L’oesophagite à éosinophiles

L’oesophagite à éosinophiles (EoE) fait suite à une réponse immunitaire anormale de la muqueuse de l’oesophage vis-à-vis d’allergènes exogènes (essentiellement alimentaires), qui se traduit par une infiltration chronique de la muqueuse oesophagienne par des polynucléaires éosinophiles (PNEo) (> 15 éosinophiles/champ au grossissement 400).
L’EoE affecte essentiellement l’enfant et l’adulte jeune, majoritairement de sexe masculin, avec des antécédents allergiques. Elle évolue sur un mode chronique et donne une symptomatologie variée, dominée par la dysphagie, compliquée fréquemment d’épisodes d’impaction, et des manifestations de reflux gastro-oesophagien résistant aux traitements antisécrétoires. Chez le jeune enfant, le spectre des manifestations cliniques est plus large, incluant des vomissements chroniques, des douleurs abdominales ou des difficultés alimentaires.
Seul l’examen histologique des biopsies réalisées par voie endoscopique permet de confirmer ce diagnostic en montrant une infiltration de l’oesophage par des PNEo.
Si elle est possible, l’éviction des allergènes en cause est la première mesure thérapeutique à proposer. Dans les autres situations, le traitement médicamenteux est basé sur les inhibiteurs de la pompe à protons et les stéroïdes topiques. Plus rarement, des dilatations endoscopiques au ballonnet pourront être proposées.

Introduction

L’oesophagite à éosinophiles (EoE) est une maladie émergente dont l’incidence et la prévalence sont en augmentation.
Son incidence est estimée entre 6 à 10 pour 100 000 habitants [1], avec une prévalence qui est passée en 15 ans et dans les pays développés de 2 pour 100 000 à 43-55/100 000 habitants [2]. Chez l’enfant, l’incidence serait de 1/10 000 et la prévalence de 1/10 000 [3].

Cette pathologie affecte les enfants et les adultes jeunes, le plus souvent de sexe masculin (ratio 3/1), d’origine caucasienne, ayant des antécédents allergiques [4].

Elle correspond à une réponse immunitaire anormale de la muqueuse oesophagienne vis-à-vis d’allergènes exogènes (essentiellement alimentaires) qui se traduit par une infiltration chronique de l’oesophage par des PNEo pouvant réaliser des sténoses [5]. Les manifestations cliniques sont dominées par les tableaux de reflux gastro-oesophagien résistant au traitement antisécrétoire et la dysphagie compliquée fréquemment d’épisodes d’impaction. Chez le jeune enfant, les manifestations cliniques sont souvent trompeuses [5].

Physiopathologie

Dans l’EoE, des allergènes, pour l’essentiel alimentaires, sont à l’origine d’une réponse immunitaire anormale qui, par l’intermédiaire de cytokines (Il-5, IL-13, TNF-alpha, TGF-bêta 1, éotaxine), aboutit au recrutement de PNEo au niveau de l’oesophage [6, 7].
Les PNEo vont synthétiser des facteurs pro-inflammatoires (Thymic Stromal Lymphoprotein, neurotoxine, péroxydase et Major Basic Protein) ayant un effet cytotoxique perpétuant l’inflammation [8].
Des facteurs de susceptibilité d’origine génétique interviennent aussi dans la genèse de la réponse immunitaire anormale [9].

Quand penser à l’oesophagite à éosinophiles ?

L’EoE est électivement observée chez des enfants ou des adultes jeunes de sexe masculin (sex-ratio : 3/1) ayant un terrain atopique et/ou présentant des manifestations allergiques (asthme, rhino-conjonctivite) ou des allergies alimentaires [5].
La symptomatologie clinique varie en fonction de l’âge des patients [10, 11].

• Chez le grand enfant, l’adolescent et l’adulte, deux types de symptômes sont au premier plan. Il s’agit de la dysphagie pour les solides, compliquée fréquemment d’épisodes d’impaction alimentaire, et du syndrome de reflux gastro-oesophagien résistant aux traitements par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).
Il est important de noter que la symptomatologie est souvent minorée et que les patients se plaignent peu car ils se sont, en règle, adaptés à leurs troubles avec, en cas de dysphagie, des repas longs et, en cas d’impaction, des stratégies d’évitement (viande).

