Microbiote intestinal et prévention des diarrhées nosocomiales

Clostrodium difficile est un bacille à Gram positif anaérobie sporulé qui est parfois retrouvé dans les selles d’enfants souffrant d’une diarrhée secondaire aux antibiotiques. Exemple d’un traitement qui entraîne un déséquilibre du microbiote intestinal, et le développement d’une pathologie…


Introduction

Peuplé de près de 40 000 milliards de bactéries, le microbiote intestinal humain est un écosystème riche et complexe dont les fonctions sur notre santé sont en train d’être de mieux en mieux comprises.

Un écosystème complexe

Notre intestin abrite plusieurs dizaines de milliards de bactéries (100 fois le nombre d’étoiles dans la voie lactée !) en interaction continue entre elles d’une part et avec nos propres cellules d’autre part. Cela crée un écosystème complexe appelé holobionte dont les interactions commencent tout juste à être explorées et comprises. Les 500 à 1 000 espèces différentes qui composent le microbiote intestinal de chaque individu forment donc un écosystème stable et résilient grâce aux fonctions métaboliques redondantes portées par ces bactéries.

Des bactéries aux fonctions multiples

Tout d’abord, les bactéries qui nous habitent sont indispensables au bon fonctionnement de notre système immunitaire. Dès la période prénatale, le foetus est exposé à des antigènes bactériens via le placenta pour « éduquer » son système immunitaire à tolérer les bactéries qui vont le coloniser très rapidement dès la naissance (1). D’ailleurs, les souris « germ free » de laboratoire ont un système immunitaire déficient. Ensuite, les bactéries intestinales permettent également de protéger l’organisme contre l’invasion de pathogènes en créant un véritable effet barrière, par compétition avec les bactéries pathogènes ou l’inactivation de toxines bactériennes.
Enfin, le microbiote intestinal a des fonctions métaboliques très importantes pour l’organisme. Ainsi, la synthèse de certaines vitamines (comme la vitamine B12) et le métabolisme des acides biliaires nécessitent la présence de certaines bactéries intestinales. Ces dernières ont aussi un rôle de fermentation de carbohydrates non digérés et permettent de récupérer jusqu’à 15 % de l’énergie consommée par l’individu qui, sans son microbiote, serait perdue ! Mise en place dès la naissance sous influence À la naissance, le nouveau-né se colonise très rapidement (déjà 100 000 bactéries dès 48 heures de vie !) par les bactéries de son environnement. La voie d’accouchement va fortement orienter la composition de son microbiote intestinal (2). Mais la mise en place du microbiote dépend aussi (un peu) de facteurs génétiques qui influenceraient jusqu’à environ 10 % de la composition du microbiote (3). Enfin, le lieu de vie oriente très fortement la composition du microbiote intestinal comme le montrent les différences importantes de microbiote entre les enfants vivant en Afrique (Burkina Faso) et en Occident (Italie) (4).
Par la suite, le microbiote intestinal va s’équilibrer progressivement pour atteindre un microbiote stable de type « adulte » vers l’âge de 2-3 ans, en fonction essentiellement du régime alimentaire (5).

La dysbiose : l’exemple de la diarrhée associée aux antibiotiques

Lorsque cet équilibre est rompu, on parle de dysbiose intestinale. En général, la richesse et la diversité microbiennes diminuent et la composition du microbiote est altérée. C’est ce qui survient par exemple en cas de prise d’antibiotiques. Mais si, après une simple prise d’antibiotiques, la résilience de l’écosystème intestinal permet un retour à l’équilibre de celui-ci en quelques semaines, des perturbations répétées peuvent l’altérer de façon plus prolongée (6).
Les conséquences cliniques bien connues sont l’apparition de troubles digestifs (diarrhée, ballonnement, inconfort digestif) qui sont liés, d’une part, à la perte des fonctions de fermentation du microbiote intestinal entraînant un effet osmotique des fibres non digérées et, d’autre part, à la toxicité des acides biliaires qui ne sont plus hydrolysés (7).
On sait alors que la prise de certains probiotiques peut empêcher la survenue de ces troubles dans environ 50 % des cas (8).
Au pire, les antibiotiques peuvent tellement déséquilibrer le microbiote intestinal qu’il devient permissif à des espèces pathogènes comme le Clostridium difficile toxinogène (Fig. 1) qui peut alors occasionner une colite pseudomembraneuse.

