Les fausses allergies alimentaires

En 1983, Moneret-Vautrin et André ont distingué l’allergie alimentaire et les fausses allergies alimentaires (ou pseudo-allergies alimentaires). Cette distinction clinique a été très importante.
Elle montre qu’un même symptôme (urticaire, vomissements, douleurs abdominales, asthme, choc) peut être dû, non seulement à une allergie IgE-dépendante, mais aussi à un mécanisme non immunologique comme l’ingestion d’aliments riches en histamine ou histamino-libérateurs.

Introduction

En fonction des modalités de la pénétration des allergènes alimentaires dans l’organisme, on peut distinguer, sur le plan sémantique :
• l’allergie alimentaire (AA) ;
• et l’allergie digestive (AD).

L’allergie digestive est définie par les symptômes souvent IgE-dépendants (mais pas uniquement) secondaires à l’ingestion des aliments, du syndrome d’allergie orale ou syndrome d’Amlot et Lessof (1), jusqu’à la rectocolite à éosinophiles.
L’allergie alimentaire désigne les symptômes secondaires à une exposition aux allergènes alimentaires par voie digestive, mais aussi par passage cutané ou muqueux, et même par voie respiratoire, le plus souvent IgEdépendants (2).
En 2001, une nouvelle classification des symptômes allergiques a été recommandée par les experts de la European Academy of Allergy and Clinical Immunolgy (EAACI) (3).
Ils ont proposé d’utiliser le terme “hypersensibilité” pour désigner les symptômes de réactions adverses aux aliments, dus à un mécanisme soit immunologique, soit non immunologique, regroupés selon un schéma dit de l’ombrelle (figure 1).
Ils ont ensuite appliqué ce schéma aux divers symptômes de l’allergie (asthme, rhinite, eczéma, anaphylaxie, allergie alimentaire).

L’hypersensibilité alimentaire pouvait alors être :
• soit allergique ;
• soit non allergique.

En cas d’hypersensibilité allergique, le mécanisme pouvait être médié par les IgE ou non (figure 2) (3).
Cette classification, mise à jour en 2004, est indépendante de l’organecible et de l’âge des patients (4).

En 1983, Moneret-Vautrin et André (5) ont proposé de distinguer l’allergie alimentaire et les fausses allergies alimentaires (ou pseudo-allergies alimentaires).
Cette distinction clinique a été très importante, montrant en particulier qu’un même symptôme (urticaire, vomissements, douleurs abdominales, asthme, choc) pouvait être dû non seulement à une allergie IgEdépendante, mais aussi à un mécanisme non immunologique comme l’ingestion d’aliments riches en histamine ou histamino-libérateurs.
Il existerait 1 allergie alimentaire vraie pour 3 fausses allergies alimentaires (6, 7).

Aspects cliniques et diagnostic

On admet en général que les symptômes cliniques des fausses allergies alimentaires sont moins sévères que ceux des allergies alimentaires vraies, sauf le cas particulier du choc histaminique (voir ci-dessous).

  • Les symptômes

Les symptômes des fausses AA sont cutanés (eczéma, urticaire aiguë ou récidivante, angio-oedème, syndrome d’allergie orale), plus rarement respiratoires (toux, sifflements thoraciques, gêne respiratoire, asthme) ou digestifs (nausées, vomissements, diarrhée). Si le choc est plus fréquent au cours des allergies vraies que des fausses AA, il n’est cependant pas absent au cours de ces dernières. En effet, le choc histaminique, symptôme important de fausse AA, est fréquent au cours de la scombroïdose, affection qui peut être très sévère. Cette intoxication tirant son nom de Scombridés (poissons de haute mer) est due à la dégradation de la chair de ces poissons bleus (thon, sardines, maquereaux, etc.) mal conservés (rupture de la chaîne du froid) par transformation de l’histidine de la chair des poissons en histamine sous l’action des bactéries.
En dehors de la scombroïdose, il existe d’autres types d’empoisonnement par les poissons, en particulier le syndrome de ciguatera (encadré 1).

 

 

Le symptôme le plus fréquent des fausses allergies alimentaires est l’urticaire aiguë (enfants) et les urticaires récidivantes ou chroniques (adultes). La réactivation d’une dermatite atopique, par exemple à la suite d’un excès d’apport en aliments riches en histamine ou histamino-libérateurs, est souvent rapportée.

