Quelques nouveaux allergènes alimentaires

Il y a une vingtaine d’années, les principaux allergènes alimentaires étaient le lait de vache, l’œuf de poule, le poisson et les fruits de mer. Avec les voyages, l’internationalisation des repas et la rapidité des communications, le panorama des allergènes alimentaires s’est diversifié et, désormais, tout peut se voir, ce qui donne du piment à l’allergologie ! Voici l’abcédaire de quelques nouveaux allergènes. On y verra que l’allergie suit la mode, et parfois le business !

Argan

L’arganier (Argania spinosa) pousse abondamment dans le sud-ouest du Maroc. Il fournit des amandons à partir desquels on obtient une huile, après torréfaction (huile alimentaire) ou non (huile cosmétique). Elle est très riche en acides oléique et linoléique, vitamine E, phytostérols… L’huile alimentaire rehausse le goût des aliments. L’huile cosmétique est utilisée traditionnellement pour les soins de la peau, ainsi que pour les massages, en particulier du nourrisson.

Le premier cas d’anaphylaxie à l’huile d’argan a été rapporté chez un homme de 34 ans qui présentait des douleurs gastriques et une hypersalivation, régressives sous corticoïdes et anti-H1 oraux (1). La papule induite par prick test (PT) fut fortement positive avec de l’huile (10 mm) et avec la pâte d’argan1 (18 mm) pour un témoin codéiné à 8 mm. Vingt minutes plus tard, il développa une anaphylaxie grave avec urticaire généralisée, gêne pharyngée et forte chute du débit expiratoire de pointe (0,4 l/mn) ! L’allergène isolé, fixé par les IgE du patient, est une protéine de 10 kDa de la famille des oléosines (1).

A la recherche du bien-être, on observe une vogue pour les massages à l’aide de diverses huiles dites “essentielles”2, en particulier d’argan. Cette observation incite à beaucoup de prudence vis-à-vis de cette pratique qui se développe chez le nourrisson3.

Camomille


© Elena Elisseeva – i Stockphoto

La camomille (Matricaria chamomilla), de la famille des Composées (ou Astéracées), est une plante médicinale odorante, utilisée en particulier en infusions et lavages oculaires. La fleur de camomille contient des lactones sesquiterpéniques, des polyphénols, et une huile essentielle. Considérée comme une “plante douce”, la camomille est très allergisante, en particulier chez les sujets allergiques ou sensibilisés aux pollens, surtout de la famille des Composées.

L’un des premiers cas concernait un garçon de 8 ans, sensibilisé à plusieurs pollens (graminées, olivier, armoise), qui développa une anaphylaxie sévère IgE-dépendante après avoir bu de la tisane de camomille : il était sensibilisé à l’ambroisie (Ambrosia trifida) et à l’armoise (Artemisia vulgaris) (2).

Une autre observation concernait une femme enceinte de 35 ans, en cours de travail, qui développa un choc anaphylactique gravissime juste après un lavement à base de glycérol et d’extrait huileux de fleurs de camomille (Kamillosan®) (3). Le choc, entraînant une souffrance fœtale aiguë, nécessita une césarienne en extrême urgence. A la naissance, l’Apgar du bébé était à 0 : réanimé, il mourut 24 heures plus tard. A posteriori, on vérifia que la mère était sensibilisée à la camomille (PT et Rast® fortement positifs) (3). On connaît aussi des allergies oculaires à la suite d’applications locales.

En pratique, le risque d’allergie à la camomille est sous-estimé. En 2008, une publication pose la question suivante « Est-ce que les cosmétiques et les végétaux à base d’extraits de camomille (tisanes, crèmes, onguents) peuvent être tolérés par les allergiques aux Composées ? » (4). La réponse est « non » : les allergiques à la camomille sont très souvent sensibilisés (ou allergiques) aux pollens de Composées (armoise) et inversement. Et les allergies peuvent débuter dès les premiers mois de la vie…

Lait de femme

Mäkinen-Kiljunen et Plosila (5) pensent avoir rapporté le premier cas d’allergie IgE-dépendante au lait de femme. Un mari présentait des symptômes d’allergie cutanée d’apparition immédiate au contact du lait de sa femme lorsqu’il embrassait le bébé qui venait de téter ou lorsqu’il embrassait sa femme pendant qu’elle donnait le sein (5).

Il semble cependant que des cas semblables aient déjà été décrits en particulier par Jerome Glaser (6) : un nourrisson présentait des symptômes d’anaphylaxie chaque fois que sa mère lui mettait une goutte de son lait sur la langue ! L’un de ses frères ainés était même mort de choc anaphylactique lors de sa première tétée. C’était en 1956 !