Figure 1 – Le Clostridium difficile.

En cas de multiples récidives, il faudra alors reconstituer l’équilibre du microbiote intestinal par une transplantation de microbiote fécal (9).

Les perturbations de microbiote dans la petite enfance : plus qu’un simple effet transitoire

Mais les conséquences de cette perturbation du microbiote intestinal peuvent être bien plus graves si celle-ci a lieu tôt dans la vie, à une période où le microbiote intestinal se met en place et où il est encore immature et peu résilient (10). À ce moment-là, il peut y avoir des effets à long terme sur les systèmes immunitaire et métabolique de l’enfant (11).
Il a ainsi été mis en évidence par des études longitudinales de cohorte que la prise d’antibiotiques dans les premières années de vie était associée à un risque augmenté de développer des maladies allergiques (12,13) et inflammatoires (maladie de Crohn [14], arthrite juvénile [15]), mais aussi à un risque augmenté de surpoids et d’obésité dans l’enfance (16-18).
Or, dans ces pathologies, il a également été démontré que le microbiote intestinal jouait un rôle. Ainsi, par exemple, le microbiote intestinal des enfants qui deviendront allergiques à l’âge de 7 ans était, lorsqu’ils étaient âgés de 1 mois, moins diversifié que ceux qui ne deviendront pas allergiques (19).
De même, il a été démontré chez la souris que l’administration d’antibiotiques tôt dans la vie entraînait une obésité qui était effectivement transférable par le microbiote intestinal (20).

Conclusion : une fenêtre d’opportunité pour agir

Notre meilleure compréhension de l’influence de notre microbiote intestinal sur notre santé nous permet donc aujourd’hui de tirer un certain nombre de leçons. Tout d’abord, respectons le principe hippocratique du « primum non nocere » et essayons de ne pas perturber le microbiote intestinal des nourrissons avec des antibiothérapies parfois non nécessaires. En effet, les tout premiers mois de la vie représentent une véritable fenêtre d’opportunité pour moduler le microbiote intestinal des nourrissons dans le but de prévenir l’apparition de maladies occidentales dont on voit la prévalence fortement augmenter (21).
Il a ainsi été mis en évidence que dans une population d’enfants à risque de développer un diabète de type 1, la prise de probiotiques tôt dans la vie diminuait le risque de développer la maladie (22) et que les probiotiques donnés en période périnatale diminuaient le risque de développer un eczéma chez les enfants à risque (23). Même si pour l’heure les effets cliniques sont modestes, nul doute que les prochaines années verront se développer des méthodes originales pour moduler plus efficacement notre microbiote intestinal et donc améliorer notre santé.