  • Les éléments du diagnostic

Le diagnostic des fausses AA est basé sur 4 critères :
1. les résultats du journal alimentaire ;
2. la négativité de l’exploration allergologique à la recherche d’une allergie IgE-médiée à un ou plusieurs aliments ;
3. les particularités cliniques propres à chaque cause de fausse allergie alimentaire ;
4. la disparition des symptômes après la rééquilibration du régime ou la prise de mesures spécifiques.

Le journal alimentaire est basé sur le relevé des aliments et boissons consommés pendant une semaine1. Il faut garder toutes les étiquettes des aliments consommés.

Les aliments sont répartis de façon semi-quantitative en 7 classes :
1. aliments riches en histamine,
2. aliments histamino-libérateurs,
3. féculents,
4. lait,
5. alcool,
6. café,
7. tyramine.

On note le nom de l’aliment et des boissons, leur composition, la quantité consommée (cuillère, verre, portion, assiette), les modalités de préparation (cru, grillé, cuit, en sauce), les huiles et condiments utilisés (3-5).
Ce relevé, analysé et décodé si possible par une diététicienne entraînée, permet de réaliser une enquête alimentaire catégorielle. Cette enquête alimentaire, imaginée pour l’exploration des fausses AA de l’adulte, doit être adaptée à l’enfant en particulier en prenant spécifiquement en compte les boissons, les friandises, les desserts, etc. Globalement, une consommation exagérée d’un aliment particulier à l’intérieur d’une catégorie conduit à rechercher les conséquences de cet excès catégoriel (5-7).
L’absence d’allergie IgE-dépendante (prick tests, dosage des IgE sériques spécifiques [IgEs], éventuellement test de provocation par voie orale) est également un élément important.
La nature des circonstances de survenue et les symptômes cliniques peuvent aussi aiguiller vers une cause particulière.

Les mécanismes impliqués dans les fausses allergies alimentaires (tableau 1)

 

 

La principale caractéristique du syndrome de fausse allergie alimentaire est la similitude de ses symptômes avec ceux des vraies allergies. Sous ce socle, les causes des fausses allergies alimentaires sont nombreuses (figure 3) :
1. histamino-libération non-spécifique ;
2. surcharge en histamine ;
3. intolérance à la tyramine et à la phényléthylamine ;
4. intolérance aux benzoates ;
5. intolérance aux nitrites ;
6. intolérance à l’alcool.

 

Figure 3 – Allergies alimentaires vraies et fausses allergies alimentaires. D’après 5-7.

 

Il est licite d’ajouter aux fausses allergies alimentaires les intolérances aux additifs et colorants, souvent mis en cause sans véritable preuve scientifique, en dehors de cas particuliers (8, 9). Toutefois, un mécanisme IgEdépendant a été décrit pour certains colorants : carmin de cochenille (E120), carraghénanes (E407), gomme adragante (E413), lysosyme (E1105), annato (E160b) (voir ci-dessous).

  • Libération non spécifique d’histamine

L’ingestion des aliments histaminolibérateurs provoque les symptômes par action non IgE-dépendante sur les mastocytes qui libèrent des médiateurs chimiques préformés2, en particulier de l’histamine.
Les principaux aliments histaminolibérateurs sont les fromages fermentés, les charcuteries surtout emballées, les poissons, le blanc d’oeuf (qui est fortement histamino-libérateur), certains fruits (fraises, agrumes, bananes) et légumes (tomate) qui contiennent diverses enzymes histamino-libératrices3, le chocolat (qui contient aussi de la tyramine), la bière, les vins, les alcools (qui comportent aussi des sulfites). Certains aliments sont à la fois allergisants et histamino-libérateurs (blanc d’oeuf, porc, ananas, papaye, agrumes, poissons, fruits de mer, etc.). Le mécanisme des symptômes induits par l’histamino-libération non spécifique est le même que celui qui est provoqué par l’apport exagéré d’histamine exogène (cf. ci-dessous).

  • Apport exagéré d’histamine exogène

Dans ce cas, ce sont les aliments euxmêmes qui sont trop riches en histamine, consommés en trop grande quantité et/ou trop fréquemment. En pratique, ces aliments sont les mêmes que précédemment, un aliment histamino-libérateur étant presque toujours riche en histamine (tableau 2).

 

 

Les symptômes provoqués par un apport exagéré d’histamine non détruite par la cuisson apparaissent lorsque les systèmes normaux de blocage de l’histamine ingérée sont dépassés :
• diminution du pouvoir histaminopexique des sécrétions digestives ;
• action de la diamine oxydase qui catabolise l’histamine ingérée ;
• diminution du pouvoir histaminopexique du sérum4 assuré par l’histamine méthyl-transférase ;
• altérations de la barrière intestinale (hyperperméabilité intestinale) (encadré 2).