Maïs

Le maïs (Zea may), une graminée céréalière (Poacée) riche en amidon (63 %), est un allergène alimentaire émergent. Il est très consommé au Mexique (tacos), en Italie (polenta) et aussi en France4.

Plusieurs cas ont été rapportés en particulier chez des enfants de moins de 10 ans, confirmés par test de provocation par voie orale (TPO) : les symptômes sont modérés à sévères (anaphylaxie) (7-9). Il existe plusieurs allergènes, la plupart résistants à la chaleur et à l’action de la pepsine gastrique. Une liste non exhaustive des aliments contenant du maïs ou des produits dérivés est disponible : à côté du maïs doux en grains ou épis et popcorn, on trouve l’amidon de maïs (très répandu dans les soupes, potages, crèmes, biscuits, charcuterie, etc.), la farine et la semoule (polenta, corn flakes, biscuits, pains, petits pots pour nourrissons), des boissons alcoolisées, l’huile de maïs (9).

Miel et gelée royale

© dra_schwartz – i Stockphoto

  • La fréquence de l’allergie alimentaire (AA) au miel est faible au regard de sa consommation. Dans un groupe de 23 patients (10) la répartition des symptômes était la suivante : syndrome d’allergie orale (52 %), signes digestifs (17 %), urticaire de contact ou angio-œdème (9 %), asthme (30 %), urticaire généralisée (9 %), anaphylaxie (17%). L’allergie pollinique est un facteur de risque d’allergie au miel en fonction de sa provenance et du pollen butiné (Composées). Dix grammes de miel contiennent de 20 000 à 100 000 grains de pollens. Par contre, l’allergie au venin d’abeille n’est pas un facteur de risque d’AA au miel (11).
  • La gelée royale, liquide sécrété par les glandes du pôle céphalique des abeilles ouvrières entre le 5e et le 14e jour de leur vie, est riche en substances nutritives et vitamines diverses. L’AA à la gelée royale est plus fréquente et ses symptômes sont plus sévères que ceux de l’AA au miel. Les facteurs de risque sont l’allergie aux venins d’abeille et surtout l’atopie. A Hong Kong, la fréquence de l’AA à la gelée royale est de 6 % chez les consommateurs (11).
  • Les pelotes de pollen sont des agglomérats de grains de pollens butinés que les abeilles transportent entre leurs pattes jusqu’à la ruche. Ils sont recueillis par les apiculteurs grâce à des trappes placées à l’entrée de la ruche. Triés et séchés, ils sont vendus en herboristerie. Il faut évidemment s’abstenir d’en consommer en cas d’allergie pollinique sous peine de développer des symptômes allergiques (11).

L’allergie au pollen de Composées (armoise, camomille) est un facteur de risque d’allergie au miel et à la gelée royale. Attention : le miel et les pollens, à un degré moindre la gelée royale, sont souvent masqués dans des produits diététiques ou énergétiques. Attention aux compositions d’herboristerie !

Olive

© nevena321 – i Stockphoto

Un cas d’allergie alimentaire à l’olive a été rapporté chez un jeune homme de 28 ans qui avait une allergie pollinique à l’olivier depuis 3 ans (12). Les prick tests étaient positifs pour les acariens et le pollen d’olivier. Le prick + prick5 était positif pour l’olive fruit. Son sérum contenait des IgE dirigées contre l’olivier et l’olive. Le test de provocation oral à l’huile d’olive fut négatif. Il n’avait aucune autre sensibilisation ou allergie à d’autres aliments. Ainsi se trouve défini un nouveau syndrome “pollen-fruit” “olivier-olive” (12). En fait, un cas antérieur avait été publié en 2004 chez une jeune fille de 19 ans sans antécédent d’allergie au pollen d’olivier, qui avait eu plusieurs épisodes d’angio-œdème et de prurit généralisé (13).

Propolis

C’est une substance résineuse récoltée par les abeilles sur les bourgeons et écorces de certains arbres pour obturer les fissures des ruches. Les abeilles récoltent la propolis sur les conifères, les peupliers, le bouleau, le saule (etc.). Elle est ensuite modifiée par les sécrétions des abeilles. La propolis comporte surtout des résines (50-55 %), des cires (30-40 %), des huiles aromatiques (5-10 %), des pollens (5 %), plusieurs substances (acides organiques, aldéhyde cinnamique, vanilline, flavonoïdes, oligoéléments) selon les arbres butinés (11).

