Les désordres fonctionnels gastro-intestinaux

Les désordres fonctionnels gastro-intestinaux (dfgi) sont des pathologies fréquentes pouvant affecter environ 25 % des enfants (27 % des 0-3 ans (1) et 23,1 % des 4-18 ans (2) selon une étude américaine). Les dfgi ont parfois des répercussions importantes sur leur vie, leur scolarisation et la vie de la famille. Leur étiologie est mal ou peu comprise et pour l’instant, aucun traitement n’a fait la preuve de son efficacité.

Étiologie

Un certain nombre des désordres fonctionnels gastro-intestinaux touchent, à l’évidence, le tube digestif puisqu’ils se manifestent par des troubles du transit affectant soit la partie supérieure du tube digestif (régurgitation, vomissement, aérophagie) soit la partie inférieure (diarrhée, constipation, incontinence).

Le tube digestif n’est pas toujours en cause

D’autres symptômes comme les douleurs abdominales, allant d’un simple inconfort à des douleurs aiguës, ont parfois d’autres origines, à l’instar de la migraine abdominale. Des mécanismes centraux peuvent parfois être invoqués ainsi que la responsabilité des organes annexes du tube digestif, d’autres organes abdominaux ou de la paroi abdominale.

Autres hypothèses

Les toutes premières hypothèses étaient mécanistiques, du domaine de la motricité, de “l’irritation” ou de la perméabilité. Puis, après leur découverte, la part belle a été donnée aux hormones digestives ainsi qu’à tous les neurotransmetteurs présents dans le tube digestif. La sensibilité viscérale augmentée soit par des mécanismes périphériques soit par des mécanismes centraux a également été mise en cause. L’axe intestin-cerveau est né (3).

La génétique a été également impliquée.

Avec la découverte de l’importance du microbiote, d’autres hypothèses sont soulevées, d’autant plus difficiles à vérifier qu’aucune corrélation claire n’apparaît dans le cadre des désordres gastro-intestinaux dits fonctionnels. Cependant, des modifications comportementales liées au microbiote peuvent être démontrées dans certains cas. Enfin, de guerre lasse, des modèles psychosociaux sont développés, n’apportant toujours pas de réponse définitive à la symptomatologie présentée (3).

Tableau clinique

Symptomatologie principale

La présentation clinique varie selon l’âge. Les régurgitations et les coliques sont les symptômes les plus fréquents chez l’enfant de moins de un an. Selon une étude américaine, avant un an, les régurgitations représentent 25,9 % des dfgi (1). Ainsi, 67 % des nourrissons présentent des régurgitations à 4 mois puis la prévalence diminue avec l’âge pour atteindre 5 % entre 10 et 12 mois (5). Entre 1 et 3 ans, la constipation constitue la symptomatologie principale et représente 9,4 % des dfgi (1). Entre 4 et 18 ans, la constipation représentant 12,9 % des dfgi et la migraine abdominale, 9,2 %, sont à quasi-égalité (2). L’analyse de la symptomatologie clinique est longue et compliquée, mais permet néanmoins, dans la plupart des cas et en s’aidant de l’histoire familiale, d’orienter le diagnostic vers tel ou tel type de désordre dit fonctionnel ou vers une pathologie organique.

Examen clinique

L’examen clinique qui s’ensuit apporte quelques éléments intéressants en particulier sur une étiologie allergique ou la présence de lésions digestives a priori organiques en examinant la bouche et l’anus. L’examen de l’abdomen quant à lui permet de mieux localiser la douleur et ses caractéristiques.

Examens complémentaires

Les examens complémentaires sont, dans la plupart des cas, inutiles et la découverte d’anomalies fortuites ne permet souvent pas de faire avancer le diagnostic ou peut même l’orienter dans une fausse direction.

L’échographie abdominale, prolongation de la main de l’examinateur peut permettre de préciser certains points douloureux.

Les examens biologiques peuvent permettre de rassurer les parents et l’examinateur et éventuellement de confirmer une impression clinique ou encore d’éliminer les rares maladies que la clinique ne permet pas de découvrir facilement.

Diagnostic

Une démarche diagnostique basée sur les différents signes est difficile à résumer, mais l’a été de fort belle manière par l’équipe de la Mayo Clinic chez l’adulte (6).

En pédiatrie, ce mode d’examen n’a pas encore été validé, mais mériterait de l’être. Une synthèse en français a été réalisée, en 2015, sur les douleurs abdominales fonctionnelles lors des Journées parisiennes de pédiatrie par le Dr Molitor. Une conférence de consensus dite « Rome IV » vient de faire le point en mai 2016 sur les critères à retenir pour les différents diagnostics de dfgi chez le nourrisson et l’enfant de moins de 4 ans (7) puis chez l’enfant et l’adolescent (8).

Le paradigme souvent appliqué – douleurs abdominales, radio de l’abdomen sans préparation, découverte de selles sur la radio, diagnostic de constipation et traitement par lavement – a le mérite de soulager momentanément la douleur abdominale par la stimulation nociceptive du bas de l’intestin et d’améliorer partiellement certains patients en résolvant l’une des composantes de leur dfgi (7) (8). En effet, les moins de 3 ans sont plus de 12,6 % à présenter deux dfgi en même temps (1). Entre 4 et 18 ans, 1 enfant sur 2 cumule deux dfgi (2).

Ceux, et ils sont nombreux, dont le cas n’a pas été résolu par cette méthode expéditive devront faire l’objet d’une analyse détaillée. La prise en charge devra revêtir un minimum de critères de qualité en particulier dans le langage et l’attitude du médecin traitant.

Toutes ces données sont précisées dans des ouvrages concernant la médecine adulte et pédiatrique.