Références

  1. Agüero MG, Ganal-Vonarburg SC, Fuhrer T et al. The maternal microbiota drives early postnatal innate immune development. Science 2016 ; 351 : 1296-302.
  2. Dominguez-Bello MG, Costello EK, Contreras M et al. Delivery mode shapes the acquisition and structure of the initial microbiota across multiple body habitats in newborns. Proc Natl Acad Sci USA 2010 ; 107 : 11971-5.
  3. Hall AB, Tolonen AC, Xavier RJ. Human genetic variation and the gut microbiome in disease. Nat Rev Genet 2017. doi:10.1038/nrg.2017.63
  4. De Filippo C, Cavalieri D, Di Paola M et al. Impact of diet in shaping gut microbiota revealed by a comparative study in children from Europe and rural Africa. Proc Natl Acad Sci USA 2010 ; 107 : 14691-6.
  5. Laursen MF, Bahl MI, Michaelsen KF, Licht TR. First Foods and Gut Microbes. Front Microbiol 2017 ; 8 : 356.
  6. Dethlefsen L, Huse S, Sogin ML, Relman DA. The pervasive effects of an antibiotic on the human gut microbiota, as revealed by deep 16S rRNA sequencing. PLoS Biol 2008 ; 6 : e280.
  7. McFarland LV. Epidemiology, risk factors and treatments for antibiotic-associated diarrhea. Dig. Dis. Basel Switz 1998 ; 16 : 292-307.
  8. Szajewska H, Canani RB, Guarino A et al. Probiotics for the Prevention of Antibiotic-Associated Diarrhea in Children. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2016 ; 62 : 495-506.
  9. Sokol H, Galperine T, French Group of Faecal microbiota Transplantation (FGFT) et al. Faecal microbiota transplantation in recurrent Clostridium difficile infection: Recommendations from the FGFT. Dig Liver Dis 2016 ; 48 : 242-7.
  10. Zeissig S, Blumberg RS. Life at the beginning: perturbation of the microbiota by antibiotics in early life and its role in health and disease. Nat Immunol 2014 ; 15 : 307-10.
  11. Vangay P, Ward T, Gerber JS, Knights D. Antibiotics, Pediatric Dysbiosis, and Disease. Cell Host Microbe 2015 ; 17 : 553-64.
  12. Marra F, Marra CA, Richardson K et al. Antibiotic use in children is associated with increased risk of asthma. Pediatrics 2009 ; 123 : 1003-10.
  13. Kummeling I, Stelma FF, Dagnelie PC et al. Early Life Exposure to Antibiotics and the Subsequent Development of Eczema, Wheeze, and Allergic Sensitization in the First 2 Years of Life: The KOALA Birth Cohort Study. Pediatrics 2007 ; 119 : e225–e231.
  14. Ungaro R, Bernstein CN, Gearry R et al. Antibiotics Associated With Increased Risk of New-Onset Crohn’s Disease But Not Ulcerative Colitis: A Meta-Analysis. Am J Gastroenterol 2014 : 109 : 1728-38.
  15. Horton DB, Scott FI, Haynes K et al. Antibiotic Exposure and Juvenile Idiopathic Arthritis: A Case-Control Study. Pediatrics 2015 ; 136 : e333–e343.
  16. Bailey LC, Forrest CB, Zhang P et al. Association of Antibiotics in Infancy With Early Childhood Obesity. JAMA Pediatrics 2014 ; 168 : 1063.
  17. Trasande L, Blustein J, Liu M et al. Infant antibiotic exposures and early-life body mass. Int J Obes 2013 : 37 : 16-23.
  18. Saari A, Virta LJ, Sankilampi U et al. Antibiotic Exposure in Infancy and Risk of Being Overweight in the First 24 Months of Life. Pediatrics 2015 ; 135 : 617-26.
  19. Abrahamsson TR, Jakobsson HE, Andersson AF et al. Low gut microbiota diversity in early infancy precedes asthma at school age. Clin Exp Allergy 2014 ; 44 : 842-50.
  20. Cox LM, Yamanishi S, Sohn J et al. Altering the Intestinal Microbiota during a Critical Developmental Window Has Lasting Metabolic Consequences. Cell 2014 ; 158 : 705-21.
  21. Torow N, Hornef MW. The Neonatal Window of Opportunity: Setting the Stage for Life-Long Host-Microbial Interaction and Immune Homeostasis. J Immunol 2017 ; 198 : 557-63.
  22. Uusitalo U, Liu X, Yang J et al. Association of Early Exposure of Probiotics and Islet Autoimmunity in the TEDDY Study. JAMA Pediatr 2016 ; 170 : 20-8.
  23. Zuccotti G, Meneghin F, Aceti A et al. Probiotics for prevention of atopic diseases in infants: systematic review and meta-analysis. Allergy 2015 ; 70 : 1356-71.

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