 

 

Chez les sujets allergiques, on observe une diminution plus ou moins marquée du pouvoir histaminopexique, ou même sa disparition. Il peut également être diminué au cours d’affections non allergiques,
en particulier chez les jeunes enfants, ce qui pourrait expliquer la plus grande fréquence des fausses allergies alimentaires chez ces derniers, selon l’expérience professionnelle.

  • Intolérance à la tyramine

La tyramine (para-hydroxy-phénylamine) résulte de la décarboxylation de la tyrosine sous l’action de la tyrosinedécarboxylase. La monoamine-oxydase transforme la tyramine en acide para-hydroxyphénylacétique qui n’est pas toxique mais entraîne une intolérance. La tyramine exogène, apportée en trop grandes quantités, provient d’aliments comme les fromages fermentés, les viandes, les vins, certains fruits (raisin, avocat, figue, pomme, pêche, banane, etc.) et légumes (chou-fleur, tomate, pomme de terre, etc.) (5, 6). La maturation des fruits accroît leur teneur en tyramine (6). Les déséquilibres alimentaires augmentent la formation de tyramine intestinale, en particulier la constipation et l’action de tyrosine-décarboxylases microbiennes (colibacilles, salmonelles, etc.) (5). Les symptômes de l’intolérance à la yramine sont en particulier l’urticaire et les céphalées (5). Le diagnostic est basé sur la recherche négative d’une vraie allergie alimentaire et la répétition des symptômes dans les mêmes circonstances de déclenchement (5), sauf dans certains cas particuliers devant l’évidence du diagnostic (encadré 2).

  • Intolérance aux benzoates

Les benzoates (E210 à E220) sont des conservateurs, antiseptiques alimentaires, qui empêchent le développement de moisissures et de levures. Ce sont l’acide benzoïque (E210), les benzoates de sodium (E211), de potassium (E212) et de calcium (E213), et les dérivés de l’acide parahydroxybenzoïque (E214 à E219). L’acide benzoïque et les benzoates existent à l’état naturel dans certains aliments ou sont produits par synthèse. Les dérivés de l’acide parahydroxybenzoïque, obtenus par synthèse, uniquement présents dans les produits pharmaceutiques, peuvent entraîner des réactions adverses (E214 à E219). Les benzoates sont mentionnés 22 fois sur les 39 réactions aux additifs enregistrées par le Cercle d’Investigations Cliniques et Biologiques en Allergologie Alimentaire : ce sont les premiers additifs impliqués au cours des intolérances alimentaires. L’urticaire est l’un des symptômes les plus fréquents (10). Dans une série pédiatrique (6), l’urticaire, récidivante ou chronique, était présente 11 fois sur 16 (69 %), les autres symptômes étant l’oedème laryngé, la rhinite, l’asthme, plus rarement l’anaphylaxie. Le diagnostic est basé sur le test de provocation par voie orale (gélule contenant 250 mg de benzoate de sodium) (10-12). La prévention repose sur l’éviction des benzoates contenus dans certains fruits ou légumes et des additifs mentionnés sur les emballages des produits (depuis E210 jusqu’à E213). Les aliments contenant des benzoates sont nombreux : crevettes, poissons salés et séchés, poissons en conserve, betteraves, tomates, concombres, légumes en saumure, raisins, myrtilles, mûres, framboises, jus de raisin, moutarde, assaisonnements du commerce, etc. Après une éviction prolongée, cette intolérance peut guérir chez l’enfant (12). Les mécanismes invoqués sont une inhibition de la cyclo-oxygénase, une hypersensibilité retardée, une interférence avec les systèmes cholinergique et GABAergique.

  • Intolérance aux nitrites

Le nitrite de sodium (NaNO2) est un conservateur (E250) qui s’oppose à la pousse des bactéries (Clostridium botulinum), principalement dans les salaisons et les fromages. Avec l’érythrosine (E127), il est responsable de la couleur rose des charcuteries par réaction avec la myoglobine. Il possède des effets toxiques : risque de méthémoglobinémie (exceptionnel), surtout formation de nitrosamines. Il entraîne également des urticaires, des migraines et des troubles gastro-intestinaux. Les nitrites provoquent également des altérations de la barrière intestinale qui facilitent le passage de l’histamine alimentaire dans la circulation sanguine.