Traitement

Du point de vue diététique pour les nourrissons, seuls l’épaississement du lait (9) et le positionnement restent recommandés pour limiter les régurgitations. Dans les autres cas, aucun régime n’a jusqu’à présent fait la preuve de son efficacité, mais la rééquilibration d’un régime en eau et en fibres, par exemple, fait partie des conseils habituels. Devant l’abondance de l’offre commerciale, le patient peut néanmoins être troublé et la pseudo science établir aisément son discours.

De même, les traitements médicamenteux le plus souvent inutiles finissent par se résumer dans la littérature américaine à l’utilisation d’extraits de menthe poivrée. Une fois le ou les dfgi dûment diagnostiqué(s), un

traitement médicamenteux (7, 8, 10) voire des probiotiques (11-13) peuvent améliorer les symptômes présentés. Le Lactobacillus reuteri DSM 17938, peut diminuer les cris des enfants atteints de coliques (10) (14).

Les méthodes manuelles, que ce soit les massages ou l’ostéopathie, trouvent évidemment leur place dans le vide laissé par l’allopathie, vide dans lequel s’engouffrent également l’homéopathie et la phytothérapie. Enfin, la prise en charge psychologique et psychiatrique ou les traitements alternatifs comme la thérapie comportementale ou l’hypnose peuvent trouver des adeptes. Ils peuvent avoir un certain effet favorable.

L’évolution à long terme est grossièrement favorable dans la moitié des cas (15). Mais, l’autre moitié des patients continuera à présenter des troubles analogues à l’âge adulte, les antécédents familiaux semblant être, dans ce cas, un facteur prédisposant.

L’avenir du traitement en pratique pédiatrique

Une façon de voir les choses est de s’en rapporter, comme le font les États-Unis, au coût de la pathologie par rapport au temps disponible des médecins.

Dans certaines pathologies digestives, en effet, les recommandations sont, après identification précise de certaines sous-catégories de patients, de limiter les examens et les consultations pour ne pas dépenser des ressources financières forcément limitées et de perdre son énergie à des résultats peu satisfaisants (16).

Il n’en reste pas moins vrai que la pathologie fonctionnelle est passionnante à étudier et qu’elle reste pour le praticien un challenge pour diagnostiquer, dans de rares cas, une pathologie organique sous jacente et curable. Un accompagnement adapté et attentif associant l’empathie, la réassurance et l’éducation tout en adaptant une prise en charge médicamenteuse reste souvent le meilleur remède.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.


1. Van Tilburg MAL et al. Prevalence of functional gastrointestinal disorders in infants and toddlers. J Pediatr 2015 ; 166 : 684-689.

2. Lewis ML, Palsson OS et al. Prevalence of Functional Gastrointestinal Disorders in Children and Adolescents. J Pediatr 2016 ; 177 : 39-43.

3. Bonaz B. Communication entre cerveau et intestin. La Revue de médecine interne 2010 ; 31 : 581-85.

4. Christophe Faure. Désordres fonctionnels gastro-intestinaux. Editions John Libbey Eurotext 2016. Progrès en Pédiatrie. chap 14 : 179-187.

5. Hyman P.E. et al. Childhood functional gastrointestinal disorders : neonate/toddler. Gastroenterology

2006 ; 130 : 1519-26.

6. Molitor G. Les douleurs abdominales : que faire en pratique? www.jppediatrie.com/ wp-content/uploads/2015/MOLITOR-DAF-Paris-

0310156M-Paris.pdf.

7. Benninga MA et al. Childhood Functional Gastrointestinal Disorders : Neonate/Toddler. Gastroenterology 2016 ; 150 : 1443-55.

8. Hyams JS, Di Lorenzo C et al. Childhood Functional Gastrointestinal Disorders : Child/Adolescent.

Gastroenterology 2016 ; 150 : 1456-68.

9. Vandenplas Y, Leluyer B et al. Études comparatives en double aveugle sur 2 formules infantiles anti-régurgitations. JPGN 2013 ; 57 : 389-93.

10. Korterink J, Juliette M. T. M Rutten J, MD, Leonie Venlans, PhD, Marc A. Benninga, MD, PhD, Merit M. Tabbers, MD, PhD. Pharmacologic Treatment in Pediatric Functional Abdominal Pain Discorders: A Systematic Review. J.of Ped., Feb 2015, vol 166, Issue 2, p. 424-431.e6. 14. 15.

11. Szajewska H, Gyrczuk E, Horvath A. Lactobacillus reuteri DSM 17938 for the management of infantile colic in breastfed infants : a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. J Pediatr 2013 ; 162 : 257-62.

12. Urbanska M, Szajewska H. The efficacy of Lactobacillus reuteri DSM 17938 in infants and children : a review of the current evidence. Eur J Pediatr 2014 ; 173 : 1327-37.

13. Weizman Z, Abu-Abed J, Binsztok M. Lactobacillus reuteri DSM 17938 for the Management of Functional Abdominal Pain in Childhood: A Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial. J. of Ped 2016 ; 174 : 160-64.

14. Savino F, Cordisco L, Tarasco V, et al. Lactobacillus reuteri DSM 17938 in infantile colic : a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Pediatrics 2010 ; 126 : 526-33.

15. Hotopf M, Carr S, Mayou R, Wadsworth M, Wessely S. Why do children have chronic abdominal pain, and what happens to them when they grow up? Population based cohort study. BMJ 1998 ; 316 : 1196-200.

16. Hoekman D, Rutten J et al. Annual Costs of Care for Pediatric Irritable Bowel Syndrome, Functional Abdominal Pain, and Functional Abdominal Pain Syndrome. J of Ped 2015 ; 167 : 1103-08.


 


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