L’histoire du biberon

Après avoir retracé l’histoire de son apparition durant l’Antiquité, nous poursuivons le cheminement du biberon au Moyen Âge (500-1500 ans après JC), à travers la collection Dufour.

Peu de traces…

Les sites et habitations du Haut Moyen Âge n’ont livré aucun récipient évoquant l’allaitement, sans doute en raison de la disparition des sépultures et la rareté des manuscrits ou oeuvres peintes évoquant la vie quotidienne. A cette époque, comme dans l’Antiquité, était prôné l’allaitement par une nourrice, ou au pis de l’animal, le biberon restant marginal. Klebe et Chadewaldt notent qu’à l’époque carolingienne, il existait des récipients largement ouverts avec embout près du col extrêmement fin (2). Viollet-le-Duc (7) décrit une poterie ovoïde trouvée au château de Pierrefonds (XVe s.) évoquant des récipients gallo-romains pouvant avoir servi à allaiter (Figure 1). Dufour mentionne un objet similaire du XIIIe s. trouvé à Montivilliers en Seine-Maritime (3) (Figure 2). Mais leur forme et la grande ouverture du col rendent leur utilisation comme biberon improbable du fait de l’importance de l’écoulement. Servaient-ils de gourde ?

Des biberons à téterelle

L’utilisation de poteries proches de celles de l’époque gallo-romaine a dû se poursuivre. Le “biberon” à téterelle du musée de Fécamp plaide pour cette hypothèse (Figure 3). Alexandre-Bidon (4) signale, dans le groupe sculpté de la Sainte Famille de Lübeck (XVe s.), un enfant tenant à la main un tel objet, muni d’un couvercle (qui manquerait dans l’exemplaire de Fécamp). Sa forme est proche des “craules” (poteries servant à allaiter en Bretagne) (Figure 4).

Et des cornes d’animaux

L’objet qui aurait été le plus utilisé au Moyen Âge est la corne d’ovin ou, à défaut, de vache. Son extrémité est finement percée et l’enfant exerce une succion pour obtenir l’écoulement du lait. L’extrémité peut aussi être équipée d’une tétine en cuir. Sa 1re mention apparaît dans un texte sur la vie de Saint-Luidger (740-809) : « Et la femme qui l’avait enlevé continua de le nourrir en cachette en introduisant du lait dans la bouche à l’aide d’une petite corne » (6). Viollet-le-Duc mentionne cette poésie extraite des romans de Robert le Diable (XIIIe s.) (7) : « Et quand li malfès aletoit, Sa noriche tous tans mordoit, Tous tant hurle, tous tans resquinge, Ja n’ert à aisse s’il ne winge, Les noriches cel aversier Redoutennt tant à alaitier,C’un cornet li afaitièrent, C’onques puis ne l’alaitièrent ». La corne est mentionné dans l’autobiographie de Thomas Platter (humaniste suisse né en 1499) : « Après qu’elle eut accouché de moi,les seins lui firent mal, aussi n’a-t-elle pu m’allaiter.[…] Il a donc fallu que je tète du lait de vache avec une petite corne » (8). Et ce 3e texte du XIIIe s. évoque son usage : « Ses enfants s’appelaient Karl et Pippin.Pippin était petit : c’est parce que sa mère n’a pas pu bien le soigner, car elle était à l’hôpital et elle a dû le nourrir à la corne. » (9). Dans “Les Heures” de Louis de Laval (10), une miniature montre une vierge enceinte tenant une corne à allaiter dans ses mains (Figure 5), et une gravure de Bruegel montre une femme utilisant une corne à allaiter (Figure 6). Desjardin signale enfin que son utilisation se perpétue jusqu’au XIXe s., comme l’atteste une peinture paysanne retrouvée dans une maison du Tessin, en Suisse (11).

Quel lait ?

Dans ces “biberons”, les parents mettent du lait bouilli, ils savent que cela évite qu’il tourne. La nature du lait dépend de la région – en Provence, le lait de chèvre – mais les nobles préfèrent le lait d’ânesse. Dans les premiers ouvrages ménagers, comme ce fabliau “De l’outillement au vilain”, on recommande aux parents de posséder au moins : « une vache à lait à allaiter l’enfant quand il en a besoin car, si saoul n’était toute la nuit, pleurerait tant qu’il empêcherait de dormir, quand il irait gésir, tous ceux de la maison,d’entour et d’environ » (5). Les régimes de santé, en particulier celui d’Albrandin de Sienne, mentionnent que le lait le plus digeste est celui de chèvre, mais ne le recommandent pas particulièrement pour le nourrisson.

Les Gutti de l’antiquité, modernisés

Témoins de l’époque ancienne, des “petits pots” seront utilisés jusqu’à l’aube du XXe s. dans les campagnes, de formes diverses : proche des canards actuels pour malades alités, ou version moderne des gutti de l’Antiquité avec bec verseur sur le côté. Deux utilisations sont mentionnées : le gavage (le petit pot incliné, on laisse couler le lait dans la bouche du nourrisson), la succion (un chiffon noué autour du bec verseur forme une tétine). La collection de Fécamp possède plusieurs objets destinés à cette utilisation : une petite calebasse fendue en deux (Dufour note que « la tige sert de versoir ») utilisée par les peuplades de la côte occidentale pour nourrir les bébés (3), mais aussi une coupe oblongue du XVIIIe s. en faïence à couverture plombifère blanc-grisâtre, plus petite qu’une saucière et rappelant la forme de la calebasse, dont l’utilisation comme “tasse à bébé” est probable.

Que devient l’allaitement au pis de l’animal ?

Parallèlement à ces biberons rustiques, le recours au pis de vache ou de chèvre semble s’être perpétué au Moyen Âge et à la Renaissance. Deux auteurs du XVIe s. en témoignent. Rabelais (“Pantagruel”) : le sieur buvait « le lait de 4 600 vaches » (12) ; et Montaigne (“Essais”) : « Ces chèvres sont incontinent duites à venir à allaicter ces petits enfants,recognoissent leur voix quand ils crient et y accourent :si on leur présente un autre que leur nourrisson,elles le refusent (…) » (13).

 

En savoir plus


Publié

dans

par

Étiquettes :