Les fuites urinaires de l’enfant

Les fuites urinaires de l’enfant sont fréquentes en médecine de ville. Si l’énurésie et l’hyperactivité vésicale sont les formes cliniques les plus fréquemment rencontrées, d’autres étiologies doivent systématiquement être recherchées afin de ne pas négliger une affection organique, voire chirurgicalement curable (1). Une démarche diagnostique simple permet d’éliminer bien des diagnostics différentiels. Les parents peuvent être excédés par leur enfant qui mouille toujours son lit, qui semble toujours attendre le dernier moment pour aller aux toilettes, n’arrive pas à se retenir et/ou qui sent toujours l’urine. Le retentissement psychologique et social de ces fuites urinaires n’est pas négligeable chez l’enfant et nécessite une prise en charge globale de l’enfant et de sa famille, quelle que soit leur cause.


Classification des troubles mictionnels de l’enfant

Les troubles mictionnels, nommés selon la nouvelle nomenclature “troubles de l’élimination urinaire”, doivent être classés selon qu’ils surviennent lors de la phase de remplissage de la vessie ou lors de la phase mictionnelle (2). Entité particulière, l’énurésie isolée est classée à part.

Troubles de la phase de remplissage de la vessie

Le syndrome d’hyperactivité vésicale

Bien connu des pédiatres, il concerne l’enfant de 3 à 10 ans, mais peut persister bien au-delà de cet âge. Cliniquement, tout se passe comme si l’enfant luttait en permanence contre les fuites urinaires qui surviennent sans pouvoir les anticiper. La contraction réflexe des muscles du plancher périnéal, afin d’éviter la fuite ou tout au moins la retarder, rend compte de la symptomatologie classique : pollakiurie, urgenturie (impériosités mictionnelles), postures évocatrices ou squatting (croisement des jambes, signe de Vincent chez la fille, c’est-à-dire accroupissement avec compression du périnée par le talon, agitation, compression de la verge chez le garçon…), jet mictionnel explosif et fuites urinaires intempestives. En pratique, sa prise en charge repose essentiellement sur l’hygiène mictionnelle, la correction des facteurs d’irritation vésicale (stase stercorale, adhérences préputiales, vulvites, irritations cutanéo-muqueuses locales du fait de la macération des urines…) et, en cas d’échec de ces mesures, sur la prescription d’un traitement anticholinergique. Il est toujours nécessaire de fournir à l’enfant un certificat médical l’autorisant à se rendre aux toilettes pendant les heures de classe et de rédiger un PAI pour la prise du médicament à l’heure du déjeuner. L’enfant peut être aidé par une montre-alarme vibrant toutes les deux heures l’invitant à se rendre régulièrement aux toilettes.

Troubles de la phase mictionnelle

L’hypertonie du sphincter strié

L’hypertonie du sphincter strié est la conséquence d’une vessie rétentionnelle du fait d’une mauvaise hygiène mictionnelle. Elle a pour conséquence un mauvais relâchement périnéal à la miction responsable d’une hyperactivité vésicale dite “secondaire”.
Il peut en résulter un résidu post-mictionnel, des infections urinaires récidivantes et des fuites urinaires intempestives survenant alors que le sphincter n’est pas relâché. C’est pourquoi il est formellement contre-indiqué de conseiller les exercices de stop-pipi à ces enfants qui, déjà, se retiennent en permanence.
La vessie paresseuse ou lazy bladder est l’aboutissement d’une dyssynergie vésico-sphinctérienne par CDD ou par hypertonie du sphincter strié urétral. Elle s’exprime par la perte du besoin d’uriner.

L’énurésie

L’énurésie, entité à part, n’est pas traitée ici. Rappelons tout de même qu’il convient de ne plus employer l’expression “énurésie diurne” pour désigner les fuites urinaires survenant dans la journée, l’énurésie survenant exclusivement durant le sommeil, que ce soit la nuit et/ou durant la sieste (3,4).

Autres causes de fuites urinaires

Certaines doivent être impérativement éliminées : les incontinences permanentes par abouchement ectopique des voies urinaires (vaginal, rectal, cutané), les fuites urinaires en rapport avec une vessie neurologique, les fuites d’urines post-mictionnelles survenant après une miction normale du fait de mauvaises attitudes lors de la miction d’un enfant trop pressé ; miction cuisses serrées chez la fille, verge plicaturée sur le pantalon chez le garçon…, les anomalies des organes génitaux externes (coalescence des petites lèvres chez la fille, méat trop étroit chez le garçon, adhérences préputiales et prépuce étroit associé), valves de l’urètre postérieur peu obstructives de révélation tardive (dysurie +++ et miction fractionnée) et enfin les fuites urinaires “émotionnelles” survenant dans des circonstances particulières : incontinence au fou rire (giggle-incontinence) et incontinence d’effort. Le syndrome de pollakiurie transitoire isolée bénigne s’accompagne rarement de fuites urinaires (5).

Orientations diagnostiques (Fig. 1)

Figure 1 – Arbre décisionnel devant des fuites urinaires de l’enfant (reproduit avec l’autorisation du Pr E. Berard – Nice).

