Quand penser à une obésité monogénique ?

Introduction

L’obésité est une maladie multifactorielle résultant de l’interaction de nombreux facteurs génétiques et non génétiques (environnementaux). L’expression phénotypique des facteurs génétiques impliqués permet de distinguer différentes situations cliniques.

Les obésités monogéniques non syndromiques

Les obésités monogéniques non syndromiques (< 5 % des obésités) sont définies par une obésité sévère à début précoce (< 3 ans) associée le plus souvent à des anomalies endocriniennes. Elles sont le plus souvent causées par des mutations dans les gènes de la voie leptine-mélanocortines qui joue un rôle clé dans la régulation de la prise alimentaire et de la balance énergétique. Au moins huit gènes sont impliqués :
– les gènes de la leptine (LEP) et de son récepteur (LEPR),
– les gènes de la proopiomélanocortine (POMC),
– la prohormone convertase 1 (PCSK1),
– du récepteur aux mélanocortines de type 4 (MC4R),
– ainsi que les gènes de single-minded homolog 1 (SIM1),
– du brain-derived neurotrophic factor (BDNF)
– et du récepteur neurotrophic tyrosine kinase de type 2 (NTRK2) (Fig. 1).

Figure 1 – La voie leptine/mélanocortine. BDNF : brain-derived neurotropic factor ; LEPR : récepteur de la leptine ; MC4R : récepteur de type 4 aux mélanocortines ; α-MSH: α-,melanocyte stimulating hormone; NPY : neuropeptide Y ; PC/PCSK1 : proconvertases 1 ; POMC : proopiomélanocortine ; SIM-1 : single-minded 1 ; TRKB: tyrosine kinase receptor L’impact de la génétique y est majeur et très peu dépendant des facteurs environnementaux.

Les obésités syndromiques

Les obésités syndromiques sont caractérisées par une obésité sévère à début précoce associée à une atteinte multi-organe (déficience intellectuelle, troubles neuropsychologiques, éléments dysmorphiques, anomalies développementales, atteintes neurosensorielles et/ou endocriniennes). Il est important de préciser que cette classification a des limites en raison du chevauchement entre ces différentes formes d’obésité génétique rares. Sur le plan clinique, les obésités monogéniques peuvent en effet parfois s’apparenter à des situations syndromiques lorsque l’obésité précoce s’associe à d’autres signes, comme des troubles du comportement, des déficits endocriniens (hypogonadisme, déficit en hormone de croissance), parfois des troubles cognitifs neuro-développementaux et/ ou psychiatriques (mutations des gènes SIM1, NTRK2 et certaines formes de déficit en POMC).
Ces formes rares d’obésité se distinguent toujours de l’obésité dite polygénique, ou obésité commune qui est la situation clinique la plus souvent rencontrée (95 % des cas). Dans ce cas, il existe un effet cumulatif de facteurs de prédisposition génétique et de facteurs environnementaux. Ainsi, chaque gène de susceptibilité pris individuellement n’a que de faibles effets sur le poids et la contribution cumulative de ces gènes ne devient significative qu’en interaction avec des facteurs environnementaux prédisposant à leur expression phénotypique (suralimentation, sédentarité, stress) (1,2). Les situations d’obésité commune ne seront pas abordées dans cet article.

Quand penser à une obésité monogénique ?

Une obésité monogénique doit être suspectée devant tout enfant avec une obésité sévère de début précoce (avant l’âge de 3 ans, voire 6 ans) et/ ou associée à une déficience intellectuelle, des troubles neuropsychologiques, des traits dysmorphiques, un syndrome polymalformatif, des anomalies neurosensorielles (ophtalmologiques ou surdité) et/ou des anomalies hypothalamo-hypophysaires.
Les deux éléments majeurs sont les courbes de croissance staturo-pondérale et d’indice de masse corporelle (IMC). Elles sont en effet caractéristiques avec un début d’obésité très précoce et une évolution rapide de la corpulence, le plus souvent sans rebond d’adiposité, parfois associée à un retard statural.
L’interrogatoire doit rechercher une consanguinité parentale, des antécédents familiaux d’obésité précoce ou d’autres atteintes comme une déficience intellectuelle. D’autres antécédents sont à rechercher systématiquement :
– hypotonie néonatale ou difficultés de la prise alimentaire en période néonatale,
– troubles du comportement (impulsivité, agressivité en milieu scolaire, intolérance à la frustration), en particulier alimentaire (hyperphagie, impulsivité alimentaire, vols ou chapardages alimentaires),
– troubles cognitifs (retard du développement psychomoteur, difficultés d’apprentissage, déficit intellectuel, troubles du langage).
L’histoire de la puberté doit également être renseignée à la recherche d’un retard ou d’une avance pubertaire.
L’examen clinique doit être complet à la recherche :
– d’éléments dysmorphiques (forme du visage, orientation des fentes palpébrales, nez, philtrum, oreilles),
– d’anomalies des extrémités (polydactylie, brachymétacarpie par exemple),
– de la peau ou des phanères
– et d’anomalies endocriniennes (hypogonadisme, déficit en GH, signes d’insuffisance hypothalamo-hypophysaire).
Des anomalies neurologiques, ophtalmologiques (strabisme, myopie, rétinite pigmentaire) et des troubles de l’audition comme une surdité devront également être recherchés.

