Quelle attitude devant un enfant maigre ?

Si de nombreux parents considèrent que leur enfant est “difficile” sur le plan alimentaire, les véritables picky eaters sont peu nombreux. Il faut en effet bien distinguer cette situation des comportements de néophobie.

Les picky eaters : qui sont-ils ?

De nombreux parents considèrent que leur enfant est “difficile” sur le plan alimentaire [1]. Dans une étude de cohorte néerlandaise publiée en janvier 2015 et ayant suivi plus de 4 000 participants et interrogé régulièrement les mères sur le comportement alimentaire de leur enfant, la prévalence des difficultés alimentaires était de 26 % à 1,5 ans, 28 % à 3 ans, et diminuait à 13 % à 6 ans [2]. Ces enfants ont en général des apports caloriques totaux inférieurs à ceux des enfants qui ont “bon appétit” et sont parfois très sélectifs dans leur choix alimentaire.

La définition des enfants dits “difficiles” (ou picky eaters en anglais) inclut :

  • le refus de nouveaux aliments ;
  • une sélectivité modérée des aliments notamment lorsqu’il s’agit de légumes ou de fruits ;
  • le rejet de certaines textures.

En analysant plus précisément les comportements alimentaires, il est estimé que 5 à 7 % des enfants de 4 ans sont réellement des picky eaters [2, 3]. En effet, de nombreux parents ont une perception déformée des apports alimentaires de leur enfant, ceux-ci mangeant suffisamment pour leur âge [1]. Il faut bien distinguer ces difficultés alimentaires des comportements de néophobie. La néophobie est une période du développement normal d’un enfant au cours de laquelle il rejette tout aliment nouveau ou inconnu. Le pic est entre 18 et 24 mois. L’enfant accepte ces aliments après des expositions répétées (parfois jusqu’à 15 fois).

Dans une étude sur cohorte de 120 enfants âgés de 2 à 11 ans, publiée en 2010 [4], les parents d’enfants dits “difficiles” et “non difficiles” sur le plan alimentaire étaient interrogés sur le comportement de leur enfant.

Les enfants dits “difficiles” étaient décrits par leurs parents comme :

  • ayant une alimentation peu variée, acceptant peu les nouveaux aliments ;
  • ayant des goûts alimentaires très prononcés ;
  • demandant la préparation d’aliments séparés, différents de ce qui est préparé pour le reste de la famille ;
  • et susceptibles d’avoir des crises de colère en cas de limitation alimentaire, notamment pour les garçons.

Dans cette étude menée aux Etats- Unis, les parents disaient préparer un repas spécifique pour leur enfant de 11 ans dans 58 % des cas lorsque l’enfant était décrit comme difficile vs 18 % lorsque l’enfant ne l’était pas (p < 0,001). Les conflits autour de la nourriture étaient également bien plus fréquents en cas de difficultés alimentaires qu’en l’absence de difficultés (62 % versus 12 %, p < 0,001).

En effet, les difficultés des picky eaters ne sont pas seulement nutritionnelles. Lorsque l’alimentation devient source de conflit important dans la famille et que des attitudes coercitives sont adoptées par les parents, les conséquences sont surtout comportementales et développementales pour l’enfant. Chatoor et al. [5] ont ainsi montré qu’en cas de conflit familial important centré sur la nutrition, le score développemental de Bayley était inférieur, et ce indépendamment de l’état nutritionnel de l’enfant.

De même, Jacobi et al. [6] ont étudié de la naissance à 5,5 ans une cohorte allemande de 135 enfants dits picky eaters. Ces enfants avaient fréquemment des troubles psychiques incluant de l’anxiété, des dépressions ou des troubles du comportement. A l’inverse, les mères s’adaptent spontanément à ces enfants dits “difficiles”. Ceci a été souligné dans une étude qualitative [7] qui a interrogé 30 mères de morphologie normale sur les repas servis à leur enfant d’âge préscolaire. Les quantités présentées étaient moindres que lorsqu’il s’agissait de “bons mangeurs”, les aliments proposés étaient généralement ceux que les enfants appréciaient et rarement des aliments nouveaux. Elles utilisaient différentes stratégies pour que leur enfant mange en adaptant les formes et les modes de présentation des repas.

Bien souvent, ces enfants “difficiles” le sont pendant plusieurs années. Dans la cohorte de Mascola et al. [4], 47 % des enfants étaient encore picky eaters au-delà de 2 ans. Dans celle de Jacobi et al. [6], les apports caloriques diminuaient même chez les filles considérées comme picky eaters entre 3 et 5 ans, alors que les apports caloriques augmentaient chez les autres enfants. Les individus classifiés comme picky eaters à l’âge adulte ont souvent été considérés comme tels durant l’enfance. Ils se décrivent eux-mêmes comme néophobiques et très sensibles vis-à-vis des odeurs, du goût et de la texture de la nourriture. De plus, ils rapportent une plus grande anxiété sociale liée à l’alimentation par rapport aux non picky eaters [8].

Les diagnostics différentiels

Avant tout, le médecin recevant en consultation un enfant mangeant peu et de façon sélective doit rechercher une pathologie organique sousjacente et des signes de dénutrition. Certains symptômes sont tout particulièrement évocateurs : 

  • dysphagie, odynophagie ;
  • troubles de la déglutition (toux chronique, étouffements, pneumopathies à répétition) ;
  • douleurs lors de l’alimentation ;
  • vomissements, diarrhée ;
  • troubles de la croissance ;
  • pathologie sous-jacente (autisme, anomalies congénitales, etc.).

Des examens complémentaires et avis multidisciplinaires (auprès de diététicien, gastropédiatre, ORL, etc.) sont parfois nécessaires.

Quelle étiologie ?

Très tôt, le foetus est exposé à différentes saveurs. Les nourrissons allaités ont accès à de nombreuses saveurs, plus que les nourrissons nourris artificiellement. Cependant, même en cas de nutrition variée au cours de la grossesse et de l’allaitement, l’acceptation de nouveaux aliments par les nourrissons peut nécessiter plus de 10 expositions. Certains auteurs expliquent que les enfants ayant une faible sensibilité gustative seraient plus attirés par les fruits et légumes que ceux ayant une forte sensibilité gustative [9]. L’attrait pour le salé et le sucré pourrait également être génétiquement favorisé, même si les expositions répétées à ces 2 saveurs augmentent leur appétence.

Les relations parent-enfant, la dynamique familiale et le tempérament des enfants sont aussi des éléments influençant le comportement alimentaire des enfants. Pousser et forcer un enfant à manger est généralement néfaste et produit l’effet inverse. A l’inverse, une attitude parentale peu contenante et fixant peu de règles est aussi à risque.

La prise en charge

Chez ces enfants sélectifs, certaines techniques pour diversifier leur alimentation peuvent être utiles [1] :

  • faire des sauces avec les purées de légumes afin de masquer le goût ;
  • assaisonner au goût de l’enfant ;
  • rendre les plats visuellement attractifs ;
  • donner des noms appétissants aux plats ;
  • impliquer les enfants dans la préparation des repas, etc.

Dans les formes plus sévères et en cas de conflit familial, il peut être utile de s’adresser à un psychothérapeute. Quelques conseils et astuces sont détaillés dans le tableau 1. En cas de mauvaise appréciation parentale quant aux apports alimentaires de leur enfant et de sa croissance, il s’agit avant tout de récapituler avec les parents les apports de leur enfant (tableaux 2 et 3), et de revoir avec eux la courbe de croissance, en tenant compte de la taille cible de leur enfant.

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