• Chez l’enfant plus jeune et le jeune nourrisson, les symptômes sont trompeurs car non spécifiques et donc plus difficiles à interpréter.
Ainsi, cette affection peut être évoquée devant des tableaux tels que des vomissements chroniques, des douleurs abdominales ou des difficultés alimentaires [5, 10]. Plus rarement, le diagnostic est fait lors de complications essentiellement représentées par les perforations oesophagiennes, soit provoquées (ablation de corps étranger, biopsies, endoscopie avec un tube rigide), soit spontanées après un épisode d’impaction [2, 5].
L’examen est le plus souvent normal, mais on peut observer des symptômes relevant d’une pathologie allergique (eczéma,sibilants…).
Chez l’enfant, on recherchera un retentissement de la maladie sur la croissance pondérale et staturale.

Comment faire le diagnostic d’oesophagite à éosinophiles ?

Evaluation du RGO

Avant de réaliser le bilan endoscopique, la place du reflux gastro-oesophagien dans les manifestations cliniques devra être évaluée [2, 5]. En effet, le reflux gastro-oesophagien peut être à l’origine d’une infiltration à éosinophiles habituellement modérée et localisée de l’oesophage distal, mais aussi du fait de l’inflammation et de la fibrose de l’EO, qui peuvent également être à l’origine d’un reflux gastro-oesophagien. De plus, certains patients ayant une EO répondent aux traitements par IPP [12, 13].
Ainsi, avant de réaliser un bilan endoscopique, un traitement par IPP doit être systématiquement proposé. La posologie préconisée est de 20 à 40 mg en deux prises par jour chez l’adulte et de 1 mg/kg en deux prises chez l’enfant pour une période de 8 à 12 semaines [5]. Une pH-métrie et une impédancemétrie pourront être proposées si nécessaire [2, 13].

 

Biopsies

L’endoscopie digestive haute permettra de réaliser des biopsies étagées de l’oesophage qui confirmeront le diagnostic d’EO [5].

  • L’aspect macroscopique peut apparaître comme normal [5], mais il est le plus souvent évocateur quand il montre des dépôts ou exsudats blanchâtres de tailles et de formes variables (figure 1) ou simplement une muqueuse épaissie avec perte de transparence et présence de sillons, le plus souvent longitudinaux et pourpres ou délimitant des plaques, donnant alors un aspect pavimenteux de l’oesophage (figure 2).
  • La muqueuse peut aussi être fragile, se décollant facilement au contact de l’endoscope ou de la pince à biopsie (figure 3).
  • Enfin, dans les formes évoluées, l’infiltration de la muqueuse par les PNEo va réaliser des sténoses oesophagiennes uniques ou multiples (figure 4), pouvant donner un aspect pseudo-trachéal et, dans les formes sévères, un rétrécissement global du calibre oesophagien [14, 15].

Figure 1 – Dépôts ou exsudats blanchâtres de tailles et de formes variables

Figure 2 – Muqueuse épaissie avec perte de transparence et sillons longitudinaux.

Figure 3 – Muqueuse fragile se décollant facilement au contact de l’endoscope.

Figure 4 – Sténoses oesophagiennes, uniques ou multiples.

Récemment, Hirano [16] a proposé une nouvelle classification (Endoscopic Reference Score for EoE) basée sur les 4 signes principaux (bagues, sillons, exsudat et oedème) observés en cas d’EoE.

Pour réaliser le diagnostic d’EoE, il faut effectuer au moins 4 biopsies au niveau proximal et moyen de l’oesophage, des biopsies distales, ainsi que de l’estomac et du duodénum [5, 17]. En effet, la probabilité de faire le diagnostic d’EoE à l’aide d’une, de quatre, cinq ou six biopsies est respectivement de 0,63, 0,98, 0,99 et > 0,99 [17]. C’est au pathologiste qu’il revient de confirmer le diagnostic d’EoE en mettant en évidence une infiltration diffuse de l’oesophage (figure 5) révélant plus de 15 éosinophiles par champ, au grossissement par 400 [2, 5]. De nouvelles méthodes diagnostiques sont en cours d’évaluation, comme l’oesophageal string test qui, sur des biopsies, évalue l’inflammation muqueuse grâce à la quantification de protéines dérivées des éosinophiles [18].