  • Intolérance à l’alcool

L’alcool éthylique ou alcool (C2H5OH) est obtenu par distillation du vin ou des jus sucrés fermentés.
C’est un cofacteur de l’anaphylaxie dont il aggrave les symptômes. Une enquête portant sur 365 questionnaires adressés à 671 patients atteints d’anaphylaxie d’effort, montre que l’ingestion d’alcool constitue un facteur déclenchant (et aggravant) chez 11 % d’entre eux (31/279) (13). L’alcool favorise la dégranulation non spécifique des mastocytes. Le terme “allergie à l’alcool” est très réducteur, intolérance à l’alcool étant plus adapté en raison des nombreuses substances que contiennent l’alcool et les boissons alcoolisées (bières par exemple) : raisin, orge, fruits divers, additifs (sulfites), amines biogènes (histamine), enzymes protéolytiques, etc. (13).
Quelques cas d’allergie IgE-dépendantes aux constituants des alcools (raisin, céréales, enzymes, etc.) ont été rapportés (14). La prévention de l’intolérance à l’alcool passe par l’abstention, en particulier en cas de risque d’anaphylaxie (exercice physique et/ou prise de médicaments).

  • Intolérance aux colorants et additifs

Les intolérances aux colorants et additifs restent une réalité clinique, assez bien étayée chez l’adulte, mais plus difficile à prouver chez l’enfant en raison de la lourdeur des explorations qu’il faudrait mettre en oeuvre. Tous agents (très disparates) confondus, la prévalence des effets adverses est certainement faible dans la population générale, entre 0,03 et 0,20 % (15) pour de nombreux auteurs, mais peut aller jusqu’à 1-1,5 % pour d’autres (16). La prévalence est un peu plus importante dans des populations sélectionnées, mais elle n’est pas supérieure à 2 % chez l’enfant atopique.

Les mécanismes physiopathologiques sont nombreux, dépendant de la nature des substances en cause. Un mécanisme IgE-dépendant est incriminé pour le carmin de cochenille (E120), les carraghénanes (E407), la gomme adragante (E413), le lysosyme (E1105), l’annato (E160b). Pour tous les autres agents, d’autres mécanismes sont en cause, responsables de fausses allergies alimentaires (9). Une étude récente montre que l’atopie n’augmente pas le risque de symptômes dus à la prise de tartrazine : un groupe de 35 atopiques (atteints d’asthme, de rhinite allergique, et d’urticaire) a pris 35 mg de tartrazine ou de placebo. La tartrazine n’a pas entraîné plus de symptômes cutanés (rash érythémateux, prurit, urticaire), ORL (rhinorrhée, congestion nasale), respiratoires (wheezing, toux, baisse du débit expiratoire de pointe), cardiovasculaire (chute tensionnelle) que le placebo (17).

Les données disponibles dans la littérature pour les colorants, les conservateurs, les exhausteurs de goût, les antioxydants, les texturants, les enzymes, les édulcorants, les arômes peuvent être retrouvées dans quelques références d’ensemble, en particulier pour des agents rares qu’il n’est pas possible d’envisager en détails (9, 15).

Le diagnostic est basé sur les résultats de l’anamnèse, de l’enquête alimentaire catégorielle, du test de provocation, les effets de l’éviction et éventuellement ceux de la réintroduction.

La prévention

La prévention des fausses AA passe par l’adoption d’une alimentation saine et équilibrée en fonction de l’âge. Le tableau 3 reproduit une alimentation réduisant les apports en aliments riches en histamine et/ou histamino-libérateurs chez un enfant (7). Pour éviter la monotonie, il est évidemment permis (et conseillé) quelques écarts qui sont autant de petits plaisirs (gâteaux, confiseries, bonbons, etc.)…

 

 

Pour en savoir plus…

 

1- Un relevé sur 2 semaines peut être demandé.
2- Les médiateurs chimiques préformés présents dans les granules des mastocytes et des polynucléaires basophiles sont l’histamine, des protéases (tryptase), les protéoglycanes (héparine), tandis que les médiateurs néoformés sont les leucotriènes et les prostaglandines.
3- L’ananas et la papaye contiennent de la papaïne, de la broméline, les légumineuses des lectines, le chocolat de la tyramine, etc. (5).
4- Le sérum d’un sujet normal est capable de fixer l’histamine libre (phénomène appelé histaminopexie) et de la neutraliser : c’est ce que l’on appelle le pouvoir histaminopexique (PHP), lié à une globuline, la plasmapexine 1, mis en évidence dès l’âge de 6 mois. Faible chez le jeune enfant (d’où la fréquence de l’urticaire à ce moment de la vie), il augmente avec l’âge.


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