Précarité et alimentation

Les consultations à domicile nous font entrevoir parfois une triste réalité qui est cachée lorsque nos patients se déplacent à nos cabinets. “On va chez le docteur“. Soyons réalistes, la précarité est de plus en plus fréquente. Pour aider nos patients, il faut apporter des conseils pratiques permettant de guider les familles afin de limiter l’impact d’une mauvaise nutrition.

 

Les conséquences de la précarité sur le mode de vie et la santé étaient jusqu’à présent peu évoquées. La faute à qui ? L’exposition d’une société de surabondance et consommation qui fait croire que la précarité ne touche qu’une petite portion de la population. Peut-être surtout du fait que l’on ne s’est pas rendu compte que la précarité touche notre population plus sûrement qu’une épidémie, mais silencieuse…

La précarité : qu’est-ce que c’est ?

La notion de précarité date des années 1980, quand il a fallu nommer l’apparition d’une “nouvelle pauvreté” qui n’était pas de l’exclusion, mais plutôt une fragilisation sociale, avec un éventail allant de l’intégration à l’exclusion. Elle inclut une notion d’équilibrisme pour se maintenir à flot dans une société de sable mouvant : emploi précaire, mariage précaire, coût de la vie, bascule vers la pauvreté via un effet domino.

Le seuil de pauvreté, défini par un revenu < à 60 % de la médiane du niveau de vie des Français (Insee) – soit 910 euros/mois en 2010 – touche plus de 10 % de la population. Si on y intègre la notion de contraintes budjétaires, la restriction de consommation, les difficultés de logement c’est 11,5 % de la population qui étaient concernés en 2001. Les chiffres se sont dégradés : la moitié des Français vit avec moins de 1 500 euros par mois, 10 % perçoivent moins de 1 000 euros mensuels et plus de 4 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté (Rapport de la commission UDAF 2009).

Un indice : l’obésité

La différenciation sociale du statut de l’adiposité a été mise en évidence par plusieurs études épidémiologiques et sociologiques. Pour les sociétés développées, il existe une plus grande prévalence de l’obésité sur le bas de l’échelle sociale. Ainsi, les femmes minces sont plus nombreuses dans les positions sociales élevées. Les adolescents ont le même statut social d’adiposité que les adultes : à partir de 12 et 15 ans, les obèses sont plus nombreuses dans le bas de l’échelle sociale.

Selon les auteurs du rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, « l’augmentation générale de l’obésité infantile, prédictive de l’obésité adulte, est significativement plus importante parmi les enfants scolarisés en Zone d’Education Prioritaire (17,3 % contre 13,3 % hors ZEP). En cause l’absence de petit-déjeuner équilibré qui entraîne des grignotages dans la journée, la consommation de boissons sucrées en dehors des repas, le manque d’activité physique due à une consommation de télévision plus importante. Pour les enfants, c’est la principale inégalité relative à la santé qui aura des répercussions toute leur vie. » Le niveau de précarité influence aussi le statut d’adiposité. Une enquête de 2001 a montré que, si la fréquence de l’obésité était en moyenne de l’ordre de 4,5 % chez les sujets non précaires, elle est de 7 % chez les jeunes de 16-25 ans en difficulté sociale et de 11 % chez les bénéficiaires du RMI.

De même, il existe un lien fort entre précarité et absence d’activité physique ou sportive : 40 % des non-précaires pratiqueraient un sport contre 31 % pour les Rmistes.

La baisse des revenus est positivement associée à l’obésité. Les obèses sont plus nombreux chez les précaires potentiels (Poulain, 2002). Les plus touchés par l’obésité sont ceux dont la situation sociale tend à se dégrader. C’est l’instabilité et la fragilisation socio-économiques qui constituent le terrain favorable à la prise pondérale et à l’obésité. On note 13,1 % d’obésité pour ceux qui ont une baisse de revenus, contre 10,6 % pour ceux qui ne connaissent pas de changement, et environ 6,2 % pour ceux qui ont une hausse de revenus.

Victimes de la télévision et de la junkfood

Une étude canadienne, réalisée par des chercheurs de l’université d’Ottawa et publiée en juin 2008, montre que les enfants dont l’indice de masse corporelle (IMC) est le plus élevé se recrutent parmi les plus gros consommateurs de télévision par le biais de la baisse de l’activité physique.