Figure 5 – Biopsie de l’oesophage : nombreux polynucléaires éosinophiles intra-épithéliaux et décollement partiel de la couche basale (HPS, X40).

 

Quelle est la place du bilan allergologique ?

Il permet de rechercher un ou des allergènes (essentiellement alimentaires) responsables, et sert de base de réflexion pour la mise en place d’un régime d’éviction, qui est la première et la seule mesure thérapeutique à proposer quand elle estpossible [5].
Ce régime pose peu de problèmes en cas de mono-allergie alimentaire, mais peut être compliqué à mettre en place en cas de poly-allergies alimentaires.

Le bilan allergologique [19] est basé sur les données :

  • de l’interrogatoire ;
  • du dosage des IgE spécifiques ;
  • des prick-test ;
  • ainsi que, si nécessaire, des patch-test.

Les allergènes alimentaires en cause sont les allergènes classiques chez l’enfant (blanc d’oeuf, lait de vache, arachide, soja, poisson) ou l’adulte (blanc d’oeuf, fruits à coque, noisette, céleri, avocat, arachide, fruits de mer), auxquels il faut ajouter les viandes, en particulier le poulet, le boeuf et le porc [5].

 

Quels traitements proposer ?

Le traitement de l’EoE vise d’une part à diminuer les symptômes et, d’autre part, à éviter les complications, telles les sténoses (5).

Les IPP

Un traitement par IPP aura systématiquement été proposé avant la réalisation du bilan endoscopique et, chaque fois que cela est possible, la mise en place d’un régime d’éviction sera la première mesure thérapeutique à mettre en oeuvre [12, 13].

La diète hypoallergénique

Elle constitue le principal moyen de traitement, et permet de confirmer le diagnostic en montrant une diminution de l’infiltrat lors des contrôles endoscopiques.

Cette mesure est simple en cas de mono-allergie alimentaire, mais reste plus compliquée dans le cas de poly-allergie alimentaire [5].
Chez le nourrisson non allaité, en cas de poly-allergie alimentaire, une solution à base d’acides aminés pourra être proposée [20].
L’éviction des allergènes alimentaires est aussi efficace chez l’adulte ; ainsi, une diète élémentaire ou un régime excluant les 6 aliments les plus allergisants (céréales, lait/produits laitiers, oeufs, légumineuses, soja, poissons/fruits de mer) sont efficaces respectivement chez 90 % et 72 % des patients [21].

Les corticoïdes locaux

Ils constituent le traitement palliatif de référence [5].
Ce traitement comprend une période d’induction et une période d’entretien car on note souvent des rechutes.
On utilise des corticoïdes déglutis soit sous forme d’aérosol administré dans la bouche, soit sous forme de préparations magistrales visqueuses.
Le risque de candidose pharyngée ou oesophagienne peut être diminué par un rinçage de bouche avec de l’eau bicarbonatée
après la prise du traitement.

Dans le cas de dysphagies sévères avec dénutrition importante nécessitant l’hospitalisation, la corticothérapie par voie systémique peut être proposée à 1 mg/kg/j.

Les dilatations de l’oesophage

Les dilatations endoscopiques de l’oesophage permettent un traitement symptomatique des sténoses et sont utilisées en seconde intention après échec du traitement médical. L’utilisation d’endoscopes flexibles permet de limiter les risques de perforation [22].

Conclusion

L’OE est une maladie émergente observée électivement chez l’enfant et l’adulte jeune de sexe masculin ayant des antécédents d’allergie.
Elle est sous-diagnostiquée car la symptomatologie est souvent minorée par le patient et mal connue par les médecins. Elle doit être systématiquement évoquée en cas d’impactions, de dysphagie, ou de reflux gastro-oesophagien résistant aux IPP. En l’absence de marqueurs sériques non invasifs de l’évolutivité de la maladie, l’évaluation des patients reste basée sur les données cliniques et endoscopiques avec biopsies étagées de l’oesophage, qui devront être réalisées régulièrement pour adapter le traitement et surveiller l’évolution.

Correspondance :
Pr Alain Lachaux
Service de Gastroentérologie,
Hépatologie et Nutrition pédiatrique
Hôpital Femme-Mère-Enfants
59, boulevard Pinel
69677 Bron cedex

E-mail :
alain.lachaux@chu-lyon.fr

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