Réflexion sur 50 ans de nutrition pédiatrique

La nutrition a toujours occupé une place importante dans la médecine des enfants. Aux yeux de nos prédécesseurs, la nutrition était un déterminant primordial de survie. Sans avoir la moindre notion que la nutrition jouait un rôle dans la programmation du développement et de la santé à l’âge adulte, on attachait une grande importance au choix de la nourrice. Au tournant du XXe siècle, la pédiatrie comme spécialité est née, et considérait que la nutrition était sa discipline la plus importante.

Dans ce contexte, il est permis de se demander comment il se fait qu’avec la fragmentation de la pédiatrie en sous-spécialités, la nutrition ne soit pas une sur-spécialité à part entière. Il est permis de se demander, peut-être, si les progrès observés dans le domaine des sciences et de la pratique de la nutrition au cours des dernières années auraient été plus grands si, autant en médecine interne qu’en pédiatrie, la nutrition avait été une surspécialité reconnue.

Cette brève analyse n’a pas la prétention de faire le “tour du jardin”. Elle permet tout au plus une réflexion, d’une part, sur quelques avancées de la recherche en signalant au passage les lacunes, les valseshésitation et promesses non tenues et, d’autre part, l’importance que la pédiatrie se réapproprie la nutrition.

 

1. Les micronutriments : le cas de l’acide folique

Dans les années 60, on découvre que 2/3 des mères donnant naissance à des bébés avec malformations du tube neural sont déficientes en acide folique. En 1980, on confirme ce risque de façon certaine, mais ce n’est qu’au cours des années 90 que l’ajout de folates dans les aliments constitue la première mesure préventive en nutrition avant la conception.

 

2. La nutrition foetale

Les progrès dans ce domaine sont considérables et sont attribuables aux travaux de Barker à Southampton, Lucas à Londres et Glickman en Australie, suggérant que l’environnement métabolique du foetus est responsable non seulement de la trajectoire de croissance et de développement, mais aussi de la programmation des maladies métaboliques de l’adulte (hypertension, athérosclérose, syndrome métabolique).
Il y a déjà 20 ans que Barker a publié son premier travail mettant en garde la néonatologie contre le danger que pose un rattrapage pondéral trop rapide chez le bébé de petit poids.
Pourtant, la néonatologie n’a pas encore changé ses habitudes.

 

3. L’allaitement maternel

La désaffection des années 60 et 70 a conduit l’auteur de ces lignes à écrire un texte sur l’allaitement qui s’intitulait : « Que reste-t-il à part la poésie ».
Heureusement, les connaissances sur la biologie du lait maternel, les études cliniques et le travail remarquable au niveau planétaire de nombreuses fondations ainsi que de l’OMS (Breast is Best) ont permis de renverser la vapeur.
Par ailleurs, les effets protecteurs de l’allaitement maternel contre les maladies allergiques, immunologiques, ont fait l’objet de travaux hautement médiatisés dans les années 80. Toutefois, leurs conclusions concernant leur action préventive n’ont pas été confirmées.
Il en est ainsi de la dermatite atopique, du diabète de type 1, de la maladie coeliaque et des maladies inflammatoires de l’intestin.

 

4. Les préparations lactées

Si la recherche a permis de mieux comprendre les besoins en nutriments, la technologie, pour sa part, a autorisé la production de préparations stables et sécuritaires.
C’est au cours des années 70 qu’on a vu s’implanter les préparations à base d’hydrolysats de protéines et, dans les années 90, les formulations faites d’acides aminés.
Basés sur les données expérimentales et des études cliniques souvent non concluantes, les acides gras oméga-3 et les oligosaccharides ont fait leur apparition dans les années 2000. Il faut dire que les innovations dans la composition de formules lactées sont souvent dictées par le besoin de mimer la composition du lait maternel, ignorant le fait qu’il s’agit d’un liquide biologique très complexe et qu’imiter sa composition ne saurait en rien reproduire l’interaction entre ses composantes.

 

5. La nutrition comme thérapie

Il y a maintenant plus de 50 ans que Dudrick commençait à jongler avec l’idée d’infuser un régime complet de macro- et de micronutriments par voie intraveineuse.
C’est à la fin des années 60 que l’ère de l’alimentation parentérale débutait, sauvant ainsi des milliers de vies humaines. Alarmée par le taux élevé de complications et consciente des avantages de l’alimentation entérale, la communauté clinique, dès la fin des années 80, a donné préséance à la voie entérale dans tous les cas où cela était possible.
Même si la prévalence de la sévérité des complications hépatiques liées à la nutrition parentérale est connue depuis les années 70, leur pathogenèse nous échappe toujours et constitue un défi pour toutes les équipes de support nutritionnel.

 

6. L’exploration du microbiome

Pour les plus jeunes d’entre nous, le microbiome a à peine 10 ans. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’aventure a commencé à la fin des années 70, alors qu’on a réalisé que la plupart des souches bactériennes intestinales sont non cultivables. Les techniques moléculaires (ARN 16S pour l’identification des souches) ont ouvert un champ d’exploration très prometteur.
La communauté scientifique s’intéresse au rôle de la flore intestinale pour le maintien de la santé et dans la genèse de très nombreuses maladies. Toutefois, la technologie a ses limites et l’enthousiasme des chercheurs fait que l’on confond les liens d’association avec la causalité.

 

7. Les troubles de l’attention hyperactivité

Cette affection mal caractérisée et souvent surtraitée est presque épidémique.
Dans les années 60 on parlait d’hypoglycémie. Dix ans plus tard, les additifs étaient blâmés.
Dans les années 80, on a cru que les produits chimiques modifaient les neurotransmetteurs. Dix ans plus tard, le manque de magnésium était à la mode. Au cours des dernières années, on croit à des altérations de l’architecture et du fonctionnement neuronal.
Quel fouillis pour le parent qui est confondu par une communauté scientifique invoquant tour à tour la génétique, le comportement, les toxines, la nutrition, et qui doit s’accrocher au méthylphénidate et aux amphétamines, d’autant qu’à long terme ces approches pharmacologiques ne sont plus efficaces.

Au total : de tous les facteurs environnementaux modulant la santé, la nutrition est un des plus importants !

De plus, elle est modifiable même s’il y a un dicton qui dit : « il est plus facile de changer de religion que de changer de régime ».
Par ailleurs, il faut admettre que la nutrition n’est pas une science dure, au même titre que l’astrophysique, car il y a des milliers de variables confondantes compliquant l’étude de la relation entre la nutrition et la santé. Le grand public, par ailleurs, attribue aux nutriments des propriétés qu’ils n’ont pas, s’accroche à des études épidémiologiques d’association et s’enthousiasme pour les travaux de biologie cellulaire ou moléculaire qui établissent des liens de causalité non vérifiés pour l’être humain.
On peut difficilement blâmer notre société d’un mouvement anti-science face à un manque de consensus de la part des chercheurs, à des messages contradictoires, des promesses non tenues et aux délais considérables entre l’acquisition de nouvelles connaissances et leur application.
Il est donc grand temps que la nutrition occupe la place qu’elle occupait dans la pédiatrie d’antan.

 


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