du roi Charles X, en 1824). La tétine se fixe sur le bouchon en forme de cône, muni de 2 rainures circulaires destinées à la maintenir solidement et empêcher qu’elle soit avalée par l’enfant. La vogue de ce biberon est telle qu’il va être l’objet de contrefaçons réprimées par la justice (8) et il sera protégé par une ordonnance du 23 juin 1827. Des récompenses aux expositions de 1827, 34, 39 et 44 confortent ce succès commercial. Mais, en 1834, surgit une polémique entre Darbo promoteur de la tétine en liège (figure 16) et madame Breton. Il est modifié avec un long tube en bois, parfois en métal coudé, avec un embout sur lequel s’adapte une tétine en ivoire, os ou caoutchouc. C’est ce mécanisme qui équipe le biberon Thiers, flacon à panse étranglée permettant la préhension : le tube métallique plongeant peut traverser un bouchon de liège et être surmonté d’une boule creuse en bois où s’articule un manchon portant la tétine. Le bouchon permet l’étanchéité entre flacon et mécanisme lors de l’inclinaison. C’est au biberon à long tube ou à long tuyau que l’on doit l’essor de l’allaitement artificiel. De formes diverses, ils sont pourvus d’un bouchon percé de deux trous, l’un pour l’air, l’autre pour le tube en caoutchouc (figure 17).

Puis apparaît le tube plongeur muni d’une petite valve distale unidirectionnelle, coupée en sifflet d’où le nom de “biberon à soupape”. Il existe de multiples modèles (le nom de l’inventeur est gravé dans le verre) qui ne diffèrent que par d’infimes détails (9). Dans la collection Dufour figurent des bouteilles d’usage quotidien telles les champenoises recevant un bouchon muni du système du long tuyau. Le plus célèbre biberon à tuyau “Robert”est adopté par la majorité des nourrices. La longueur du tube permet à l’enfant de téter à la demande… et à la nourrice de vaquer à ses occupations. La popularité du Robert est telle que ce nom va désigner la poitrine féminine ! D’autres perfectionnements sont inventés : bras de suspension, thermomètre, gradation crémométrique. Si le tube en caoutchouc initialement vendu est de bonne qualité, les tubes de remplacement contiennent des oxydes métalliques, responsables d’empoisonnement. Les boîtes contiennent un prospectus explicite et un goupillon nécessaire au nettoyage, mais celui-ci est rarement effectué et le caoutchouc prend rapidement une mauvaise odeur. Un examen sur les tubes en usage dans les crèches de Paris montre « la présence d’amas plus ou moins abondants d’une végétation cryptogamique » dont la culture précise la nature mycotique (10). Au congrès d’hygiène de 1889 est proposée l’interdiction du biberon à tube, les médecins inspecteurs chargés de vérifier l’application de la loi Roussel admonestent les nourrices qui l’utilisent (11) et, dans de nombreuses régions, les préfets prennent des arrêtés supprimant les récompenses aux nourrices employant ces biberons ou en interdisant l’usage (12). Le 6 avril 1910 est promulguée la loi en interdisant la vente. La tétine reprend sa place, et est alors directement vissée sur le goulot.



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