Quelles étiologies à évoquer ?

Les syndromes de Prader Willi (SPW) et de Bardet-Biedl (BBS) sont les plus fréquents et doivent être évoqués systématiquement.

Le syndrome de Prader Willi

La fréquence du SPW se situe entre 1/15 000 à 1/25 000 naissances. Les signes évocateurs principaux sont :
– une hypotonie néonatale sévère,
– des troubles alimentaires évoluant en plusieurs phases (allant de l’anorexie avec troubles de succion dans les premiers mois de vie jusqu’à une hyperphagie avec impulsivité alimentaire majeure après l’âge 3 ans) (3),
– des anomalies endocriniennes (déficit en hormone de croissance, hypogonadisme),
– une déficience intellectuelle de sévérité variable avec difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement
– et des traits dysmorphiques (3).
Ce syndrome est lié à une anomalie de l’empreinte génomique parentale avec absence physique ou fonctionnelle du segment chromosomique 15q11-q13 d’origine paternelle. Les gènes impliqués dans le SPW sont multiples. Récemment, le SPW a été associé à un déficit de fonction de la protéine PCSK-1, enzyme clé de la voie leptine-mélanocortine (4). De même, la mutation de MAGEL 2, gène situé dans la région SPW 15q11-13, est responsable chez le rongeur d’un déficit en neurones anorexigènes à αMSH impliqués dans cette même voie (5). Chez l’Homme, une mutation ponctuelle du gène humain MAGEL 2 est aussi à l’origine d’une forme syndromique proche du SPW, le syndrome de Schaaf et Yang, associant une hypotonie néonatale, des troubles de la succion, une déficience intellectuelle et des troubles du spectre autistique (6).

Le syndrome de Bardet-Bield

Le phénotype du BBS est plus hétérogène. L’obésité sévère et précoce est associée à :
– une dystrophie rétinienne,
– une polydactylie,
– des anomalies rénales,
– un hypogonadisme,
– une dysmorphie
– et des difficultés d’apprentissage.
Actuellement, au moins 20 gènes différents sont identifiés dans le BBS, tous liés au fonctionnement des cils primaires (7, 8).
Récemment, une altération centrale hypothalamique de la localisation du récepteur de la leptine a été décrite pouvant expliquer le phénotype obésité (7, 8). D’autres obésités rares syndromiques peuvent aussi être évoquées selon le phénotype : le syndrome de l’X fragile, le syndrome de Cohen, etc. À ce jour, plus de 30 syndromes ont été associés à une obésité.
Les formes monogéniques non syndromiques incluent les mutations des gènes :
– de la leptine (LEP),
– de son récepteur (LEPR),
– de la pro opiomélanocortine (POMC),
– de la proconvertase 1 (PC1/PCSK1 [proprotein convertase subtilisin/kexin type 1]), enzyme de clivage de POMC,
– du récepteur aux mélanocortines de type 4 (MC4R),
– de single-minded homolog 1 (SIM1),
– de brain-derived neurotrophic factor (BDNF)
– et du récepteur neurotrophic tyrosine kinase de type 2 (NTRK2) (Tab. 1).