Ceux qui prennent le plus leurs repas ou grignotent devant la télévision ont une alimentation particulière :
– moins de protéines de type viande ou lactée, de fruits et de légumes ;
– davantage de produits gras et sucrés ;
– plus de sodas.

Cette étude établit un lien entre le fait d’appartenir à un milieu socio-économique défavorisé et celui de manger devant la télévision. S’y ajoute le niveau d’éducation de la mère.

On observe le même phénomène en France, où la télévision est regardée dès le petit déjeuner. On a observé que ces populations étaient plus perméables aux messages publicitaires. Une réalité préoccupante, car les pubs, dont les enfants sont matraqués, portent très souvent sur des produits de grignotage.

En France, le Programme National Nutrition Santé recommande pourtant de limiter ou d’interdire les spots publicitaires, avant et après les programmes destinés aux enfants. Les mentions obligatoires au bas des pubs semblent totalement inutiles car non lues. Mais il ne faut pas exclure formellement la télévision car en fait on considère que la télévision est dans ces cas un lieu de rencontre et de partage ce qui réalise un meilleur soutien affectif. C’est pourquoi on n’interdit pas son utilisation dans les familles défavorisées, on sera plutôt attentif à faire passer des messages pour modifier les comportements et à conseiller de regarder des programmes qui puissent apporter un plus éducatif.

Le profil nutritionnel de la précarité

Les personnes seules et les familles monoparentales sont les plus concernées par la restriction alimentaire.
Plus de la moitié de la population concernée ne consomme pas tous les jours de fruits et légumes, ni de produits laitiers. Il existe une surconsommation de produits gras et sucrés (frites, chips, gâteaux, viennoiseries, barres chocolatées, boissons sucrées…) et de boissons alcoolisées.

Sauter un repas est une habitude fréquente : 63 % des foyers seulement se mettent à table contre 84 % en moyenne en France. On constate qu’ils ne font qu’un seul repas par jour, composé le plus souvent d’un seul plat, avec un recours plus important aux plats préparés ou semi-préparés, et qu’ils diversifient moins leurs ingrédients. Chacun se sert quand il en a envie, surtout les enfants, ce qui favorise le grignotage renforcé par l’absence de petit déjeuner équilibré.

Pour le repas de midi, les populations précaires privilégient les formules simplifiées de type “plat unique”, avec une part plus importante que la moyenne nationale pour les sandwichs, hamburgers et pizzas.
Pour le repas du soir, par rapport à la population générale, les repas des populations précaires se caractérisent par une plus forte simplification, plat unique ou couples “entrée + plat” ou “plat + dessert”.

Les sandwichs/hamburgers (9,1 %), les pizzas/quiches (11,5 %) et les boissons sucrées (26,8 %) apparaissent comme des composantes normales des repas. L’hypersimplification des repas qui caractérise l’alimentation des personnes en précarité va de pair avec la fréquence de la multiplication des prises en dehors des repas, par effet compensatoire.

L’alimentation des enfants défavorisés

Peu d’études sont publiées sur les enfants (Société et Précarité N° 36, janvier 2007). Une étude s’est employée, à travers l’interrogatoire des personnels de terrain, médecins, diététiciennes, conseillères en ESF (économie sociale et familiale), à recueillir leurs observations et ressenti.

On note effectivement une alimentation surabondante et déstructurée comme nous l’avons vu chez l’adulte.

  • Peu de fruits et légumes, de la nourriture industrielle
    Il y a peu ou pas de légumes et de fruits, plutôt des goûters industriels, des barres chocolatées et des produits sucrés. Les fruits et les légumes sont, avec le poisson, les aliments les plus délaissés par les enfants. Le frein à leur achat semble être la méconnaissance de la façon de les cuisiner. Il faut aussi de l’anticipation pour savoir ce que l’on va cuisiner. Leur prix est évoqué, alors que les familles défévorisées achètent des gâteaux parfois plus chers qu’un fruit.
  • L’image de la viande reste forte
    La majorité de ces enfants consomme de la viande et des produits carnés surtout dans leur forme simple comme les steaks hachés, les blancs de poulet ou les saucisses. Pour les parents de familles défavorisées, elle véhicule la force et une image sociale certainement en rapport avec son coût élevé. Si la viande n’est pas au menu une fois par jour, ils ont l’impression de se priver.
  • Que du poisson pané !
    Le poisson n’a pas le même symbole. Les enfants n’en mangent pas, sauf sous forme panée.
  • Chez le tout-petit, peu de carences lactées
    Tout petit, l’enfant a peu de carences lactées, car il garde souvent le biberon deux ou trois fois par jour jusqu’à 3 ou 4 ans, ce qui limite la diversification surtout pour les légumes et les fruits.
  • Des soucis avec la diversification
    Après l’arrêt du lait, il n’y a pas de remplacement par des produits laitiers, mais plutôt des desserts lactés, donc sucrés. Dans certains cas, la boisson biberon est remplacée par du soda. Plus âgés, les enfants consomment peu de produits laitiers, ce qui pose problème pour la croissance osseuse.