L’interrogatoire de l’enfant et de ses parents est essentiel

Il est essentiel de bien écouter l’enfant en l’interrogeant sur son comportement mictionnel, tant à la maison qu’à l’école : fréquence des mictions (< 3 ou > 7), urgenturie, faux besoins et/ou persistance d’un besoin après miction, dysurie (effort de poussée abdominale), aspect du jet mictionnel (faible, explosif, fractionné), attitudes particulières ou squatting, gouttes retardataires après miction, énurésie primaire ou secondaire. Le caractère primaire ou secondaire des fuites urinaires, leurs circonstances de déclenchement ainsi que les traitements antérieurs seront précisés. Une constipation, voire une encoprésie souvent cachée, seront systématiquement recherchées.
Enfin, en pratique, on peut proposer un calendrier mictionnel où devront être notés, durant deux jours, les volumes des boissons, la fréquence des mictions et des fuites urinaires (diurnes et nocturnes), et pour ces dernières leur abondance (+ à ++++) (3).
Lorsqu’un syndrome d’hyperactivité vésicale est évoqué, il devient instructif de mesurer la capacité vésicale fonctionnelle (CVF) de l’enfant. La normale est évaluée à 70 % de la capacité vésicale théorique (CVT) attendue, calculée selon la formule de Koff : CVT en ml = (30 x âge en années) + 30 avant 12 ans (6). Une faible CVF correspond à une CVF réduite d’au moins 40 % de la valeur attendue. En pratique, il suffit de demander à l’enfant d’uriner dans un verre doseur de cuisine gradué en ml et d’effectuer plusieurs mesures à des moments différents sur une quinzaine de jours.
Enfin, les fuites urinaires étant invalidantes, il est essentiel d’évaluer leur retentissement psychologique et leurs répercussions sur la vie familiale et sociale de l’enfant ainsi que les contre-attitudes parentales (1, 7).

L’examen clinique oriente le diagnostic différentiel

L’examen clinique complet de l’enfant vise à éliminer les facteurs d’irritation vésicale et à rechercher des signes en faveur d’une vessie neurologique rarement méconnue : dysraphisme médian (fossette sacro-coccygienne, sillon médian dévié, touffe de poils, angiome, appendice caudal, orifice, troubles orthopédiques – troubles de la marche, pieds creux, abolition de réflexes des MI – troubles de la sensibilité périnéale). Lors de l’inspection de l’enfant, il convient de noter l’état de l’hygiène corporelle et des sous-vêtements.

Des examens complémentaires simples suffisent souvent au diagnostic

L’énurésie isolée dispense de tout examen complémentaire.
Une simple bandelette urinaire suffit à éliminer une infection urinaire et un diabète inaugural, causes systématiquement évoquées lorsque les fuites urinaires diurnes et l’énurésie sont d’apparition secondaire. Le syndrome polyuropolydipsique est évocateur, mais non pathognomonique du diabète. Une potomanie peut être évoquée dans ce contexte.
Un ionogramme urinaire, un rapport calciurie/créatininurie et une osmolarité urinaire sur la première miction matinale sont justifiés en cas de polyurie et permettent d’éliminer une tubulopathie, un diabète insipide, une hypercalciurie.
L’échographie des voies urinaires pré- et post-mictionnelles, examen non invasif utile au diagnostic d’hyperactivité vésicale, apprécie l’aspect et l’épaisseur de la paroi vésicale, le retentissement urétéro-rénal d’un trouble mictionnel ainsi que le volume du résidu post-mictionnel. Elle ne permet cependant pas toujours d’éliminer un abouchement ectopique d’une duplication urétérale (1).
Les autres examens complémentaires (exploration urodynamique, cystographie rétrograde, scintigraphie rénale), plus invasifs, ne devront être discutés que par une équipe médicochirurgicale spécialisée.

Conclusion

Cet article démontre à quel point une bonne connaissance de la sémiologie des troubles de l’élimination urinaire permet d’aboutir au diagnostic différentiel des fuites urinaires de l’enfant. La démarche diagnostique repose essentiellement sur l’interrogatoire de l’enfant et de ses parents et de l’examen clinique de l’enfant. Si ceux-ci suffisent au diagnostic d’énurésie et d’hyperactivité vésicale, ce n’est qu’en cas de doute diagnostique quant à une cause chirurgicalement curable ou une affection néphro-urologique (lithiases urinaires, infections urinaires récidivantes…) que certains examens complémentaires trouvent leurs indications et seront discutés par des équipes médicochirurgicales spécialisées.


Références

  1. Philippe C. Délit de fuites : mise au point sur la démarche diagnostique devant des fuites urinaires de l’enfant. Méd Enf 2013 ; 5 : 157-64.
  2. Berard E, Bréaud J, Oborocianu I, Bastiani F. Troubles mictionnels de l’enfant. Journal de pédiatrie et de puériculture 2013 ; 26 : 210-21.
  3. Aubert D, Berard E, Blanc JP et al. Énurésie nocturne primaire isolée : diagnostic et prise en charge. Recommandations par consensus formalisé d’experts. Progrès en Urologie 2010 ; 20 : 343-9.
  4. Philippe C. L’énurésie de l’enfant, de nouvelles définitions et recommandations consensuelles pour une prise en charge adaptée par le médecin généraliste. Preuves et Pratiques 2013 ; 62 : 19-24.
  5. Zoubek T, Bloom DA, Sedmann AB. Extraordinary urinary frequency. Pediatrics 1990 ; 85 : 112-4.
  6. Koff SA. Estimating bladder capacity in children. Urology 1983 ; 21 : 248.
  7. Lottman H. Observatoire français sur les répercussions et la prise en charge de l’énurésie nocturne chez l’enfant et l’adolescent. Méd Enf 2009 ; 29 : 298-302.

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