Elles sont caractérisées par des obésités sévères le plus souvent associées à des anomalies endocrines ou parfois neuro-développementales (1,3). Les courbes de poids et d’IMC des patients affectés sont caractéristiques et doivent attirer l’attention. Elles montrent une évolution pondérale rapide avec une obésité se développant dès les premiers mois de vie sans rebond d’adiposité et avec une hyperphagie inhabituelle.
Associée à l’obésité sévère, les adolescents porteurs d’une mutation des gènes LEP ou LEPR présentent un retard pubertaire par hypogonadisme hypogonadotrope et inconstamment une insuffisance thyréotrope d’origine centrale. Une insuffisance de sécrétion somatotrope peut être également observée (1, 3). Ces mutations ont une prévalence estimée de 2-3 % et sont donc à rechercher systématiquement en cas d’obésité extrême à début précoce associée à des anomalies endocriniennes.
En cas de mutation homozygote de POMC, une insuffisance surrénalienne par déficit en ACTH issue du clivage de POMC est le plus souvent diagnostiquée dès la naissance et est parfois associée à d’autres anomalies endocriniennes ou des anomalies de la pigmentation (peau claire avec hypersensibilité ou cheveux roux inconstants).
Dans le cas des mutations de PCSK1, il existe des antécédents de diarrhée sévère dans les premières années de vie le plus souvent dépendante de la nutrition parentérale avec des atteintes endocriniennes multiples et notamment un diabète insipide (1, 3).
Les obésités liées aux mutations du gène MC4R se situent entre les formes exceptionnelles d’obésité monogénique et les formes polygéniques d’obésité commune et représentent 2 à 3 % des obésités de l’enfant et de l’adulte avec plus de 200 mutations décrites (1, 3). Leur transmission est le plus souvent autosomique dominante avec une pénétrance incomplète et l’absence d’anomalies phénotypiques associées. L’obésité est de sévérité variable, soulignant le rôle de l’environnement et d’autres facteurs génétiques modulateurs.
Les sujets porteurs de mutations de MC4R sont le plus souvent hétérozygotes. Quelques rares mutations homozygotes ou hétérozygotes composites ont été identifiées avec un phénotype plus sévère (9).

Conclusions

Le développement actuel de nouvelles options thérapeutiques justifie de diagnostiquer ces obésités massives et précoces. En effet, de nouveaux agonistes pharmacologiques du récepteur MC4R ont été récemment testés in vitro et restaurent une activité normale du récepteur muté (10). L’utilisation de ce type d’agoniste (setmélanotide) chez deux patients porteurs d’une mutation homozygote POMC a permis une perte de poids (- 51,0 kg et -20,5 kg à respectivement 42 et 12 semaines pour les deux patients) et une amélioration de l’hyperphagie (11). De même, quelques patients porteurs homozygotes d’une mutation LEPR ont été traités avec à nouveau un effet bénéfique sur le poids (12).
Des études complémentaires sont en cours pour déterminer si ce type de molécule pourrait être aussi efficace dans les autres formes monogéniques rares d’obésité avec mutations de gènes situés en amont du récepteur MC4 (mutation de PCSK1 par exemple) ou dans d’autres formes présentant une fonction altérée des neurones à POMC (comme le SPW, les anomalies de MAGEL2) ou encore dans le BBS.


Références

  1. Pigeyre M, Yazdi FT, Kaur Y, Meyre D. Recent progress in genetics, epigenetics and metagenomics unveils the pathophysiology of human obesity. Clin Sci (Lond) 2016 ; 130 : 943-86.
  2. Butler MG. Single Gene and Syndromic Causes of Obesity: Illustrative Examples Prog Mol Biol Transl Sci 2016 ; 140 : 1-45.
  3. Huvenne H, Dubern B, Clément K, Poitou C. Rare Genetic Forms of Obesity: Clinical Approach and Current Treatments in 2016. Obes Facts 2016 ; 9 : 158-73.
  4. Burnett LC, LeDuc CA, Sulsona CR et al. Deficiency in prohormone convertase PC1 impairs prohormone processing in Prader-Willi syndrome. J Clin Invest 2017 ; 127 : 293-305.
  5. Maillard J, Park S, Croizier S et al. Loss of Magel2 impairs the development of hypothalamic Anorexigenic circuits. Hum Mol Genet 2016 ; 25 : 3208-15.
  6. Fountain MD, Aten E, Cho MT et al. The phenotypic spectrum of Schaaf-Yang syndrome: 18 new affected individuals from 14 families. Genet Med 2017 ; 19 : 45-52.
  7. Mariman EC, Vink RG, Roumans NJ et al. The cilium: a cellular antenna with an influence on obesity risk. Br J Nutr 2016 ; 116 : 576-92.
  8. Vaisse C, Reiter JF, Berbari NF. Cilia and Obesity. Cold Spring Harb Perspect Biol 2017 ; 9 : 1-17.
  9. B Dubern, S Bisbis, H Talbaoui et al. Homozygous Null Mutation Of The Melanocortin-4 Receptor And Severe Early-Onset Obesity. J Pediatr 2007 ; 150 : 613-7.
  10. Fani L, Bak S, Delhanty P et al. The melanocortin-4 receptor as target for obesity treatment: a systematic review of emerging pharmacological therapeutic options. Int J Obes 2014 ; 38 : 163-9.
  11. Kühnen P, Clément K, Wiegand S et al. Proopiomelanocortin Deficiency Treated with a Melanocortin-4 Receptor Agonist. N Engl J Med 2016 ; 375 : 240-6.
  12. Clément K, Biebermann H, Farooqi IS et al. MC4R agonism promotes durable weight loss in patients with leptin receptor deficiency. Nat Med 2018 ; 24 : 551-5.

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