La propolis est de plus en plus utilisée en biocosmétologie et biopharmacie, ce qui explique l’augmentation du nombre de cas de dermatites de contact : plus de 300 cas (également observés chez les apiculteurs). Parmi la cinquantaine de constituants identifiés, les principaux agents sensibilisants sont le 3-méthyl-2-butényl-caffeate et phényléthyl-caffeate. La dermatite est liée au contact direct avec la propolis, mais aussi à l’exposition aux allergènes aéroportés qui en sont issus. On a aussi décrit des cas de rhinite et d’asthme, à la suite d’instillations nasales en cas de rhume (14). Ce produit, en vente libre en France, pour ses propriétés antiseptiques, antimicrobiennes et anti-inflammatoires est sous surveillance en Belgique et en Italie (14,15). Attention !

Sarrasin

Le sarrasin (ou blé noir) n’est pas une céréale, mais une Polygonacées ; il connaît depuis plusieurs années un important regain d’intérêt. Le sarrasin entre dans la composition de crêpes, sandwichs, galettes, pâtes, bouillies, vermicelles (etc.).

Nous avons répertorié plus d’une centaine de références sur l’allergie au sarrasin, très fréquente chez l’enfant (16). L’AA est fréquemment responsable d’asthme et d’anaphylaxie grave. C’est souvent un allergène masqué. L’asthme nocturne au sarrasin est connu en Asie (Japon, Corée du Sud) chez les enfants et les adultes qui dorment sur des oreillers rembourrés avec des gousses de sarrasin (17), rembourrage présent également depuis longtemps en Europe où les allergologues initiés (18) ont pensé à cette cause !

Comme le sésame, le sarrasin est un exemple type d’allergène important par inhalation et ingestion. Le retour à des modes de vie et d’alimentation anciens est en grande partie responsable de cette tendance.

Sésame


© Alasdair Thomson – i Stockphoto

A l’instar du sarrasin, le sésame (Sesamum indicum) est devenu un allergène important. Les graines et l’huile de sésame sont très consommées en Afrique du Nord, Israël et Australie. En Israël, les symptômes, souvent graves (détresse respiratoire, asthme, anaphylaxie) touchent les enfants de moins de 2 ans dont l’alimentation comporte traditionnellement du sésame (19). Un cas est apparu au cours d’un régime dépourvu de gluten qui comportait du sésame (20). Comme le sarrasin, le sésame est devenu un allergène important parmi les graines végétales. Il est responsable d’allergies souvent graves et même létales, possibles à tout âge, en particulier chez le nourrisson.

Tartrazine

Ce n’est pas un colorant nouveau ! C’est même un grand classique que l’on croyait interdit.

En fait, l’expérience professionnelle montre qu’on a largement surestimé le rôle aggravant de la tartrazine sur les symptômes d’atopie. Ainsi, chez 26 patients atteints de rhinite allergique, d’asthme, d’urticaire ou d’intolérance aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, le test de provocation oral en double aveugle (35 mg de tartrazine ou de placebo) n’a pas entrainé ou précipité le moindre symptôme cutané, respiratoire ou cardiovasculaire (19). Même si un nombre plus important de sujets aurait été nécessaire pour détecter des changements mineurs ou modérés, ces résultats sont en accord avec 3 études bien menées disponibles dans la littérature (21). Pour Elhkim et al. (22), en France, la dose maximale ingérée par les enfants est estimée à 37,2 %de la dose maximale autorisée. Quant à la fréquence des réactions adverses à la tartrazine, elle est estimée entre 0,026 % (23) et 0,12 % (21) dans la population générale, ce qui est très faible !

Contrairement à des idées reçues, les dernières études semblent donc innocenter la tartrazine (E102, Yellow 5). Mais autant s’en passer si on le peut !

 

1. Avec des amandes pilées et du miel, on obtient une pâte (amlou) très nutritive, consommée en particulier au petit déjeuner.
2. Dans “huiles essentielles”, le mot essentiel n’a pas le même sens que dans “acides aminés essentiels” (indispensables au métabolisme). Ici, il signifie “quintescence de…”.
3. J’ai observé un cas d’allergie alimentaire à la noix de coco chez une fillette de 2 ans 1/2 (anaphylaxie). 2 mois plus tôt, elle avait développé une urticaire de contact après un massage à l’eau de coco, pratique culturelle commune dans le pays d’origine de ses parents.
4. Un plat basco-béarnais particulièrement roboratif a été incriminé (la miche) : mélange de farine de maïs jaune, de sang de porc, parfois de ventrèche, de poivre, oignon et sel.
5. Technique de “prick test” au cours de laquelle on pique la pulpe du fruit puis la peau du patient.

Pour en savoir plus …


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