Cette étude pose le problème de l’autorité parentale ou “parentalité”. Les parents préfèrent faire plaisir à leur enfant en leur proposant, avec leur budget, des aliments que l’enfant aime, surtout avec des grandes marques. Le parent se valorise car il peut offrir à son enfant des produits “comme les non-précaires”.
Ainsi, pour les professionnels, l’enfant de famille défavorisée souffrirait plus d’une suralimentation.

On peut concilier revenu bas et alimentation équilibrée

Des études ont montré que, si les faibles revenus semblaient être un obstacle à une alimentation équilibrée, une alimentation équilibrée à petit prix est possible à condition de revenir aux aliments de base.

  • Limiter les plats cuisinés ou industriels
    Les familles en difficulté consomment souvent des plats cuisinés ou des produits industriels du type hamburgers, lasagnes, pizza, quiche, snacks… qui ont une densité calorique importante (teneur élevée en graisses, surtout saturées), ne sont pas toujours équilibrés (sucres, densité nutritionnelle basse), apportent peu de vitamines, minéraux, fibres, éléments reconnus comme facteurs de santé.
    Et ils sont plus onéreux que si la fabrication était faite maison !
  • Des repères pour classer les aliments
    Il a été proposé à des familles de remplacer de temps en temps – à budget constant – ces aliments par des produits frais avec une répartition d’achats parmi trois groupes d’aliments classés selon leur contenu en nutriments, vitamines et minéraux, par exemple :
    – Vert pour un apport en vitamines et minéraux, mais pas de graisse = produits frais types fruits et légumes, produits laitiers écrémés… ;
    – Orange pour un apport protéiné peu gras = viande maigre (volaille), poisson ;
    Rouge pour les aliments riches en graisses et pauvres en vitamines, et réputés coûteux = plats industriels (pizza, hamburgers…), bonbons, gâteaux, pâtisseries

On explique aux familles l’intérêt nutritionnel des aliments de chaque groupe au cours de réunions d’information, et on propose des substitutions de produits entre les groupes.
Après quelques semaines, les personnes ont acheté moins d’aliments “rouges” et plus d’aliments “verts”. L’économie sur les achats de produits industriels permet l’accès à des aliments frais et meilleurs pour la santé.

Conjointement, il a été proposé un programme d’activité physique qui a permis une perte du poids du fait de cette véritable “rééducation hygiéno-diététique consciente”.

Parler de la cantine gratuite !

Les enfants des familles les plus démunies peuvent accéder gratuitement à la cantine. Les familles l’ignorent le plus souvent.
En Seine-Saint-Denis, les collèges qui comptent le plus de boursiers sont aussi ceux où le moins d’enfants mangent à la cantine !
Les médecins, autres soignants et travailleurs sociaux doivent d’emblée donner l’information pour que l’enfant mange au moins un vrai repas équilibré par jour. Pour l’enfant, manger à l’école c’est aussi une façon de ne pas se sentir exclu.

Conclusion

Les enfants sont actuellement victimes du rétrécissement des moyens financiers de la famille. Le budget, en particulier alimentaire, et l’orientation de la société font que ce problème va s’amplifier.
Quelques notions simples nous permettent de les aider et de les rassurer sur leur possibilité de garder malgré tout une alimentation équilibrée. Il a été montré que l’aide la plus efficace est de donner des conseils personnalisés et comportementaux. On a montré qu’ils étaient plus efficaces que de simples conseils nutritionnels. Reste à satisfaire le plaisir et l’achat impulsif qu’il est difficile de réfréner en permanence.

 

Pour en savoir plus…

 


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